Avec son film « Amen », Costa Gavras a mis en scène un sinistre canular
Sur Amen de Costa-Gavras
Introduction (par Vincent Reynouard)
Le dernier film de Costa-Gavras, Amen, est sorti le 27 février 2002. Son objectif était double :
1°) Diffamer l’Église catholique en attaquant son chef légitime pendant la seconde guerre mondiale Pie XII ;
2°) Pallier l’absence de preuves documentaires concernant le prétendu « Holocauste » en alléguant que, dès 1942, « tout le monde savait » ou aurait pu savoir. Car il est bien entendu que si « tout le monde savait », c’est qu’il se passait effectivement quelque chose.
Dans cette affaire, on attendait en premier lieu la réaction des catholiques (ou prétendus tels).
Comme d’habitude, soit par peur, soit par ignorance, ils ont agi comme des sots. Certains, comme le président de l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française (Agrif), Bernard Antony, ont crié à la « vieille haine anti-catholique »[1] Comme si le fait d’avoir de la « haine » pour quelqu’un ou quelque chose interdisait d’énoncer des vérités sur cette personne ou cette chose.
Si un mari trompé surprend son épouse avec son amant et la traite publiquement de femme adultère, on pourra certes l’accuser d’éprouver des sentiments de haine pour elle, mais cela n’enlèvera rien au fait que ses accusations sont vraies..
D’autres, comme le président de la Conférence des « évêques » de France, « Mgr » Jean-Pierre Ricard, ont une nouvelle fois tenu à dissocier la croix chrétienne, « lieu fondateur où Jésus Christ a révélé le visage de l’amour » de la « croix nazie qui est la négation de toute humanité » (voy. Présent, 15 février 2002, article intitulé : « L’affiche qui scandalise l’Église »).
Présentant ensuite l’Histoire comme une scène en noir et blanc, sans aucune nuance, ils ont déclaré que l’Église catholique, notamment Pie XII, n’avait cessé de condamner le national-socialisme et d’aider les juifs. C’est ainsi par exemple que dans le Nord, un « Collectif pour la défense de Pie XII » a diffusé un tract.
Ne voient-ils pas qu’en agissant ainsi, ils renforcent ceux qu’ils prétendent combattre ? En effet, ces derniers ont alors beau jeu de répondre :
Le futur Pape Pie XII a dénoncé le national-socialisme dès 1937 ? C’est donc qu’il connaissait la malignité de l’idéologie nazie. Il a sauvé 860 000 juifs pendant la guerre ? C’est donc qu’il savait qu’un “Holocauste” se perpétrait. Par conséquent, nous avons raison de dire qu’il aurait dû le dévoiler dans ses discours publics. Ses silences sont gravement coupables. CQFD.
On le sait depuis 1945, la seule défense possible n’est pas une timide tentative de justification, comme un boxeur qui se contenterait de parer les coups, c’est la riposte frontale, brutale, le direct du droit dans la face de l’adversaire pour le mettre définitivement KO.
Dans l’affaire du film Amen, la riposte consistait à s’interroger sur la valeur des « confessions » du SS Kurt Gerstein, personnage-clé de la pièce Le Vicaire et du film Amen.
A-t-il vraiment été le témoin oculaire d’un gazage homicide en août 1942 à Belzec comme il l’a prétendu trois ans plus tard ?
Le Vatican a-t-il été prévenu dès 1942 ?
A-t-il notamment reçu un rapport que le SS avait rédigé pour l’alerter ?
Cette contre-attaque était d’autant plus aisée qu’un homme a longuement travaillé sur le sujet. Il s’agit d’Henri Roques, auteur de la fameuse « thèse de Nantes » soutenue en 1985[2]. Son travail méticuleux a permis de réduire à néant le « témoignage » de K. Gerstein. Dans une lettre envoyée à Henri Amouroux le 18 mars 2002, il a écrit :
Pie XII n’a jamais reçu le rapport Gerstein. D’ailleurs, s’il avait eu entre les mains un texte aussi invraisemblable sorti d’une cervelle malade, il n’en aurait tenu aucun compte.
Dénoncer le caractère aberrant du témoignage de Gerstein, c’est le meilleur moyen de défendre Pie XII et l’Église catholique, attaqués l’un et l’autre par un film scandaleux.
H. Roques a parfaitement raison, et son étude que nous reproduisons ci-dessous démontre que les catholiques disposaient de tous les arguments pour répondre au film Amen.
Avec son film Amen, le cinéaste Costa-Gavras a mis en scène un sinistre canular (par Henri Roques)
Un film qui n’a rien d’ « historique »
Le réalisateur Costa Gavras s’est inspiré pour son film Amen d’une pièce de théâtre intitulée Le Vicaire. L’auteur de cette pièce, sortie dans toute l’Europe et peut-être ailleurs, en 1962-1963, se nomme Rolf Hochhut, un Allemand de religion protestante qui a fait de son œuvre une machine de guerre contre l’Église catholique et tout particulièrement contre le pape Pie XII, qui occupa le trône pontifical pendant la seconde guerre mondiale.
Un auteur a, certes, le droit d’imaginer des situations, de créer des personnages qui ne correspondent pas à la vérité historique.
Quitte à faire une comparaison qui peut paraître saugrenue, Corneille en écrivant Le Cid n’a pas respecté la biographie de Diaz de Vivar dit Cid Campeador, dont il a repris le personnage. Toutefois, jamais Le Cid de Corneille n’a été considéré comme une tragédie historique.
