Les évacuations des camps en 1945 fournissent-elles la preuve que les Allemands voulaient massacrer les déportés et qu’ils auraient cherché jusqu’au bout à atteindre cet objectif ?
Les évacuations des camps : preuve de la « barbarie nazie » ?
Les Allemands n’ont pas assassiné les déportés malades qui ne pouvaient pas être évacués
Des faibles et des malades trouvés en 1945 dans de nombreux camps et sous-camps
Dans un premier temps, je souligne que si, vraiment, des ordres supérieurs avaient été donnés, prescrivant l’assassinat des détenus qui ne pouvaient être évacués, les Alliés n’auraient dû trouver aucun survivant dans les camps abandonnés.
Or, ce ne fut pas le cas, bien au contraire. On sait par exemple qu’à Auschwitz - évacué quelques jours auparavant - les Soviétiques découvrirent environ 3 000 personnes : des hommes, des femmes et des enfants [1].
Le cas de ce camp n’est pas unique :
- A Oranienburg, l’hôpital ne fut pas évacué et la Croix-Rouge fut avertie du « danger menaçant d’épidémies parmi les détenus » et du « manque absolu de médicaments »[2]. Preuve qu’il n’était pas question de laisser les plus faibles mourir..
- A Dora, « environ 900 à 1 100 [déportés] restèrent au camp parce qu’ils étaient trop faibles » pour supporter un transport[3].
- A Ravensbrück, les Allemands avaient laissé « au grand camp 2 000 femmes malades et au petit camp 800 hommes ».
- A Sachsenhausen, « 3 000 malades avaient été abandonnés à l’infirmerie du camp. Ils furent libérés par les Russes le 22.4.45 » (Ibid., p. 350).
Citons également le cas de commandos moins connus :
- Alorf (un commando de Neuengamme) : les libérateurs trouvèrent seulement « les prisonnières malades », « les autres ayant été évacuées le 10.4.45 vers Bergen-Belsen » (Ibid., p. 3) ;
- Belzig (commando de Ravensbrück) : « 72 femmes incapables de marcher restèrent au camp » (Ibid., p. 39) ;
- Bunzlau-Boleslawiec (commando de Gross-Rosen) : « Les prisonniers malades restés au camp furent également libérés par les Russes le 11.2.45 » (Ibid., p. 74) ;
- Kittlit-Treben (commando de Gross-Rosen) : « Les malades restèrent dans le camp et furent libérés par les Russes » (Ibid., p. 206) ;
- Lieberose (commando de Sachsenhausen) : « Une quarantaine de juifs et un Belge […] restèrent au camp » (Ibid., p. 239) ;
Cette abondance de cas démontre qu’aucun ordre n’avait été donné qui aurait prescrit l’extermination des déportés.
Histoires de massacres : prudence !
Naturellement, il est possible que dans certains commandos, des massacres aient été commis. Mais même s’ils sont avérés, il s’agit d’actes isolés, sans portée générale.
De plus, la prudence doit être de mise face aux récits de massacres, car certains sont d’une véracité douteuse, voir manifestement faux.
L’affaire de Gardelegen
On prétend par exemple que 1 016 déportés (ou 150, c’est selon) évacués des camps de Neuengamme et de Dora, ont été finalement brûlés vifs à Gardelegen, dans une grange « pleine de paille arrosée d’essence »[4]. Mais quand on examine le cliché publié par la FNDIRP, on voit nettement :
- Que les corps ne sont pas carbonisés (les habits, les cheveux et les extrémités sont intacts),
- Que la paille au sol n’est pas brûlée et ;
- Que le bâtiment ne porte aucune trace d’incendie.
De façon évidente, ces déportés ne sont pas morts brûlés vifs. J’ajoute que ce cliché semble avoir été « retouché » : la tête et le bout de bras portant une trace de brûlure au premier plan paraissent avoir été rajoutés sur l’original (l’éclairage est très différent, il n’y a pas d’ombre au sol).
L’affaire de Thekla
Pour Thekla, des clichés montrent deux corps d’hommes carbonisés tout près de barbelés.
D’après la thèse officielle, ces déportés ont été assassinés, avec une centaine d’autres, le 16 avril 1945 : trop faibles pour être évacués, les SS les auraient enfermés dans l’infirmerie avant de jeter « des grenades incendiaires par les fenêtres ».
La plupart seraient morts carbonisés dans le bâtiment. Quelques-uns, transformés en torches humaines, seraient parvenus à fuir, mais ils auraient soit terminé leur course devant les barbelés, soit été tués par un peloton de la Jeunesse hitlérienne qui « tira[i]t à vue »[5].
Pourtant, le 5 mai 1945, l’organe du « Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés », Libres, publia en première page une photographie qui montraient quatre déportés « manifest[a]nt leur joie de se retrouver ».
Plus tard, on devait apprendre que ce cliché avait été pris à Thekla[6]. Cette photographie pose deux questions :
1°) Pourquoi ces déportés, qui n’avaient pas été évacués, n’ont-ils pas, eux aussi, été tués ?
2°) Comment croire que les Allemands, qui se seraient rendus coupables d’un horrible massacre, auraient laissé ces témoins si compromettants ? Quand on sait la façon dont les vainqueurs ont honteusement utilisé les drames d’Oradour-sur-Glane, de Nordhausen et - nous venons de le voir - de Gardelegen, on est en droit de s’interroger.
Cela dit, venons-en aux évacuations.
LA VRAIE RAISON POUR LAQUELLE LES AUTORITÉS ALLEMANDES ONT ORDONNÉ L’ÉVACUATION DES CAMPS
La thèse officielle
Aujourd’hui, elles sont décrites comme des marches sans but défini, des marches dont l’unique objectif aurait finalement été l’extermination des derniers survivants.
Dans une brochure intitulée : C’était il y a 20 ans. La libérations des camps de la mort, un cliché montre des cadavres de déportés abandonnés dans la campagne. La légende porte :
Une hallucinante marche forcée qui ne menait nulle part..
Pour d’autres déportés, ce furent les routes sans fin, l’hallucinante marche forcée qui ne menait nulle part. Des centaines de kilomètres le ventre vide, les pieds sanglants, serrés dans le rang par les chiens et les SS. La balle dans la nuque à celui qui tombait. Le monstrueux pointillé des cadavres sur le chemin[7].
Au sujet des évacuations par train, une photographie reste très souvent montrée : elle présente des déportés morts, abandonnés dans un wagon à proximité de Dachau et découverts par les Américains.
Dès 1945, elle fut abondamment publiée[8].
En 1965, on la vit dans la brochure anniversaire diffusée par la FNDIRP[9]. Elle figurait encore dans l’exposition Mémoire des camps organisée à Paris en 2001 à l’Hôtel Sully.
