Dans les dernières semaines du conflit, alors que tout s’effondrait en Allemagne, le CICR fut autorisé à envoyer des colis collectifs aux déportés, à pénétrer dans les camps et même à organiser le rapatriement de milliers de détenus.

L’œuvre de la Croix-Rouge dans les camps allemands lors des derniers mois de la guerre

L’accord du 11 janvier 1945

Tout commença le 11 janvier 1945. Des pourparlers eurent lieu entre le Comité et le chef de l’administration de tous les camps de concentration, l’Obergruppenführer Glücks.

Un accord en dix points fut trouvé, que voici :

1. Chaque camp principal indique au CICR une personnalité connue appartenant à chacune des nationalités, qui devra fonctionner comme homme de confiance principal ;
2. Dans chaque camp annexe ou secondaire des divers camps de concentration on choisit également un homme de confiance pour chaque nationalité, dont le nom est notifié au CICR ;
3. Les hommes de confiances des camps annexes ou secondaires envoient à l’homme de confiance du camp principal les accusés de réception des colis de secours pour qu’il les fasse parvenir à Genève ;
4. On peut envoyer toutes les denrées non périssables, ainsi que des conserves dans des boîtes de fer blanc, du café et des cigarettes ;
5. L’envoi de sous-vêtements chauds et de chaussures est très souhaitable ;
6. On peut envoyer tous les médicaments à l’exception des stupéfiants ;
7. Les colis collectifs doivent être envoyés au camp de concentration de Dachau, qu’il convient de considérer comme le camp principal d’après la nouvelle organisation des camps de concentration en Allemagne ;
8. Le Service central de la sécurité du Reich [RSHA] se charge du transport des colis de secours de Dachau aux divers camps ;
9. Tous les commandants de camps de concentration reçoivent l’ordre du Service central de la sécurité du Reich de distribuer les colis de secours aux diverses nationalités, selon un plan proposé par le CICR ;
10. Les visites des camps de concentration et des camps secondaires par les délégués seront annoncées au Reichsführer SS Himmler. Cette question reste ouverte[1].

Cet accord était valable pour les Français, les Belges, les Hollandais, les Danois et les Norvégiens (Ibid., p. 94).

Un accord qui reste partiellement lettre morte

Comme on pouvait toutefois s’y attendre, vu l’état de désordre dans lequel se trouvait l’Allemagne à cette époque, « diverses promesses [ne furent] jamais tenues ». Le CICR constate :

[…] jamais on n’a pu obtenir la liste des hommes de confiance. Les envois collectifs et individuels firent le plus souvent l’objet d’accusés de réception, mais, ainsi que l’expérience nous l’a démontré plus tard, ils ne parvinrent pas tous aux mains des détenus politiques. Le nombre des détenus dans les camps de concentration ne nous a jamais été communiqué malgré diverses promesses faites. […] En ce qui concerne les listes des hommes de confiance et des effectifs des divers camps de concentration, on nous assura que ces listes n’étaient pas encore arrivées. L’Oberstrumbannführer Höss s’excusa en invoquant les mauvaises conditions de transmission de courrier et de communication. Par la suite, nous devions recevoir encore souvent cette réponse stéréotypée à nos demandes réitérées [Ibid., pp. 94-5].

Deux avancées décisives

kaltenbrunner-1Le CICR ne se découragea pas, bien au contraire, et ses efforts furent récompensés : entre le 13 et le 15 mars, des discussions au sommet eurent lieu entre le Président du Comité international de la Croix-Rouge, Carl Burckhardt et E. Kaltenbrunner (Ibid., p. 95).