Il n’en est pas de même pour la pièce de Rolf Hochhut, et encore moins pour le film de Costa-Gavras. On s’acharne à parler de drame « historique », on va même jusqu’à parler d’ « histoire vraie »[3] sous prétexte qu’un personnage-charnière, sans qui l’ouvrage n’aurait pu être réalisé, a réellement existé.
Il s’agit de Kurt Gerstein, né en 1905 et mort à Paris le 25 juillet 1945 à la prison militaire du Cherche-Midi, où il était incarcéré pour assassinat et complicité d’assassinat.
Après s’être rendu aux Alliés, il avait en effet rédigé plusieurs « confessions » dans lesquelles il évoquait son rôle dans le (prétendu) massacre planifié des juifs.
K. Gerstein n’était pas un Waffen-SS combattant mais un simple technicien attaché à l’armée
K. Gerstein est très souvent présenté comme un officier membre de la SS, sans plus de précision[4].
Ce flou laissé autour du grade de K. Gerstein est destiné à impressionner le lecteur ; le néophyte imagine un solide militaire aux convictions nationales-socialistes ancrées, qui a gravi les échelons en combattant et qui a choisi de révéler les massacres dont il aurait été le témoin direct ; peut-on rêver mieux comme « témoin » de la Shoah ?
Or, de santé physique et mentale fragile (nous y reviendrons), K. Gerstein avait été reconnu inapte au service armé. Si, pendant la guerre, il est devenu officier, il ne parvint qu’au grade de lieutenant (donc officier subalterne) de catégorie F (Fachleute) c’est-à-dire « spécialiste ».
Il était chargé de la désinfection auprès de l’Institut d’hygiène de la Waffen SS à Berlin. Autrement dit, K. Gerstein a obtenu son grade grâce à ses diplômes (et sans doute les relations paternelles), mais sans avoir jamais combattu. C’était un simple technicien attaché à l’armée, comme il en a existé des milliers.
Quant à ses convictions, nous verrons plus loin que, s’il en a eu, elles étaient sujettes à de nombreuses variations..
Naissance de la légende de « Saint-Gerstein »
K. Gerstein était-il coupable d’assassinat et de complicité d’assassinat ? Je ne le crois pas, pas plus que ne le croyait son avocat[5]. Mais longtemps après sa mort, dans des circonstances peu claires, une légende est née : celle d’un « Juste parmi les Gentils »[6], d’un « martyr »[7]. Ses thuriféraires le qualifièrent de « saint égaré dans le siècle », d’ « espion de Dieu » allant même jusqu’à parler de sa « Passion » comme il s’agissait d’un nouveau Messie, mort pour avoir révélé au monde les atrocités commises sur les internés juifs des camps de Belzec et de Treblinka[8].
Il est impératif d’examiner le cas Gerstein en se gardant de toute exaltation.
Des « confessions » aberrantes
Après s’être rendu aux autorités militaires françaises en avril 1945, cet Obersturmführer (lieutenant) a laissé un témoignage, qui a plutôt le caractère d’une « confession ». Elle se présente en six versions, ce qui est déjà bien étrange.
Pourquoi six versions[9] qui comportent entre elles des contradictions et varient sur les invraisemblances qu’elles égrènent[10] ?
Dans une thèse de doctorat d’université soutenue à Nantes en 1985, j’ai relevé 29 invraisemblances dans les « confessions » de Gerstein[11]. J’ai pris soin de préciser que mon relevé n’était certainement pas complet. Parmi ces 29 invraisemblances, j’en ai sélectionné une demi-douzaine que je vous présente ci-après :
1°) D’après K. Gerstein, Hitler et Himmler auraient visité le camp de Belzec le 15 août 1942 pour demander d’activer l’extermination. Or, il est historiquement établi que c’est une contre-vérité (voy. Prof. H. Rothfels, Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, avril 1953 n° 2).
K. Gerstein a visité le camp les 17 et 18 août 1942. Certains ont prétendu qu’il n’avait fait que répéter l’affirmation fausse du général SS, commandant le secteur ; celui-ci était connu, disent-ils, pour sa vantardise. Cette explication ne tient pas, car K. Gerstein, lui-même très bavard, a conversé avec une dizaine de responsables du camp, qui n’auraient pas manqué de rétablir la vérité ;
2°) Dans les différentes versions de ses « confessions », K. Gerstein a expliqué qu’il avait pu visiter Belzec à l’occasion d’une mission qui lui avait été confiée : approvisionner le camp en gaz toxique afin de changer le mode d’exécution (jusqu’ici, dit-il, on tuait en asphyxiant avec les gaz d’échappement d’un moteur Diesel).
Il précise :
Je n’avais pas non plus le plus léger scrupule. Car si je n’avais pas accepté cette mission, un autre l’aurait exécutée dans le sens voulu par le SD tandis que, grâce à mon autorité dans le domaine des gaz hautement toxiques, je pouvais sans difficultés faire disparaître tout le chargement, comme étant décomposé ou devenu dangereux ou détérioré [12].
Nulle part, toutefois, il n’expliqua comment il était parvenu à ce que le gaz ne soit pas utilisé, c’est-à-dire à ne pas réaliser sa mission.
Lorsqu’il fut interrogé le 26 juin 1945, il se contenta de dire : « [j’] étais décidé […] à essayer d’en faire disparaître » (Ibid., p. 172), sans plus de précision.