De tels documents pourront convaincre le néophyte. Mais ils n’impressionneront pas celui qui connaît l’état de l’Allemagne dans les derniers mois du conflit. Dans cette affaire, deux périodes me semblent devoir être distinguées. La première allant jusqu’au début de l’année 1945 (février ou mars) ; la deuxième s’achevant le 8 mai 1945.
Au début, les autorités allemandes ne donnent pas d’ordre précis concernant les évacuations
Témoignant à Nuremberg le 15 avril 1946, R. Höss déclara :
Au début de l’année 1945, lorsque divers camps se trouvèrent dans la zone d’opérations, le Reichsführer chargea les hauts fonctionnaires SS et la Police de décider en cas d’urgence qu’il fallait les évacuer [comprenez : les camps] ou les laisser à l’ennemi. Auschwitz, Gross-Rosen ont été évacués [TMI, XI, 418].
Ces propos n’étaient pas mensongers. Dès la fin 1944, avec l’avance ennemie, de nombreux commandos furent fermés et évacués[10].
Les déportés furent transférés dans d’autres camps, situés dans des régions qui étaient encore sous contrôle allemand (les « quelques camps qui restaient utilisables » dixit K. von Eberstein).
En agissant ainsi, les autorités du Reich faisaient d’une pierre deux coups : elles évitaient que des hommes en état de combattre ne tombent aux mains des Alliés et - surtout - elles gardaient une main-d’œuvre vitale pour le Reich. Même la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes, dont on connaît l’antinazisme exacerbé, avoue que les évacuations furent décidées en premier lieu pour garder la main-d’œuvre.
Dans L’impossible oubli, on lit :
Les dirigeants les plus fanatiques du IIIe Reich crurent jusqu’à la fin que le sort des armes leur serait en définitive favorable. Ils attendaient un « miracle » qui leur permettrait de se maintenir au pouvoir : armes secrètes, renversement des alliances, etc. […]. Ainsi s’explique pourquoi les SS essayèrent jusqu’au bout de garder les esclaves qu’ils détenaient. Dans la mesure du possible, ils s’efforcèrent d’évacuer à temps les détenus des camps menacés par l’avance alliée sans se soucier des pertes et se réservant toujours la possibilité, si cela s’avérait nécessaire, de liquider les survivants[11].
Les premiers drames liés aux évacuations
Bien que la situation générale n’ait pas encore été chaotique, ces premières évacuations, par train, s’accompagnèrent déjà de drames, surtout lorsque la gare était loin du camp.
Un évacué d’Auschwitz, A. Rogerie, qui marchera deux jours avant d’atteindre la gare, raconte par exemple :
Le soir, après une station debout de tout l’après-midi, la colonne s’ébranle sur une petite route secondaire […]. Depuis déjà vingt-quatre heures, la route est parcourue par d’immenses colonnes venues de tous les camps de la région. Dans la neige sale qui recouvre le sol, nombreux sont les cadavres d’hommes et de femmes qui sont tombés là, exténués ou abattus, mais toujours achevés. Personne ne doit tomber vivant aux mains de l’ennemi. La nuit est affreusement noire et froide. Oh ! comme il fait froid ! Sans ordre, tel un troupeau, nous avançons, traînant des pieds, fatigués, assoiffés par la fièvre. Il n’est que minuit ! Le jour ne paraîtra donc jamais ! Nous sommes presque encerclés par les Russes […].
Les hommes tombent et, tout à coup, on trébuche sur un cadavre que l’on a pas vu. On avance par habitude. La couverture est lourde. On essaie de dormir en marchant, mais il faut s’arrêter brusquement, puis repartir en courant pour rattraper […]. Les maisons sont rares et les mirages de fatigue nous poursuivent. A chaque instant, il nous semble apercevoir des baraques, un village, un endroit enfin ou peut-être on s’arrêtera. Puis, en approchant, on se rend compte que c’est un bouquet d’arbres. Peu à peu, la nuit se dissipe et pourtant on ne s’arrête pas. Il y a dix-huit heures que nous avons quitté Birkenau. La colonne de prisonniers s’allonge démesurément sur la route[12].
Voir un dessin publié dans le livre d’A. Rogerie
Dans la mesure du possible, toutefois, les déportés partaient avec des effets personnels (même réduits au strict minimum) et une réserve de nourriture[13]. Denise Holstein fut évacuée d’Auschwitz le 30 décembre 1944. Les laissa-t-on partir à pied, sans rien, dans le froid ? Nullement :
C’est vraiment le départ. Nous avons le droit à une douche et à des vêtements. De vrais vêtements, pas des guenilles. Je me retrouve même, à ma grande surprise, vêtue d’un superbe manteau gris. Nous prenons le train. Des wagons à bestiaux, bien sûr, et soixante par wagon. Mais nous partons ! [14]
A son arrivée à Bergen-Belsen, le manteau gris et l’écharpe qu’elle portait sur la tête lui furent repris par un gardien. « En fait, il récupère ces vêtements pour d’autres “transports” », écrit-elle avec honnêteté (p. 79). Preuve que les Allemands faisaient leur possible pour humaniser les évacuations..
Certains convois comportaient même un wagon transformé en infirmerie afin d’accueillir ceux qui tomberaient malades pendant le transfert, ce que l’on ne dit jamais[15].
Mais l’endommagement rapide des voies de communication suite aux bombardements alliés gêna ces transferts. Les trains de déportés s’arrêtaient souvent, se voyaient déroutés et, parfois, étaient contraints de s’arrêter définitivement suite aux bombardements.
C’est ainsi, par exemple, qu’en février 1945, des évacués de Dora furent tout d’abord chargés dans des wagons mais durent terminer le voyage à pied suite à une attaque aérienne[16].
D’autres convois parvenaient tout de même à destination, mais la vitesse réduite des convois et les longs arrêts observés à cause des bombardements rendaient le voyage très long. Un évacué de Dora raconte qu’il circula sept jours et précise :
Voyage épouvantable sans but précis. On nous a “promenés” ainsi à travers toute l’Allemagne. Partout où nous arrivions, les camps étaient archicombles [17].
Il échoua finalement à Bergen-Belsen.
Lors de son procès, l’ancien commandant de ce camp, J. Kramer, confirma que certains déportés évacués de l’Est arrivaient après un voyage de huit à quatorze jours sur des wagons à plate-forme, d’où une mortalité très élevée parmi eux[18].
La vérité sur le « train de la mort » découvert à Dachau par les Alliés
Le cas le plus connu reste celui du convoi parti de Buchenwald le 7 avril 1945 avec plus de 5 000 détenus et dirigé sur Dachau. Il confirme les affirmations du juge Morgen à propos des « camps surpeuplés » et des transports d’ « une durée très longue, et qui n’avait pas été prévue, […] provoquée par les attaques aériennes ».