Celui-ci autorisa les « envois de secours […] aux ressortissants de toutes nationalités » (Ibid., p. 96).
Deux semaines plus tard, un nouveau pas décisif fut franchi : lors de nouvelles conversations à Berlin, E. Kaltenbrunner ouvrit les camps à la Croix-Rouge et autorisa les premiers rapatriement de déportés :

[…] le Comité international était autorisé à leur distribuer [aux déportés] des colis de vivres ; un délégué du Comité serait installé dans chaque camp à condition qu’il s’engage à y demeurer jusqu’à la fin des hostilités ; un échange global des détenus français et belges contre les internés civils allemands en France et en Belgique était prévu et, en attendant sa réalisation, le Comité avait la faculté de rapatrier les enfants, femmes et vieillards des camps de concentration, de même que des déportés israélites, notamment ceux de Theresienstadt [Ibid., p. 23].

700 000 colis envoyés, 20 000 déportés remis à la Croix-Rouge dont 14 000 juifs

Certes, il fallut attendre le 24 avril, donc les derniers jours du conflit, pour que les délégués du CICR puissent enfin entrer dans les camps (Ibid., p. 85).
Mais on aurait tort d’y voir une manœuvre allemande destinée à empêcher l’arrivée des secours. Car à cette date, « la grande croisade contre la faim » (Ibid., p. 77) avait commencé depuis plusieurs semaines déjà : des centaines de milliers de colis étaient arrivés dans les camps grâce aux camions du CICR[2]. Ainsi, lors de l’évacuation du camp de Neuengamme, « les hommes [pataugèrent] dans près de trois mille colis éventrés dans les allées du camp »[3].

Quant aux rapatriements, dès le 3 avril, un premier fut décidé ; il concernait 300 Françaises du camp de Ravensbrück (Ibid., p. 98). Le convoi partit effectivement le 5, emmenant vers la Suisse 299 Françaises et une Polonaise[4]. Bien que le « grave danger d’attaques par des avions en rase-mottes » ait empêché le départ d’un deuxième transport à partir de Ravensbrück (Ibid., p. 100), d’autres rapatriements eurent lieu ailleurs.
C’est ainsi que, jusqu’au 8 mai 1945 et grâce à l’intervention d’E. Kaltenbrunner, 20 000 détenus furent remis à la Croix-Rouge et évacués vers la Suisse ou la Suède : 6 000 internés civils et 14 000 juifs de Therensienstadt[5].

D’après le CICR lui-même, cette « double action » (envoi de plus de 700 000 colis individuels puis collectifs et rapatriements) menée avec l’accord des autorités allemandes permit de « sauver[une] quantité considérable [de] vies humaines » (Id.). Là encore, ces faits historiquement avérés sont inconciliables avec la thèse selon laquelle les camps de concentration auraient été des usines de mort[6].

Mais le défenseur de la thèse officielle n’a pas épuisé ses arguments :

Vos conclusions sont fausses, me lancera-t-il, car vous occultez un fait capital : alors que Kaltenbrunner discutait avec Burckhardt, des dizaines de camps et de commandos étaient évacués dans les conditions les plus abominables : les détenus trop faibles pour partir ont été assassinés, comme à Thekla ; les autres partaient soit sur les routes pour d’interminables marches de la mort, soit dans des trains où ils mouraient de froid et de faim, entassés dans des wagons. Lors de leur avance, les Alliés on découvert des wagons remplis de cadavres abandonnés. N’est-ce pas la preuve qu’en réalité, les autorités voulaient exterminer les déportés et que les autorisations données à la Croix-Rouge l’avaient été uniquement dans l’espoir de se justifier plus tard ?

Ma réponse se fera en plusieurs temps : voir l’article « Evacuation des camps : les marches de la mort« .