Interrogé une nouvelle fois le 19 juillet 1945, il tenta de s’expliquer, mais il s’empêtra dans ses contradictions. Le matin, il déclara :
[…] le cyanure n’arriva pas à sa destination […]. Les quarante-quatre bouteilles qui restaient [une 45ème avait, dit-il, été vidée en cours de route] n’ont pas été amenées au camp de Belzec mais furent dissimulées par le chauffeur et moi-même à douze cents mètres du camp [Ibid., p. 177].
L’après-midi, il allégua :
Je suis arrivé avec le cyanure au camp […] J’ai indiqué au commandant du camp le danger que représentait l’emploi du cyanure en lui faisant connaître que je ne pouvais prendre sur ma responsabilité l’emploi du cyanure que j’avais apporté. Ce commandant était un homme peu cultivé et s’est contenté de mes explications, disant par ailleurs être satisfait du système d’extermination en usage [Ibid., p. 179].
Cette explication lui valut la réplique suivante de l’officier interrogateur :
Ce matin, vous avez déclaré que quarante-quatre bouteilles […] n’étaient pas arrivées au camp de Belzec car elles avaient été dissimulées (…] ; tout à l’heure, vous venez de nous dire être arrivé au camp avec votre chargement. Quand dites-vous la vérité ? [Id.]
Nullement décontenancé, K. Gertein répondit :
Je suis arrivé au camp sans le cyanure mais le commandant du camp savait que j’en avais apporté dans la voiture qui était restée à douze cents mètres du camp [Ibid., p. 180].
En quelques heures, donc, l’ « espion de Dieu » avait dit noir puis blanc :
Je suis arrivé avec le cyanure au camp
Je suis arrivé au camp sans le cyanure
J’ajoute que selon ses dires, il avait dissimulé les bouteilles avec l’aide du chauffeur du camion qu’il ne connaissait pas (mais qu’il soupçonnait d’être lié au service de sécurité de la SS [sic]) et que par la suite, ni le général SS commandant le secteur, ni les autorités de Berlin dont K. Gerstein dépendait, ne se sont préoccupé de savoir ce qu’était devenu le gaz toxique.
Là encore, le magistrat militaire lui fit une réplique de bon sens :
Vous avez été chargé d’une mission. Vous nous dites ne point l’avoir remplie. Vous nous dites également que le commandant du camp où vous deviez remplir cette mission ne tenait pas du tout à ce que vous la remplissiez. Vous avez ce matin déclaré qu’à votre retour de Berlin vous n’aviez rendu compte à quiconque du résultat de votre mission. Nous avons tout lieu de penser que des choses pareilles n’étaient pas précisément en usage dans l’armée allemande [Ibid., p. 180].
Pour s’en sortir, K. Gerstein prétendit qu’en vérité, le 17 août 1942, il n’avait pas rencontré le véritable commandant du camp, que celui-ci était arrivé le lendemain et qu’il avait tout arrangé :
Le lendemain de mon arrivée au camp de Belzec est revenu le véritable commandant du camp, le Hauptmann Polizei Wirth, qui avait une grosse influence à Berlin et qui a liquidé cette question sans que j’aie à intervenir [Id.].
Le juge d’instruction n’insista pas. Toutefois, s’il avait connu l’histoire de Belzec, il aurait su que depuis le 1er août 1942, Christian Wirth n’était plus commandant du camp ; il avait été remplacé par Gottlieb Hering et ses nouveaux bureaux se trouvaient à Lublin[13].
Par conséquent, c’est G. Hering que K. Gerstein aurait dû rencontrer le 18 août 1942 en tant que « véritable commandant » du camp de Belzec, et non pas C. Wirth. Il est surprenant que K. Gerstein n’ait pas mentionné le nom de G. Hering ; d’autant plus qu’il n’a pas manqué dans son « témoignage » de citer les noms de militaires subalternes comme le sous-officier Heckenholt (voy. A. Chelain, op. cit., p. 67) et l’Hauptsturmführer (capitaine) Obermeyer, originaire de Pirmasens (Ibid., p. 65)[14].
Cependant admettons que, trois ans après son voyage, K. Gerstein ait confondu C. Wirth (qu’il avait pu rencontrer à Lublin) et G. Hering. Son « témoignage » n’en sera pas plus crédible pour autant. En effet, si l’on admet un instant l’histoire officielle, on apprend que C. Wirth aurait écarté dès le début l’emploi du gaz cyanuré, au motif que :
Ce gaz était produit par des firmes privées, et de grosses commandes venant de Belzec auraient pu faire naître des soupçons et poser des problèmes de ravitaillement [Voy. Les chambres à gaz.., op. cit., p. 140.].
Dans leur ouvrage déjà cité, E. Kogon, H. Langbein et A. Rückerl évoquent la « construction de nouvelles chambres à gaz » en juillet 1942 à Belzec notamment, afin « d’accélérer les processus d’extermination, et donc de donner une plus grande capacité aux chambres à gaz » (Ibid., p. 166).
A aucun moment, selon eux, il n’aurait été question de changer le mode d’exécution par gaz d’échappement. Ils citent d’ailleurs un « survivant » selon lequel le nouveau bâtiment de mort comprenait « un appentis de deux mètres sur deux où était installé le moteur à gaz » (Ibid., p. 167). On en déduit qu’à la fin de juillet 1942, toujours selon l’histoire officielle, Belzec était doté de tout nouveaux locaux homicides qui fonctionnaient au gaz d’échappement.
Par conséquent on ne voit pas pourquoi K. Gerstein aurait été envoyé dans ce camp à la mi-août 1942 avec pour mission « de changer [les] chambres à gaz » qui venaient d’être refaites, en substituant au gaz d’échappement utilisé de l’ « acide prussique »[15]. C’est totalement absurde[16].