En temps normal, en effet, ce voyage d’un peu plus de 300 km aurait dû s’achever en une journée. Mais dans les conditions d’apocalypse qui régnaient en Allemagne à cette époque, le train arriva à destination.. 21 jours plus tard, dans la nuit du 27 au 28 avril 1945.
Sans surprise, la mortalité était effroyable : seuls un peu plus de 800 déportés étaient encore en vie[19].
Comble de malchance, à cette époque, Dachau était surpeuplé : l’effectif était passé de 5 044 le 24 novembre 1944 à 65 613 le 22 avril 1945[20]. Par conséquent, les autorités étaient totalement débordées, et ne pouvaient faire grand chose. En outre, depuis le 27 avril dans la soirée, le camp était en pleine procédure d’évacuation, une procédure qui s’acheva le lendemain dans la matinée[21]. Telles sont les raisons pour lesquelles le train et une partie des cadavres furent abandonnés là.
L’affaire du train de Buchenwald était donc une conséquence directe des conditions apocalyptiques qui régnaient en Allemagne dans les dernières semaines du conflit. Suite à la désorganisation générale, il était arrivé trop tard et dans un état lamentable.
Mais tout comme à Bergen-Belsen, cette vérité n’intéressait pas le vainqueur.
Lorsque, le 29 avril, les Américains arrivèrent sur les lieux et découvrirent le convoi, ils saisirent l’occasion pour alimenter leur propagande à base « d’atrocités nazies ».
Un fonctionnaire du CICR, présent sur les lieux, raconte :
Bientôt, nous fûmes entourés par diverses automobiles militaires américaines. Je me présentai. Le général me pria tout d’abord d’aller prendre quelques photos de presse en compagnie de l’officier allemand et en particulier celle d’un train tout rempli de cadavres. Ainsi que je l’ai appris par la suite, c’était un train de prisonniers de Buchenwald ; il y avait là 500 cadavres [Ibid., p. 151].
Sans surprise, les clichés du « train » firent le tour du monde. Mais rien ne fut dit sur le contexte de l’époque : l’Allemagne épuisée, les problèmes de ravitaillement, les attaques aériennes massives, un système de communication effondré..
Dans le Magazine de France, ainsi, un cliché du train fut publié avec la légende suivante (p. 38) :
Il arrivait quelquefois que la belle « organisation allemande » se trouvât en défaut. Ce train, chargé de déportés, au moment de l’évacuation du camp de Buchenwald, fut « oublié » sur une voie : c’est là que les troupes alliées en retrouvèrent les restes !
Cette légende cachait le fait que le train avait voyagé pendant trois semaines (ce qui aurait suffi pour s’apercevoir que le système de communication était brisé) et qu’en 1945, on ne pouvait absolument plus parler de « belle organisation allemande » !
Himmler donne l’ordre de ne plus évacuer les camps..
Quoi qu’il en soit - et même s’il ignora le cas du « train » de Buchenwald - Himmler donna finalement l’ordre de ne plus évacuer les camps.
A Nuremberg, R. Höss déclara qu’au moment de vider totalement Buchenwald :
Le Reichsfürer donna l’ordre de ne plus faire aucune évacuation. Seuls les détenus de marque ne devaient en aucun cas tomber aux mains des Alliés et devaient être transférés ailleurs. C’est ce qui se produisit pour Buchenwald [TMI, XI, 418-9].
Son témoignage corroborait celui de Walter Schellenberg, l’ancien chef de l’Amt VI du RSHA (un bureau secret d’information qui travaillait à l’étranger), selon lequel H. Himmler avait promis aux autorités officielles alliées « que les camps de concentration ne seraient pas évacués en raison de la situation désastreuse » (TMI, IV, 390).
Bien qu’aucune date ne soit donnée, on peut penser que cette promesse fut faite au début avril 1945.
.. mais un ordre contraire est donné après les incidents de Weimar
Mais soudainement, tout changea : dans la deuxième moitié du mois d’avril, des ordres d’évacuation immédiate furent émis. De grands camps comme Oranienburg, Sachsenhausen ou Ravensbrück furent partiellement ou totalement vidés. Que s’était-il passé ?
A Nuremberg, R. Höss donna l’explication :
Lorsqu[e Buchenwald] fut occupé [par les Alliés], le Führer reçut un rapport disant que des détenus s’étaient emparés d’armes et avaient exécuté des pillages dans la ville de Weimar » (TMI, XI, 419).
En vérité, les anciens détenus ne s’étaient pas contentés de piller : ils avaient violemment battu 80 gardiens (voir cliché 1 ; voir cliché 2), dont certains à mort, et assassiné des civils allemands dans la ville de Weimar[22].
Le comportement des détenus libérés à Buchenwald ne saurait étonner.
Un fonctionnaire du CICR qui assista à la libération de Mauthausen[23] et qui vit le camp sombrer dans le chaos (anciens gardiens battus, cuisines et dépôts pillés par une meute hurlante, bagarres pour le butin) conclut :
Subitement libérés, ces détenus se comportaient comme une horde de sauvages [24].
Dans un rapport sur la libération de Dachau, un autre fonctionnaire de la Croix-Rouge raconte :
[Le commandant du camp] avait l’intention, lui et ses soldats, d’abandonner le grand camp de 35 à 40 000 prisonniers et ce n’est qu’après de longs pourparlers que je réussis à lui faire changer d’avis, mais aux conditions suivantes :
[Jusqu’à l’arrivée des Américains :]
Les sentinelles devaient rester sur les tours afin de tenir en échec les prisonniers et de les empêcher de s’enfuir ;
[…] ;
Toute cette garnison devait avoir la retraite assurée vers ses propres lignes de bataille.Ces conditions furent heureusement observées, car autrement, il serait arrivé un grand malheur ; si des milliers de déportés avaient pu s’évader, animés de sentiments de vengeance, la population de Dorten et toute la région avoisinante auraient eu à souffrir [Voy. Documents sur.., p. 151].
Plus loin, l’auteur déclare qu’après l’arrivée des Américains :
La joie des déportés ne connut plus de bornes, beaucoup se présentèrent en armes et prêts, semblait-il, à exercer une vengeance immédiate contre les Allemands. Ceux qui portaient des armes furent immédiatement désarmés[25].
Pour qui connaît ces faits, les événements survenus à Weimar ne surprennent nullement ; je dirai même qu’ils sont compréhensibles. Quoi qu’il en soit, la réaction d’Hitler fut immédiate. R. Höss se souvient :
Le Führer donna alors à Himmler l’ordre d’empêcher qu’à l’avenir les camps ne tombent aux mains de l’ennemi et de transférer au préalable les détenus dans d’autres camps. Ceci se passait très peu de temps avant la fin de la guerre, peu avant que le nord de l’Allemagne fût séparé du sud [TMI, XI, 419].