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[1] Voy. Documents sur…, pp. 93-4. Pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités.
[2] Ibid., p. 87. Voy. également p. 26 : on y apprend que « du 12 novembre 1943 au 8 mai 1945, 751 000 colis environ, représentant 2 600 tonnes de secours, furent envoyés par le Comité international aux déportés dans les camps de concentration ».
[3] Voy. H. Désirotte, op. cit., p. 79 (pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités). L’auteur prétend qu’il s’agissait de colis non distribués depuis près de deux ans (p. 78), mais il n’en apporte nullement la preuve.
[4] Ibid., p. 109. Voy. également le Catalogue alphabétique, p. 334 (pour la référence complète, voir la liste des ouvrages cités).
[5] « Dr KAUFMANN. - […] Combien de personnes au total sont-elle rentrées dans leur pays grâce à votre intervention ? […] ACCUSÉ KALTENBRUNNER. - 6 000 internés civils au moins, en provenance de France, de Belgique, et des pays de l’Est de l’Europe ainsi que des pays balkaniques, firent l’objet de ces entretiens. Au moins 14 000 internés juifs furent remis à la Croix-Rouge. Ceci s’applique à tout le camp de Theresienstadt » (TMI, XI, 310). Voy. également Document sur.., p. 87. Dans un télégramme adressé au Secrétaire d’État des Etats-Unis, le CICR déclare (nous respectons le style) : « En outre CICR ayant obtenu dernier moment libération certaines catégories déportés réussit au moyen ses convois routiers évacuer vers Suisse et Suède plusieurs milliers personnes ».
[6] Notons qu’à Nuremberg, E. Kaltenbrunner n’eut aucun mal à repousser les accusations selon lesquelles il aurait ordonné l’extermination des détenus de Dachau et de deux camps de travailleurs juifs. Le 2 janvier 1946, l’Accusation avait produit une déclaration sous serment d’un ancien adjoint du Gauleiter de Munich, Bertus Gerdes. Il prétendait que vers la mi-mars 1945, E. Kaltenbrunner aurait, sur ordre d’Hitler, donné des « directives visant à la réalisation immédiate d’un plan de liquidation du camp de concentration de Dachau et des deux camps de travailleurs juifs de Lansberg et de Mühldorf » (TMI, IV, 312). Pour les deux camps de travailleurs juifs, l’opération aurait été baptisée « Wolke A-1 » ; elle aurait prévu la destruction des lieux par la Luftwaffe (Id.). Pour Dachau, l’opération aurait été baptisée « Wolkenbrand » ; elle aurait prévu la liquidation des déportés « par empoisonnement par les gaz » (Ibid., p. 313). Cette dernière précision suffit pour rejeter les déclarations de B. Gerdes ; l’homme avait parlé à une époque où tout le monde - ou presque - croyait en l’existence d’une chambre à gaz homicide à Dachau. A Nuremberg, toutefois, E. Kaltenbrunner n’osa pas attaquer de front. Mais il n’hésita pas à qualifier la déclaration de B. Gerdes d’ « invention de A jusqu’à Z » (TMI, XI, 291) et lança :
« […] je vous demande de considérer comme une absurdité le fait qu’on m’impute d’avoir répondu en avril 1945 à un tel ordre [la destruction de deux camps de juifs], alors qu’en mars 1945 je discutais avec le président de la Croix-Rouge internationale, Burckhardt, sur la libération et l’assistance à donner à tous les juifs, et que je faisais tous mes efforts pour qu’il s’intéressât personnellement aux camps des juifs et réussissais dans cette démarche » (Ibid., pp. 291-2). C’était l’évidence même.. J’ajoute qu’à Nuremberg, R. Höss rejeta également les allégations de B. Gerdes. Voici ce que l’on put entendre le 15 mars 1946 : « Dr KAUFMANN. - On a prétendu ici […] que l’accusé Kaltenbrunner aurait donné l’ordre de tuer les internés de Dachau et de deux autres camps, à la bombe ou au poison. Êtes-vous au courant d’une telle chose ? Sinon, croyez-vous qu’elle soit vraisemblable ?
TÉMOIN HÖSS. - Je n’ai jamais entendu dire quelque chose de pareil […] et je considère comme impossible qu’on puisse anéantir un camp de cette façon »
(Ibid., p. 419).

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