L’affaire des bouteilles prétendument enterrées non loin du camp a connu un nouveau rebondissement en 2002. Dans un article publié par Vingtième siècle. Revue d’histoire (n° 73, janvier-mars 2002, pp. 15-25), un membre de l’équipe universitaire de Pierre Vidal-Naquet, Florent Brayard, a écrit :
On doit noter que ces bouteilles semblent avoir été excavées à Belzec en 1971 si l’on en croit un résumé de la communication de Zdzislaw Spacynski faite lors d’un colloque de l’université de Lublin. Belzec, Sobibor, Treblinka, 25-27 août 1987 [voy. Vingtième siècle.., p. 21, n. 1].
En appelant l’attention du lecteur sur le style exceptionnellement prudent de F. Brayard, je lui demande de se reporter au texte où je fais part de mes réflexions sur la « découverte » de ce monsieur Brayard.
3°) Dans ses « confessions », K. Gerstein prétend que le lendemain de son arrivée, il aurait assisté à un gazage homicide. Le 26 avril 1945, il écrivit : « Les hommes sont debout aux pieds des autres, 700-800 à 25 qm, 45cbm » (Ibid., p. 67).
D’après lui, donc, dans un local de 25 m2 et 45 m3, on entassait 700 à 800 personnes pour les gazer, soit 30 personnes environ par m2. Point n’est besoin d’être révisionniste pour dire que c’est totalement impossible. Je rappelle que dans son ouvrage sur Auschwitz, Jean-Claude Pressac lui-même a qualifié d’ « invraisemblable » l’allégation du premier commandant d’Auschwitz selon laquelle on avait entassé « 900 personnes dans 78,2m² »[17]. Qu’a-t-il pensé en prenant connaissance du « témoignage » de K. Gerstein ?
4°) Selon Gerstein, il y avait à Treblinka des « montagnes » de vêtements, de linge et de chaussures de 35 à 40 mètres de hauteur (10 à 12 étages)[18]. Ces monticules inaccessibles auraient été vus de très loin à la ronde, alors que, d’après notre « conteur », le secret le plus absolu devait planer sur les camps de Belzec et de Treblinka ;
5°) Il y aurait eu, selon les versions, entre 44 500 et 60 000 exécutions par jour dans les trois petits camps de Belzec, Treblinka et Sobibor. En se basant sur les dates de fonctionnement de ces camps, on parvient à un total de victimes situé entre 23,7 et 31,5 millions (!).
Notre extrapolation est justifiée, car dans deux versions de ses « confessions », K. Gerstein évalue tantôt à 25 millions, tantôt à 20 millions le nombre de morts dans les seuls camps de Belzec et de Treblinka[19].
Ces estimations extravagantes peuvent être rapprochées des déclarations faites par l’officier SS après sa reddition volontaire aux troupes françaises. Le capitaine de la Sécurité Militaire qui procéda à son premier interrogatoire s’appelait Raymond Cartier ; il devint, après la guerre, un journaliste célèbre. R. Cartier a livré, tardivement, quelques unes des ses impressions à Pierre Joffroy :
Ce Gerstein avait été placé en résidence surveillée dans un hôtel de Rottweil, plutôt que dans un camp de détention. Je vois dans sa chambre un grand type blond, pâle, l’air déprimé. Je me souviens de ses yeux, des yeux d’halluciné.
Je suis un chrétien, un ingénieur, clame-t-il. J’ai vu tuer un million de personnes. … J’étais chargé de manœuvrer les manettes (?) des chambres à gaz. Je voyais tout par la lucarne. J’ai fait parvenir des rapports à la Croix-Rouge suédoise et au Vatican..
Puis Gerstein se livra devant R. Cartier à de savants calculs et déclara gravement :
Ça fait, disons, 1.223.425 exécutions [20].
Eberlué, et doutant de l’équilibre mental de ce prisonnier peu banal, R. Cartier l’abandonna. Il en entendit reparler beaucoup plus tard.
6°) D’après K. Gerstein, à Belzec, les cadavres étaient jetés dans d’immenses fosses de 100 m x 12 m x 20 m. La profondeur représente 3 à 4 étages. Il explique :
Après quelques jours, la fermentation faisait gonfler les cadavres puis ils s’affaissaient fortement peu de temps après, de sorte qu’on pouvait jeter une nouvelle couche par-dessus, puis on répandait environ 10 cm de sable par-dessus, si bien qu’il n’émergeait plus que quelques têtes et bras isolés[21].
Ce passage appelle trois remarques :
- K. Gerstein n’est resté que deux jours à Belzec. Comment pouvait-il savoir ce qui se produisait « après quelques jours » ?
- 10 cm de sable ? Imagine-t-on le foyer d’infections qu’aurait constitué cette fosse pestilentielle ? Ce sont des conditions favorables pour le développement d’une épidémie qui n’aurait assurément pas épargné les gardiens du camp.
- Dans les années 1990, un expert en analyse de clichés aériens, John C. Ball, a examiné les photographies du site de Belzec qui avaient été prises par les avions de reconnaissance en mai 1940 puis en mai 1944. Sachant que le camp se situait sur une colline boisée (qui avait été partiellement déboisée), il a conclu à l’impossibilité de creuser de grandes fosses communes vu la fine couche de terre végétale ainsi que la présence de multiples souches et de racines..[22]. A ce jour, ses conclusions n’ont pas été réfutées.