Telle est donc l’origine des dernières évacuations. Il ne faut pas y voir une prétendue volonté allemande d’exterminer les détenus (sans quoi, il aurait été plus facile de les fusiller dans les camps..), mais une réaction d’Hitler suit aux débordements survenus à Weimar.
DES CRIMES QU’IL FAUT REPLACER DANS LE CONTEXTE
L’effondrement du réseau ferré cause de nombreux drames
Sans surprise, la plupart de ces évacuations furent terribles.
Dans une atmosphère d’apocalypse, des trains partirent bondés de prisonniers. Mais avec l’effondrement définitif du système de communication, de nombreux convois, sans cesse arrêtés et/ou déroutés, errèrent pendant plusieurs semaines, avec les dramatiques conséquences qu’on imagine (voir un exemple de trajet fait par des évacués).
Dans un rapport rédigé le 22 mai 1945, un fonctionnaire du CICR écrivit :
[…] j’ai signalé dans mon rapport du 23 avril l’existence de trains de déportés errant dans les parages de Theresienstadt. Le 4 mai, je les ai trouvés dans les gares avoisinantes et les ai dirigés sur Theresienstadt. Trois trains y sont arrivés le 6. Ils « tournaient en rond » depuis plusieurs semaines et sur 2 500 hommes et 600 enfants au départ, nous avons dénombré 1 800 homme et 180 enfants ; les autres étaient morts au cours du voyage [Documents sur.., op. cit., p. 132].
Le cas des « marches de la mort »
Pendant ce temps, des dizaines de milliers de déportés déjà affaiblis partaient sur les routes, presque sans ravitaillement, le pouvoir en place n’ayant même plus suffisamment à donner à son peuple.
Dans certains cas, les autorités allemandes avaient fait le nécessaire pour que la Croix-Rouge puisse intervenir.
A Oranienburg, par exemple, le CICR avait été averti de l’imminence de l’évacuation et avait été prié « d’apporter des vivres aux évacués »[26]. Un adjoint du commandant du camp avait en outre révélé à la Croix-Rouge le chemin que devaient prendre les déportés afin que ceux-ci puissent être ravitaillés en route.
Pendant quatre jours et quatre nuits, ainsi, des camions du CICR ne cessèrent de rouler, apportant aux colonnes des vivres pris à Wagenitz[27]. A Ravensbrück également, le commandant indiqua à la Croix-Rouge l’itinéraire que les évacuées issues des pays de l’Est - les « Oestliche » - prendraient[28]. Il assura qu’au départ, chaque déportée « aurait avec elle un colis Croix-Rouge » et invita le fonctionnaire du CICR « à venir voir les colonnes en marche et à visiter les lieux d’étape »[29].
Ces appels à la Croix-Rouge confirment que les évacuations n’avaient pas été décidées pour exterminer les derniers déportés.
La Croix-Rouge se démène pour ravitailler les déportés
Pendant des jours et des jours, le CICR sillonna les routes à la recherche d’évacués à ravitailler.
Un délégué rencontra une colonne au sein de laquelle des hommes n’avaient reçu qu’une poignée de froment depuis trois jours ; les pauvres hères se jetèrent à genoux en pleurant et le supplièrent ne les pas les abandonner à la mort ; l’un d’entre eux raconta que la veille, la moitié de l’effectif avait reçu trois pommes de terre par personne mais que, durant la nuit, les déportés russes de la colonne « s’étaient livrés à une attaque […] sur leurs camarades et leur avaient tout pris » (Ibid., p. 118).
A cette époque, de tels vols étaient courants dans les colonnes.
A. Rogerie écrit :
J’ai toujours eu pour habitude, dans mes pérégrinations, de manger quand je le pouvais, jusqu’à satiété. Je veux dire par là que si l’on m’avait donné de la nourriture pour huit jours, je l’aurais consommée aussitôt sans m’occuper de division mes portions en huit parts égales, ceci pour deux raisons : […] la deuxième, c’est que j’ai rarement vu un prisonnier faire des réserves sans qu’elles lui soient volées[30].
Un autre délégué du CICR raconta qu’il avait ravitaillé une colonne en provenance de Buchenwald. Les déportés marchaient depuis 21 jours et n’avaient rien mangé depuis cinq jours.
L’homme se souvient :
Dès que j’ai eu l’autorisation de distribuer les vivres, j’ai fait interdire l’accès au camion et laissé passer les hommes un par un pour toucher leur colis et entrer dans le pré voisin pour le manger. Les Russes les premiers se sont jetés sur cette nourriture. C’est à grand peine que les gardiens les contenaient, sans quoi le camion eût été mis en pièces […]. Le corps amaigri, fatigués et pouilleux, mais les yeux graves, enfoncés dans les orbites, tous manifestaient la joie de pouvoir enfin manger à leur faim.
Les Français et les Polonais restaient à l’écart, très dignes, et passèrent ensuite tranquillement, sans hâte […]. Nous leur avons distribué 807 colis [Voy. Documents sur.., p. 145].
Mais malgré ses efforts méritoires, le CICR se trouva rapidement dépassé devant la masse des évacués. En outre, de nombreux déportés ne virent jamais l’ombre d’un camion de la Croix-Rouge. C’est ainsi que pour survivre, certaines colonnes affamées « réquisitionnaient elles-mêmes les chevaux épuisés des réfugiés, les abattaient et se répartissaient la viande » (Id.).
Le cas des déportés épuisés achevés
Quant à ceux qui, exténués, ne pouvaient plus suivre, beaucoup furent, dans les premiers jours, achevés d’une balle dans la tête[31].
Aujourd’hui, naturellement, ces assassinats sont présentés comme des preuves supplémentaires de la « barbarie nazie », de la « cruauté des SS » et du fait que l’objectif des Allemands aurait été, jusqu’à la fin, d’éliminer tous les déportés.
Toutefois, il convient d’être prudent et de ne pas formuler hâtivement des jugements généraux.
Dans un premier temps, je souligne qu’on aurait tort de croire que toujours et partout, les épuisés étaient assassinés.
Un fonctionnaire du CICR qui circulait en Allemagne écrit :
A la sortie de Neuruppin, à une quinzaine de kilomètres de Wittstock, les colonnes s’étaient passablement étirées. On rencontrait régulièrement de petits groupes de cinq à six détenus qui n’en pouvaient plus. La garde de ces groupes était confiée à un SS […].
J’ai transporté (et ravitaillé au moyen des colis que j’avais pris dans ma voiture) plusieurs de ces groupes dans ma voiture de Neuruppin à Wittstock. Rencontrant le chauffeur qui venait d’effectuer une distribution de colis dans la forêt de Below (emplacement du camp) je le chargeai d’aller recueillir avec son camion tous ces moribonds [Ibid., p. 119].
Un autre délégué vit « des gens à demi-morts de fatigue dans les haies avec un gardien fusil baissé » (Ibid., p. 147).
Si, comme on l’affirme trop souvent, les épuisés avaient immédiatement été tués d’une balle dans la nuque, jamais ces deux fonctionnaires du CICR n’auraient pu apporter de tels témoignages..
En vérité, dans cette période de complète anarchie, aucun ordre supérieur précis ne semblait émis, connu ou suivi. Les hommes réagissaient très différemment suivant leur caractère et les circonstances[32].
Ce fait ne saurait surprendre : n’oublions pas que dans les derniers temps, des uniformes SS avaient été donnés à des personnes d’origines très diverses, des personnes qui ne peuvent en aucun cas être comparés aux Allemands formés dans les écoles d’Himmler.
Ainsi, lorsque le commandant d’Oranienburg, le Standartenführer Keindel, apprit les tueries commises lors des évacuations :
[Il] répondit qu’il était peut-être possible que les soldats SS eussent abrégé les souffrances de quelques détenus qui ne pouvaient plus avancer et qu’il s’agissait-là en somme que d’un acte humain […]. Il avoua que certains soldats SS allaient peut-être trop vite en besogne mais qu’il fallait tenir compte que la plupart d’entre eux étaient des « Volksdeutsche » (Hongrois, Roumains, Ukrainiens, Lettons, etc.), et que ces gens là avaient une autre mentalité [Ibid., p. 116].
Voir le cliché d’un déporté devenu kapo et condamné à la fin de la guerre
Nous verrons d’ailleurs plus bas que, loin de se satisfaire de cette explication, Keindel donna l’ordre de faire cesser les tueries.
Un autre témoignage d’un délégué du CICR est encore plus important. Après avoir constaté que, lors des évacuations, la garde des retardataires était confiée « à un SS », il explique :
Souvent, c’étaient des condamnés de droit commun qui surveillaient ces groupes. Lors de l’évacuation du camp, ils avaient été revêtus de l’uniforme des SS, ils avaient reçu des fusils et avaient pour mission de renforcer la garde des SS. Ces personnages étaient craints des déportés autant que les véritables SS [Ibid., p. 119].
Une confirmation partielle de ce témoignage peut être trouvée dans un autre rapport de la Croix-Rouge.
Son auteur, qui assista à l’évacuation d’Oranienburg, écrit :
Cinq cents détenus formaient un « Pulk » ou un « Trek » et étaient soumis à l’autorité d’un commandant SS. Une garde très serrée fut exercée par les SS qui, peu de temps auparavant, avaient vêtu un grand nombre de détenus de droit commun allemand de l’uniforme de la Wehrmacht pour les utiliser comme personnel auxiliaire de garde [Ibid., p. 120].
Sur la fin, donc, l’Allemagne aux abois, l’Allemagne qui n’avait plus d’hommes à sa disposition, cette Allemagne, enrôla tous les individus plus ou moins « germaniques » qui pouvaient encore lui servir. Elle alla même jusqu’à utiliser d’anciens déportés allemands en les revêtant d’uniformes de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS !
Certes, on ne peut que condamner cette façon d’agir, car on ne donne pas la garde de prisonniers à des individus souvent peu fréquentables. Mais il ne faut pas oublier les conditions qui régnaient alors.
En outre, quand on sait cela, il convient de se méfier des généralisations abusives (du genre : tous les exténués étaient assassinés sans exception) et des accusations hâtives lancées pour les crimes commis lors des évacuations (du genre : tous les crimes ont été commis par des SS formés dans les écoles d’Himmler).
Des Allemands que rien n’encourageait à la clémence
Mais j’entends déjà l’exterminationniste lancer :
Je vois ! Lorsque vous ne pouvez pas contester les crimes commis sous le commandement SS des camps, vous les imputez à d’autres (prisonniers, Roumains, Lettons). C’est trop facile ! »
Je lui répondrai qu’il se trompe : je n’innocente pas les SS, car je n’ai pas la naïveté de croire qu’en ce bas monde, un groupe idéal puisse exister.
Mais une fois encore, je mets en garde contre les jugements formulés hâtivement et trop facilement.
Aujourd’hui, il est aisé, lorsqu’on est bien au chaud chez soi, dans un pays en paix, avec la certitude de revoir le soir sa famille, de juger le comportement d’un Allemand - SS ou pas - en 1945.
Je rappelle qu’à cette époque, le Reich était à l’Ouest bombardé tous les jours par les avions anglo-américains (pour plus d’informations, voir l’article « la guerre aérienne des alliés ») et à l’Est envahi par les hordes soviétiques.
Chaque jour parvenaient des nouvelles horrifiantes : villes écrasées sous les bombes ; femmes, enfants et vieillards gisant sous les décombres ; viols et saccages en Silésie etc (voir photo de femmes violées et assassinées ci-dessus).
Pour les atrocités soviétiques, bien que Hitler ait demandé « une certaine retenue » dans la diffusion des informations[33], le peuple ne les ignoraient pas. J. Geobbels écrit :
Les atrocités sont tellement épouvantables qu’on ne doit pas les cacher au peuple. Le cœur se fige dans la poitrine quand on lit les rapports à ce sujet [Id.].
On pouvait d’autant moins les cacher que le 28 mars 1945, les médecins allemands reçurent un arrêté autorisant les interruptions volontaires de grossesse pour les femmes qui avaient été violées par des Soviétiques (Ibid., p. 279). C’est dire l’ampleur du mal..
Quant aux bombardements de terreur, les résultats étaient si visibles que toute la population les connaissait (voir photo).
De très nombreux Allemands, d’ailleurs, y avaient perdu au moins un membre de leur famille.
Maintenant, je pose ces questions : quels pouvaient être les sentiments d’un gardien de camp de concentration qui, en 1945, voyait plusieurs fois par semaine les images des villes rasées, des femmes et des enfants gisant sous les décombres ? Quels pouvaient être ses sentiments lorsqu’il apprenait la destruction de Dresde, une ville bondée de réfugiés, et lorsqu’il voyait les images des cadavres entassés sur les bûcher en plein air ? Quels pouvaient être ses sentiments lorsqu’il apprenait que les femmes et les filles de son peuple subissaient les pires outrages à l’Est, qu’on en retrouvait clouées nues sur des roues de chariots ou pendues par les pieds et éventrées ?