Qu’en conclure ? De toute évidence, K. Gerstein avait une très forte propension à la fabulation…
Un ingénieur chimiste qui semble ignorer tout.. de la chimie
Issu d’une famille d’industriels rhénans et de grands bourgeois, K. Gerstein fit des études et obtint un diplôme d’ingénieur (mines et chimie). Il semble avoir oublié tout ce qu’il avait appris.
En effet, dans sa première « confession » écrite, datée du 26 avril 1945, il déclare que :
Une grande partie du service de désinfection se faisait par moyen d’acide prussique (Cyankali) (voy. A. Chelain, op. cit., p. 64).
Or :
1°) Le terme cyankali (abrégé de cyankalium) est issu d’une nomenclature chimique du XIXe siècle qui était complètement périmée en 1945. Ce terme devenu populaire se trouvait en revanche souvent dans les journaux allemands à la rubrique des faits divers et dans les romans policiers des années 1930. Étaient-ce là les sources de K. Gerstein ?
2°) Le cyankali ne désigne d’ailleurs pas de l’acide prussique (HCN), mais le cyanure de potassium (KCN). Or, ces deux produits sont aussi différents que le sont l’acide chlorhydrique (HCl), un corrosif très puissant, et le chlorure de sodium (NaCl), autrement dit le sel de cuisine.
L’acide cyanhydrique est un liquide qui peut aisément se transformer en gaz ; il faut donc le transporter dans des bouteilles en acier résistantes à la pression, du genre des bouteilles de gaz ordinaires.
Le cyanure de potassium, en revanche, apparaît sous forme cristallisée, donc en poudre ; il est vendu sous forme de briquettes et peut aisément être transporté sous cette forme.
Il est surprenant de voir un ingénieur « spécialiste » reprendre un terme non seulement périmé depuis des années, mais, en outre, qui désignait un produit chimique complètement différent.
Notons que le mot cyankali connu des lecteurs allemands est, par contre, totalement inconnu en France.
K. Gerstein évite donc de parler de cyankali lors de ses interrogatoires à Paris par des magistrats militaires le 26 juin 1945 et le 19 juillet 1945.
Néanmoins, il est fort intéressant d’examiner de près l’interrogatoire du 26 juin 1945.
A une question de l’officier interrogateur, K. Gertein répond :
Le 8 juin 1942, le SS Sturmbannführer Günther du RSHA me donne l’ordre de transporter 260 kgs de cyanure de potassium à Kollin près de Prague (Ibid., p. 172).
Devant « cyanure de potassium », on découvre des mots rayés où l’on parvient à lire : « d’acide prussique ».
On peut supposer que K. Gerstein a dit successivement « acide prussique » et « cyanure de potassium ».
Le magistrat qui l’interrogeait lui a probablement demandé quel était le nom exact du produit transporté. K. Gerstein a maintenu « cyanure de potassium » et il a fait rayer sur le procès-verbal « acide prussique » (autre désignation de l’acide cyanhydrique).
Lors du deuxième interrogatoire, il a confirmé avoir transporté du « cyanure de potassium » dans des bouteilles d’acier (Ibid., p. 177). Peut-on mettre en bouteille des briquettes ?
Je pense que K. Gerstein s’est réellement rendu à Kollin près de Prague. Il a fait charger dans le camion qui suivait sa voiture des bouteilles d’acier contenant de l’acide cyanhydrique destiné à la désinfection des vêtements aux camps de Belzec et de Treblinka. C’était une opération banale que l’officier SS a transformé par son imagination en opération criminelle.
L’étrange personnalité de Kurt Gerstein
Dès sa jeunesse K. Gerstein manifesta un goût irrésistible pour la provocation et il conserva ce goût dans sa maturité (en admettant qu’il soit devenu mûr un jour).
Voici quelques-unes de ses « facéties »[23] :
- Dès 1925, K. Gerstein a des responsabilités dans le mouvement de jeunesse de l’Eglise Evangélique. Il lui arrive, parfois, de chuchoter à l’oreille d’un des jeunes garçons dont il a la charge : « Dieu n’existe pas ! ». C’est, naturellement, pour éprouver la foi de ces adolescents, assure-t-il.
- En 1936, jeune adjoint des Mines de la Sarre il est chargé d’organiser la Journée des mineurs à Sarrebrück. Il en profite pour envoyer à des centaines de notables allemands un papillon précisant que, pour le transport ferroviaire, des wagons spéciaux pour chiens enragés et gens contagieux sont prévus. Le meilleur hagiographe de K. Gerstein, Pierre Joffroy alias Maurice Weil, voit là un acte de résistance au régime national-socialiste (sic).
- En 1937, il vient juste de commencer, tardivement, des études de médecine et rêve de marcher sur les traces du Dr Schweitzer. Un jour, il veut soigner en pleine rue un homme frappé d’une crise d’apoplexie. Un vrai médecin est obligé de le chasser.
- A la même époque, il expérimente sur un adolescent un appareil de cystoscopie de son invention. L’expérience aurait mal tourné sans l’intervention d’un spécialiste, appelé à la rescousse.
- Dans ces mêmes années 1930, K. Gerstein, qui dispose de gros moyens financiers après le décès de sa mère, achète une BMW de sport, oubliant qu’il n’a pas son permis de conduire.
La prétendue caution scientifique de Raul Hilberg
Le professeur Faurisson a écrit en 1984 que Raul Hilberg est le plus intelligent de ses adversaires.
R. Hilberg est professeur de sociologie à l’Université de Vermont (Etats-Unis) et auteur d’un gros ouvrage The Destruction of the European Jews, paru en français sous le titre : La destruction des juifs d’Europe.