Dans son journal, J. Goebbels écrit :
Les atrocités soviétiques qui ont été publiées ont soulevé partout de la fureur et le désir de vengeance (Ibid., p. 249).
C’est sans doute vrai. Certains, d’ailleurs, assouvirent ce désir dans des discours. S’adressant la veille de Nöel 1944 aux déportés du commando de Blumenthal, le régisseur du camp leur lança :
Quand vous regardez, malgré ma défense, passer les avions criminels de nos ennemis, avec une joie visible, nous nous réjouissons aussi de penser que nos escadrilles exercent leurs représailles chez vous.
Nous avons beaucoup de maisons et de foyers détruits, nos femmes et nos enfants innocents meurent chaque jour. Chez vous aussi il en est ainsi et j’espère que, si vous retournez un jour, vous aurez à contempler des ruines et à pleurer vos morts[34].
Mais surtout, ces bombardements et ces atrocités qui touchaient des civils firent que de nombreux allemands relativisèrent à leur tour la mort chez les civils ennemis.
Ainsi, neuf jours après le drame d’Oradour-sur-Glane, où plus de 500 femmes et enfants avaient perdu la vie, le représentant de J. Goebbels à Limoges, M. Sahm déclara :
En ce qui concerne ce qui s’est passé à l’église, où les femmes et les enfants avaient été envoyés pour y être mis en sécurité, nous ne comprenons pas ce qui est arrivé, nous essayons de le savoir !..
Après tout, Messieurs, il y a davantage de femmes et d’enfants victimes des bombes anglaises qu’à Oradour[35].
Il en alla de même lors de l’évacuation des camps : lorsque le commandant d’Oranienburg reçut les protestations d’un délégué de la Croix-Rouge suite aux assassinats constatés les premiers jours, il évoqua, lui aussi, les morts beaucoup plus nombreux causés par les bombardement alliés.
Dans un rapport, un délégué du CICR écrit :
Keindel ne comprenait pas que l’on fasse tant de bruit pour quelques morts, alors qu’on ne disait rien des « Terrorangriffen » dont était victime l’Allemagne et il parla encore du bombardement de Dresde[36].
De façon évidente, le gardien SS, lors des évacuations, avait à l’esprit les images des bombardements de terreur et des atrocités soviétiques. Par conséquent, il était peu enclin à éprouver des sentiments de charité. Et lorsqu’il frappait un détenu trop lent à son goût ou qu’il achevait un déporté exténué, il pouvait facilement justifier son acte en se disant : « Ils font bien pire, ceux de son camp ; ils massacrent nos femmes et nos enfants innocents par dizaines de milliers. Alors.. ».
La paille et la poutre
Certes, je sais que d’un point de vue moral, cette réaction est injustifiable. Mais elle est - hélas - humaine.
Je rappelle que, pendant l’Épuration en France, des maquisards justifièrent les sévices dont ils se rendirent coupables en alléguant que les « boches » et les « milicos » avaient fait pire[37]. Je rappelle également qu’à partir d’avril 1945, ceux qui lancèrent des appels à la haine et au meurtre des Allemands se justifièrent en arguant que les « boches » étaient d’immondes criminels.
C’est Bernard Lecache qui, le 27 avril 1945, écrivit :
Les trucs philosophiques ou les doctrines de charité, tout l’édifice puéril de l’incrédulité systématique et du pardon à tout prix, s’écroulent devant une photo de reporter ou le rapport sans détour d’un « rapatrié » d’Allemagne […].
Et l’auteur de lancer :
Épurez l’Europe […] avec des bombardiers lourds et des tanks [38].
C’est également Albert Missoul qui publia une brochure truffée de clichés pris à la libération des camps et dans laquelle on lisait :
L’agence Reuter annonce que les opérateurs de cinéma du monde entier sont sur place, pour filmer dans leurs moindres détails les horreurs des camps de concentration nazis. Il faut, est-il ajouté, que le monde sache, que le monde se rende compte de la barbarie hitlérienne […].
Oui, il faut. [En publiant cette brochure] Nous obéissons à une impulsion, à un devoir : celui de faire haïr l’Allemagne sur toute la surface du globe. Voilà pourquoi nous avons dévoilé les tortures, pourquoi nous avons montré ces photos hallucinantes […].
Terminons sur une parole d’un des soldats britanniques - un entre mille ! - interrogé par Joe Illingworth, correspondant de guerre du Yorkshire Post :
Ceci n’a plus rien d’humain. Chaque soldat britannique devrait voir ce spectacle. Et alors, il saurait ce qu’est la “non-fraternisation”. Je n’ai jamais aimé les Allemands, mais maintenant ma colère est brutale et sans pardon. Non, je ne les ai jamais aimés, mais je n’ai jamais eu pour eux de haine particulière. Aujourd’hui, je dis et je crie : “Tuez-les tous !” »[39].
Certains me répondront que tous les Allemands n’ont pas été tués. C’est vrai. Mais tous les déportés n’ont pas non plus été tués, loin s’en faut. Et on ne saurait prétendre que les survivants durent la vie au fait que les SS n’auraient pas eu le temps de les éliminer.
Car l’explication est ailleurs : lorsqu’ils furent mis au courant des tueries commises au début des évacuations, le commandant d’Oranienburg, le Standartenführer Keindel, et le chef de l’administration interne du camp principal, Höhn, donnèrent l’ordre de cesser ces assassinats[40].
Dans un rapport sur « le ravitaillement des évacués d’Oranienburg et de Ravensbrück », un délégué du CICR écrit :
Grâce aux efforts des délégués, les fusillades cessèrent en effet presque complètement au cours des derniers jours [Ibid., p. 124].
CONCLUSION
Par conséquent, seul l’homme de mauvaise foi peut prétendre trouver dans les assassinats de déportés commis lors des évacuations la preuve que le national-socialisme et les Waffen-SS auraient été intrinsèquement criminels et que l’objectif des Allemands serait resté, jusqu’à la fin, l’élimination totale des détenus.
En avril 1945 :
- Les gardiens des camps ne formaient plus un corps homogène de SS, ils formaient un groupe très disparate dans lequel, par la force des choses, se trouvaient des individus douteux ;
- L’Allemagne n’était plus nationale-socialiste, elle était dans le chaos et survivait au jour le jour, loin de tout considération doctrinale ;
- Face aux atrocités soviétiques et aux bombardements de terreur qui tuaient des centaines de milliers de civils allemands innocents, beaucoup de SS n’étaient plus enclins à éprouver des sentiments de charité. Ils commirent donc individuellement des crimes. Toutefois, ces crimes ne sauraient être reliés à un prétendu ordre supérieur pour une extermination ; ils étaient la conséquence regrettable de la situation du moment.