Dans la première édition datée de 1961, K. Gerstein est cité 23 fois.
Au cours du procès d’Ernst Zündel à Toronto en 1985, R. Hilberg fut passé sur le gril à propos de K. Gerstein par l’avocat de Zündel, conseillé par Robert Faurisson. R. Hilberg finit par convenir que certaines parties des textes de K. Gerstein étaient « un pur non-sens »[24].
Cependant dans l’édition de 1991 en français (La destruction des Juifs d’Europe II, éd. Folio Histoire, Paris, 1991) K. Gerstein est encore cité quatre fois. Je relève particulièrement la citation de la page 775, qui occupe dix lignes et demie. Hilberg écrit :
Un jour d’août 1942, l’adjoint d’Eichmann, Günther, et le principal responsable de la désinfection, Kurt Gerstein, arrivèrent à Belzec. Ils avaient environ 100 kg de Zyklon avec eux et s’apprêtaient à faire passer à l’acide cyanhydrique les chambres opérant au monoxyde de carbone. Ces invités indésirables assistèrent à un gazage qui s’éternisa (plus de trois heures), en raison d’une défaillance du moteur Diesel. Devant un Wirth terriblement embarrassé et mortifié, K. Gerstein chronométra l’opération ; […] Wirth abandonna toute fierté et demanda à K. Gerstein de ne pas « proposer un autre type de chambre à gaz à Berlin ». Gerstein y consentit et ordonna qu’on enterre le Zyklon sous prétexte qu’il s’était abîmé.
Dans ce court extrait, il y a quelques contre-vérités :
1°) Günther n’a pas accompagné K. Gerstein à Belzec. Ce dernier écrit seulement que, le 8 juin 1942, Günther, qu’il n’avait jamais vu, entra en civil dans son bureau et lui donna l’ordre de transporter 100 kg d’acide cyanhydrique (260 kg selon certaines versions) à un lieu que, seul, le chauffeur du camion connaissait[25].
Cette simple scène suscite la question suivante : comment un inconnu en civil pouvait-il donner un ordre à un officier qui n’était pas sous ses ordres ?
K. Gerstein eut bien un compagnon de voyage : l’inoffensif Professeur Docteur W. Pfannenstiel, qui était docteur en médecine et titulaire d’une chaire d’hygiène à l’Université de Marbourg. Aujourd’hui, il est présenté comme celui qui aurait confirmé « pour l’essentiel » les récits de K. Gerstein.
Mais la vérité est bien différente.
W. Pfannenstiel accompagna K. Gerstein par hasard, parce qu’il allait lui aussi à Lublin, proche de Belzec, et qu’une place était libre dans la voiture (Id.).
Dans sa première « confession », K. Gerstein n’a pas hésité à compromettre le docteur, en précisant qu’il avait non seulement profité de sa voiture mais aussi assisté à la conversation pendant laquelle Odilo Globocnik, chef des SS et de la Police de Lublin, avait révélé qu’un massacre de masse se perpétrait et que ceux qui le révèleraient serait immédiatement fusillés[26] (pourquoi un général aurait-il parlé imprudemment devant une personne qui n’avait rien à savoir ? Pourquoi ne pas lui avoir demandé d’attendre dehors ?).
Le 26 juin 1945, lors de son interrogatoire, K. Gerstein accepta même de donner l’adresse personnelle de W. Pfannenstiel au magistrat instructeur qui la lui demandait (Ibid., p. 172).
C’est ainsi que le malchanceux docteur, qui aurait assisté aux opérations décrites par K. Gerstein, se retrouva en 1945 cinquième sur une liste des principaux coupables recherchés par la délégation française à la Commission des Nations-Unies pour les crimes de guerre. Il arrivait après Hitler Adolf, Himmler Heinrich, Eickmann [Eichmann], et Günther (Ibid., p. 463). Fichtre !
Ayant été fait prisonnier en Autriche par les Américains, il fut finalement retrouvé et interrogé pour la première fois en 1947. Bien qu’il ait reconnu être allé à Lublin, il contesta dans un premier temps, avoir assisté « à la tuerie » (comprenez : à un gazage homicide ; Ibid., p. 465-6).
Le juge chargé de l’enquête lui dit alors :
Le début de votre histoire est bon, ensuite, c’est plus mauvais. Voulez-vous reprendre encore une fois votre récit ? (Ibid., p. 466).
Il était difficile de dire plus clairement que l’on n’attendait pas de W. Pfannenstiel des réponses exactes mais des propos uniquement destinés à confirmer ceux de K. Gerstein.
Le 6 juin 1950, lors d’un nouvel interrogatoire, il donna enfin des réponses tout à fait « satisfaisantes ».
Il confirma qu’en effet, les juifs étaient gazés à Belzec, qu’il y avait-là six chambres à gaz en béton alimentées par un moteur diesel et qu’il avait lui-même assisté à un gazage[27].
Seules différences notables avec K. Gerstein :
a°) il parla d’un gazage qui n’aurait « duré qu’un temps relativement court », « dix-huit minutes jusqu’à ce qu’aucun bruit ne parvînt plus de la chambre » (Ibid., p. 158), alors que d’après K. Gerstein, il avait fallu 2 h 49 pour que le moteur se mette en marche et 32 minutes pour que tout le monde soit mort.
Ainsi, pendant un temps total de 3 heures et 21 minutes, K. Gerstein et W. Pfannenstiel auraient patiemment attendu que l’opération « criminelle » se déroule du commencement à la fin. Peut-on croire un tel récit ?