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[1] Voy., par exemple, Les Izvestia, 8 mai 1945. On y déclarait que les Soviétiques avaient interrogé et examiné « 2 819 prisonniers sauvés par l’Armée Rouge » (voy. la traduction de l’article publié dans Le Choc. 1945. La presse révèle l’enfer des camps nazis [éd. de la FNDIRP, 1985], pp. 63, col. A et 71, col. B).
[2] Voy. CICR, Documents sur.., pp. 120 et 125. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
[3] Voy. The Belsen trial.., p. 200. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
Voy. le Catalogue alphabétique.., op. cit., p. 334. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
[4] voy. L’impossible oubli. La déportation dans les camps nazis [éd. de la FNDIRP, 1989], pp. 80 et 81. Voy. également Les horreurs des camps.., p. 10. Dans ce document, il n’est question que de « 150 déportés » (Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités).
[5] Voy. Mémoire des camps. Photographies des camps de concentration et d’extermination nazis (1933-1999) [éd. Marval, 2001], pp. 134-5.
[6] Voy. Mémoire des camps.., p. 139. D’après les auteurs, le cliché montre des « survivants de Thekla se retrouvant et se consolant mutuellement devant les corps carbonisés de leurs camarades ».
[7] Voy. C’était il y a 20 ans. La libération des camps de la mort, (éd. de la FNDIRP, janvier 1965), p. 87.
[8] Voy., par exemple, Le Magazine de France, numéro spécial consacré aux « crimes nazis » (1945), p. 38.
[9] Voy. C’était il y a 20 ans.., p. 86.
[10] On peut aisément constituer une liste des commandos évacués avant l’arrivé des Alliés en consultant le Catalogue alphabétique.. En voici quelques-uns, avec leur fonction et leur date d’évacuation :
Frankfurt/Main (travaux d’armement, déblaiement de ruines : évacuations à partir du 22 octobre 1944) ;
Eisenberz (travail pour l’usine « Alpine Montanewerke AG » : décembre 1944) ;
Blechhammer (chantiers divers : 21 janvier 1945) ;
Baubrigade 13 (pose de lignes de chemin de fer : 26 mars 1945) ;
Allendorf (fabrique de munitions ; 27 mars 1945) ;
Ahiem (fabrique de masques à gaz : 10 avril 1945) ;
Belzig (usines de munitions : 24 avril 1945)…
[11] Voy. L’impossible oubli.., pp. 80-1. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
[12] Voy. A. Rogerie, op. cit., p. 86. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
[13] Voy., par exemple, le témoignage d’H. Désirotte qui fut évacué de Blumenthal (un commando de Neuengamme) début 1945 : « Nous sommes mis en rangs par cinq et partagés par groupes de cent hommes. Nos bagages consistent en deux couvertures, une gamelle et une cuiller » (H. Désirotte, op. cit., p. 67. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.). Voy. également le témoignage d’A. Rogerie qui fut évacué d’Auschwitz en janvier 1945. Il écrit : « En travers le corps, j’ai attaché deux couvertures. Je n’ai pas de sac et je le regrette bientôt car on liquide le stock de vivres et je reçois deux pains d’un kilo et demi, une boîte de conserve et un tiers de pain de margarine ». (A. Rogerie, op. cit., p. 86). De son côté, un autre déporté à Auschwitz, Guy Kohen, évoque au moment de l’évacuation la « mise à sac des stocks du camp qui ne représentaient pour ainsi dire plus rien, [la] distribution des quelques vêtements qui se trouvaient encore au magasin, [la] répartition des couvertures etc. » (G. Kohen, op. cit., p. 100. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.). Voy. enfin le témoignage de Josef Klippel, qui gardait un convoi parti de Dora début février 1945. A son procès il déclara : « Je devais surveiller deux wagons qui contenaient de la nourriture » (I had to look after two wagons wilth food ; voy. The Belsen trial.., op. cit., p. 280). Lorsque le train dut s’arrêter (j’y reviendrai plus loin) il distribua « autant de nourriture que les déportés pouvaient en emporter » ([I] distributed as much food among the prisoners as they could carry before they left ; Id.).
[14] Voy. D. Holstein, Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz (Éditions n° 1, 1995), p. 76.
[15] Voy., par exemple, le témoignage de Franz Hoessler. A propos du transport parti de Dora, il déclara : « Oui, le dernier wagon du train était un wagon de ravitaillement dans lequel un docteur ou des auxiliaires médicaux voyageaient avec des médicaments. Si une personne tombait malade pendant le voyage, nous devions la mettre dans ce wagon » (voy. The Belsen trial.., op. cit., p. 205).
[16] Voy. The Belsen trial, op. cit., p. 280, interrogatoire de Josef Klippel : « At Osterode we found that the rails had been damaged by bombs so the train could not go on, and the prisoners had to march off under a guard » (A Osterode, nous découvrîmes que les rails avaient été endommagés par des bombes, donc que le train ne pouvait continuer, et les prisonniers durent marcher surveillés par un garde »). Voy. aussi p. 200, interrogatoire de Franz Hoessler : « I told [Kramer] that I had met prisoners on the road because their train have been dive-bombed » (J’ai dit à [Kramer] que j’avais rencontré les prisonniers sur la route parce que leur train avait été bombardé en piqué).
[17] Voy. Joseph Wilkens, Dans l’enfer de Dora (éd. Seine et Meuse, s. d. [1945]), p. 75.
[18] « The number of sick has greatly increased, particulary on account of the transports of detainees, wich have arrived from the East in recent times - these transports have sometimes spent eight to fourteen days in open trucks. […] on one occasion, out of a transport of 1 900 detainees over 500 arrived dead. » (Le nombre de malades augmenta grandement, particulièrement à cause des transports de détenus venus récemment de l’Est - ces [transportés] avaient parfois passé de huit à quatorze jours dans des camions ouverts. […] une fois, sur un transport de 1 900 détenus, plus de 500 arrivèrent morts ; Ibid., p. 165.)
[19] Voy. Mémoire des camps.., p. 150.
[20] Voy. le Catalogue alphabétique.., op. cit., p. 85.
[21] Voy. Documents sur.., op. cit., rapport d’un membre du CICR qui avait été envoyé à Dachau, pp. 146-7.
[22] Voy. Mark Weber, « Buchenwald : légende et réalité », paru dans Akribeia, n° 4, mars 1999, pp. 17-18.
[23] E. Kaltenbrunner avait donné des ordres pour qu’il ne soit pas évacué : voy. TMI, XI, 293 : « je pense à Mauthausen, où j’avais donné l’ordre de remettre le camp entier à l’ennemi ». Voy. également le doc. Kr-2, interrogatoire de Wilhelm Höttl : « Question n° 12. - Savez-vous si Kaltenbrunner a ordonné au commandant du camp de concentration de Mauthausen de remettre ce camp aux troupes qui approchaient ? Réponse. - Il est exact qu’il a donné un tel ordre […] » (Ibid., p. 239).