Rappelons que les deux officiers SS étaient venus, l’un à Belzec, l’autre à Lublin, non comme « spectateurs », mais pour effectuer des travaux précis. Le commandant du camp leur aurait-il permis de ne rien faire pendant plus de trois heures ?
b°) il déclara que les cadavres étaient jetés dans une fosse « pour y être brûlés » (Ibid., p. 159) alors que d’après K. Gerstein, les cadavres étaient mis par couches séparées par 10 cm de sable et pourrissaient-là.
Mais qu’importait. W. Pfannenstiel avait confirmé « pour l’essentiel » les allégations de K. Gertein, en leur ôtant de surcroît leur caractère délirant : il n’était plus question de 700 à 800 personnes dans 25 m², mais de chambres à gaz dont le « témoin » avait oublié la capacité
Je ne peux vous donner aucune indication sur la capacité des chambres à gaz ; Ibid., p.158
Il n’était plus question de fosse de 100x 20 x 12 m, mais de « grandes fosses » sans plus de précision (Ibid., p. 159) ; enfin, il n’était plus question d’une « montagne » de vêtements et de chaussures haute de 35 à 40 mètres, mais de « grands tas dans le camp » (Id.).
W. Pfannenstiel avait fait ce qu’on attendait de lui. Un mois plus tard, le 12 juillet 1950, il était libéré (Ibid., pp. 466-7). Il n’était plus considéré comme un criminel de guerre..
Hilberg signale lui-même que W. Pfannenstiel ne semble pas avoir été jugé (voy. R. Hilberg, op. cit., p. 952).
On ne saurait lui en vouloir. Inscrit en bonne place sur une liste de criminels de guerre, le paisible docteur n’avait que ce moyen pour retrouver sa liberté, pour s’occuper de sa famille nombreuse et pour commencer une nouvelle carrière. La survie était à ce prix !
2°) Contrairement, à ce qu’a écrit R. Hilberg, K. Gerstein ne transportait pas du « Zyklon » (nom commercial d’un désinfectant à base d’acide cyanhydrique). Il connaissait fort bien le Zyklon B qui se présentait en morceaux de matière poreuse imbibée d’acide cyanhydrique. Ce Zyklon B, produit solide, était contenu dans des boîtes métalliques.
Jamais K. Gerstein n’a imaginé que le Zyklon B pouvait servir à autre chose qu’à la désinfection. Il nous raconte un enlèvement d’acide cyanhydrique dans une usine près de Prague ; à un magistrat militaire français, il précise que ce produit (qu’il appelle à tort cyanure de potassium) était contenu dans 45 bouteilles d’acier ; c’était donc, selon lui, un produit liquide ou gazeux et non solide comme l’est le Zyklon B.
3°) Quelle était la mission de K. Gerstein, selon Hilberg ? Faire passer à l’acide cyanhydrique les chambres opérant au monoxyde de carbone. Cette thèse est inepte.
Au même magistrat, à Paris, qui lui demande le 19 juillet 1945 :
Comment devait être techniquement employé le cyanure pour l’extermination ?
K. Gerstein répond :
Gunther, à Berlin, n’en avait pas la moindre idée. Il supposait que je devais en avoir une. Mais en réalité je n’en avais pas, car je n’ai jamais utilisé le cyanure que pour la désinfection (voy. A. Chelain, op. cit., p. 179).
Vraiment, ces maîtres bourreaux SS s’apparentaient aux Pieds nickelés[28].
4°) Chambre opérant au monoxyde de carbone et tombant en panne en raison d’une défaillance d’un moteur Diesel.
Cette affirmation de Hilberg se heurte à un obstacle d’ordre technique : le moteur Diesel dégage beaucoup de dioxyde de carbone CO2 et très peu de monoxyde de carbone CO. Or, c’est le CO qui est mortel, et non CO2. Un moteur à explosion, et non Diesel, aurait mieux convenu[29].
5°) Ce n’est pas sur la suggestion de C. Wirth (commandant du camp de Belzec jusqu’au 1er août 1942) que K. Gerstein prétend avoir « enterré le Zyklon sous prétexte qu’il s’était abîmé ». En effet, K. Gerstein dit que les bouteilles d’acide cyanhydrique ont été dissimulées avant d’arriver au camp de Belzec, donc, avant de rencontrer C. Wirth qui ne serait venu à Belzec que le lendemain.
Pour en finir avec K. Gerstein, la pièce de Rolf Hochhut et le film de Costa-Gavras
Quelques mensonges historiques relevés dans le film Amen
Le film de Costa-Gavras répond à deux objectifs : traîner dans la boue le Pape Pie XII - et, à travers lui, l’Église catholique - et faire croire que l’ « Holocauste » a bien eu lieu.
Or, non content d’utiliser comme « héros » un fabulateur évident, Costa-Gavras a réalisé une œuvre truffée de mensonges historiques (même au regard de la thèse officielle) qui ne sont pas innocents.
En voici quelques exemples.
Selon le film, à Belzec, K. Gerstein assiste à un gazage perpétré à l’aide de Zyklon B : on voit des SS qui, debout sur le toit, versent des cristaux par la cheminée ; une boîte vide roule et tombe au sol ; sur l’étiquette, on lit « Zyklon ». K. Gerstein regarde par un judas et recule épouvanté. Un SS lui dit tranquillement :
C’est assez terrible
Il n’y a pas dix personnes au monde qui ont vu ce que vous avez vu.