[24] « Des détenus armés gardent leurs bourreaux [comprenez : gardiens] désarmés. Les coups de crosse pleuvent sur les anciens maîtres du camp. Les détenus sortent des baraques en criant, en hurlant […]. Le chaos régnait dans le camp. Les détenus envahissaient les cuisines, pillaient la Kommandantur. Les hommes s’affublaient de plusieurs paires de pantalons, se disputaient une boîte de conserves. C’était un va-et-vient inimaginable. Subitement libérés, ces détenus se comportaient comme une horde de sauvage (Voy. Documents sur.., p. 142).
[25] Ibid., pp. 151-2. Notons que le rapport tel qu’il est publié dans l’ouvrage de la Croix-Rouge ment : il cache le fait que, malgré les promesses faites, les soldats allemands ne purent regagner leurs lignes de bataille ; ils furent sommairement assassinés par les détenus et les Américains (sur ce massacre, voy. le témoignage d’un témoin, le colonel américain Howard A. Buechner, paru sous le titre : Dachau, The Hour of the Avenger [Thunderbird Press, Inc., Metairie, 1992]).
[26] Voy. le rapport d’un délégué du CICR sur les évacués d’Oranienburg. On lit : « En date du 19 avril 1945 […], l’Obersturmbannführer Höss, faisait savoir au chef de la délégation du CICR à Berlin, que le camp de concentration d’Oranienburg allait être évacué d’un moment à l’autre. et priait la délégation du CICR d’apporter des vivres aux évacués » (Documents sur.., p. 111).
[27] Voy. le rapport d’un délégué du CICR sur l’évacuation du camp d’Oranienburg : « Ces indications [itinéraire des évacués] m’ont été données par un adjudant du Commandant du camp. Ma tâche consistait à ramener des colis de vivres par des camions de la Croix-Rouge vers les colonnes de détenus qui, la plupart du temps, n’étaient pas ravitaillées par les SS. J’ai procédé à ce ravitaillement au moyen des réserves constituées à Wagenitz. Pendant quatre jours et quatre nuits, les camions roulèrent […] » (Documents sur.., p. 121).
[28] Les « Westliche » quant, à elles, devaient être évacuées soit par train, soit par les cars de la Croix-Rouge suédoise (Ibid., p. 113).
[29] Voy. le « Rapport d’un délégué du CICR sur sa visite au camp de concentration de Ravensbrück pour tenter d’en empêcher l’évacuation » : « [Le commandant] avait déjà établi son plan d’évacuation, qu’il me tendit. Sur une carte murale, il désignait les différentes étapes que devaient suivre les colonnes de détenues […]. Les étapes étaient de 25 à 40 km par jour […]. Suhrens m’assura que des cantonnements et des cuisines étaient déjà installées aux différents endroits. Chaque femme aurait avec elle un colis Croix-Rouge […]. J’étais autorisé à revenir quand je voulais, j’étais même invité à venir voir les colonnes en marche et à visiter les lieux d’étape » (Ibid., pp. 113 et 117).
[30] Voy. A. Rogerie, op. cit., p. 90.
[31] Voy. les rapports des fonctionnaires du CICR. On lit : « Jusqu’au troisième jour de l’évacuation, les corps des détenus fusillés restèrent sur le bord de la route et dans les forêts […]. L’examen d’un grand nombre de cadavres a révélé que toutes les victimes avaient été liquidées d’une balle dans la tête » (Ibid., p. 122). « En même temps, nous reçûmes des informations sur les fusillades en masse des détenus incapables de marcher, malades etc. Le délégué et deux de ses collaborateurs ont eux-mêmes vu les cadavres et ont pu constater incontestablement que les victimes étaient décédées par suite de coups de feu tirés dans la nuque ou dans la bouche » (Ibid., p. 124).
[32] Anecdote révélatrice de cet état de fait : près de Neuruppin, 500 évacués d’Oranienburg s’étaient arrêtés quelques heures dans une grange. Au moment de partir, 14 d’entre eux, trop épuisés, ne purent continuer. Loin de les achever, les gardiens les laissèrent là, endormis. Mais lorsque, par la suite, une autre colonne arriva, les 14 malheureux furent traînés hors de la grange et fusillés pour « désertion » (Ibid., p. 121).
[33] « Il [Hitler] trouve bon que les nationaux-socialistes authentiques marquent une certaine réserve dans la publication des atrocités soviétiques » (Voy. J. Goebbels, op. cit., p. 66. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités).
[34] Voy. H. Désirotte, op. cit., pp. 65-6. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
[35] Voy. Pierre Poitevin, Dans l’Enfer d’Oradour (Imprimerie de la S.A. des Journaux et Publications du Centre, Limoges, 1945), p. 119.
[36] Voy. Documents sur.., p. 116.
[37] Voy., par exemple, le témoignage de Nicole Gauthier-Turotoski, qui, sous prétexte qu’elle avait fréquenté un soldat allemand pendant l’occupation, se retrouva au camp de Tronçais. Elle raconte les atrocités qui y furent commises jusqu’à ce que des Résistants plus humains ne les fassent cesser. Afin de se justifier, l’un des tortionnaires déclara : « Évidemment, on les a un peu arrangés [les prisonniers], mais nos camarades du maquis, les communistes, quand ils tombaient dans les pattes des boches et des miliciens, on ne leur faisait pas de cadeaux ! » (Voy. N. Gauthier-Turotoski, Un été 1944 [auto-édité, août 1988], p. 128).
[38] Voy. Les Lettres Françaises, 27 avril 1945, article intitulé : « Sortis de l’ombre ». L’appel complet était : « Épurez l’Europe, non seulement avec des bombardiers lourds et des tanks, mais en empêchant les politiciens de nous fabriquer des Allemagnes arrangeantes et les hommes d’affaires de refiler leurs stocks de mitrailleuses aux agents de la Werwolf ».
[39] Voy. Les horreurs des camps.., op. cit., pp. 13 et 15. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
[40] « […] je l’adjurai de faire cesser ces tueries immédiatement […]. [Keindel] me promit de donner des ordres en conséquence et je pris congé de lui » (voy. le rapport d’un délégué du CICR sur les évacués d’Oranienburg, Documents sur.., pp. 116-7). « Le 22 avril je me suis rendu deux fois auprès du chef de camp Höhn […] pour protester très énergiquement au nom du CICR contre les excès perpétrés par les SS. Celui-ci me promit de donner immédiatement l’ordre à tous les commandants de groupe de cesser les exécutions » (Ibid., p. 122).