Pourquoi Costa-Gavras n’a-t-il pas respecté les écrits de K. Gerstein selon lesquels le gazage avait été réalisé à l’aide d’un vieux moteur diesel qui aurait mis près de trois heures à démarrer ? Avait-il peur que de nombreux spectateurs s’interrogent sur la validité d’une thèse selon laquelle l’extermination industrielle aurait été réalisée avec des moyens aussi primitifs ?
Une autre scène montre K. Gerstein qui, dans son uniforme de SS, se rend à la nonciature de Berlin. Face au Nonce, il déclare qu’il a un message pour le Vatican. Il dit qu’à Auschwitz et à Belzec, des millions de juifs sont assassinés et qu’il l’a vu de ses yeux. On se contente de lui demander s’il est catholique. K. Gerstein répond que ce qu’il a vu le poursuit nuit et jour. Il est éconduit par le Nonce qui croit à une provocation de la Gestapo :
Un SS qui défend les juifs, lance-t-il. On nous prend pour des idiots.
Or, même si l’on accepte de croire l’officier SS, il suffit de lire son témoignage pour savoir qu’il n’a jamais rencontré le nonce à Berlin, Mgr Orsenigo. Il écrit :
Ma tentative de référer tout cela au chef de la légation du Saint-Père n’a pas eu grand succès. On me demanda si j’étais soldat. Alors on me refusa tout entretien[30].
La scène fabriquée du film accrédite le récit de K. Gerstein car certains diront :
On comprend pourquoi le Nonce l’a éconduit. Il était tout à fait impossible qu’un SS vienne trahir un secret d’État en plein Berlin et en uniforme. Cela “sentait” effectivement le coup monté. Si K. Gerstein était venu discrètement, habillé en simple civil, il aurait probablement été écouté.
Ce raisonnement est de bon sens. L’ennui est que dans ses « confessions », K. Gerstein a écrit :
On me demanda si j’étais soldat.
Il s’était donc présenté en civil, sinon, on ne lui aurait jamais posé cette question.
Dès lors, pourquoi l’aurait-on éconduit sans l’écouter davantage ?
C’est certainement pour éluder cette question gênante que Costa-Gavras a repris la thèse - déjà évoquée par Alain Decaux - d’un K. Gerstein arrivant en uniforme SS. Pour tenter, donc, d’accréditer le « témoignage » de l’officier SS, ceux qui l’utilisent sont contraints de prendre des libertés avec son récit. Quel aveu !
Une autre scène montre K. Gerstein à Rome. Là, il va voir son ami, le jeune ecclésiastique Ricardo qu’il a rencontré pour la première fois à la nonciature de Berlin. Ils s’étaient liés d’amitié car, scandalisé par le comportement du Nonce, Ricardo avait finalement été voir K. Gerstein chez lui afin d’obtenir des précisions sur les meurtres de masse.
Par la suite, ce jeune ecclésiastique était parvenu à parler personnellement au Pape, à Rome. Mais celui-ci s’était contenté de répondre :
Je connais la souffrance du monde, Ricardo
Mon cœur saigne pour les victimes.
Le père de Ricardo - qui occupait un poste en vue au Vatican - avait tout de même promis à son fils que Pie XII, dans son homélie de Noël, dénoncerait les massacres de masse. Mais cette promesse n’avait pas été tenue au motif que le Pape ne pouvait rien dire tant qu’il n’aurait pas « de preuves tangibles ». C’est pourquoi Ricardo avait finalement invité K. Gerstein à venir à Rome afin que Pie XII soit informé par le témoin direct.
Voilà donc l’officier SS à Rome.
Dans un premier temps, il dit à son ami que 3 millions de juifs ont déjà été gazés et lui donne une carte des « camps de la mort » et des factures de Zykon B. Puis il tente d’avoir une entrevue avec un cardinal. Celui-ci refuse de recevoir un SS, d’autant plus que ce SS-là est un traître à son pays.
Ricardo répond :
Parfois, la trahison est le dernier refuge des Justes.
Une fois de plus, il s’agit d’une scène fausse de bout en bout. Tous ceux qui s’intéressent un peu au sujet savent que K. Gerstein n’est jamais allé à Rome pour rencontrer des proches de Pie XII. Quant au jeune jésuite Ricardo, c’est un personnage inventé par Rolf Hochhut.
Costa-Gavras tente également d’accréditer la légende selon laquelle le Vatican aurait reçu un « rapport Gerstein » dès 1942 mais que, même averties, les autorités ecclésiastiques se seraient complètement désintéressées de cette question. Il en profite pour dénoncer l’apathie américaine.
A mon avis, c’est la scène la plus scandaleuse du film : Ricardo arrive en retard à un dîner auquel participent plusieurs ecclésiastiques (dont un cardinal complètement décati) ainsi que l’ambassadeur américain au Vatican.
Sans attendre, il donne au cardinal une carte que K. Gerstein lui a transmise avec l’emplacement des « camps de la mort », le nombre total des déportés déjà gazés et les prévisions pour le futur ; le document circule.
Mais trop occupés à décortiquer leurs écrevisses dans un décor d’un luxe inouï, aucun des attablés ne semble ému. L’ambassadeur américain lâche simplement :
Seule notre victoire pourra les sauver.
Ricardo rétorque :
D’ici-là, ils seront réduits en cendres.
Puis il demande que le Pape intervienne. Le cardinal répond :
Il doit rester neutre sinon Hitler va envahir le Vatican.
L’ambassadeur poursuit :
Si nous ralentissons notre effort de guerre pour sauver les juifs, cela fera l’affaire d’Hitler.
Puis, coupant court à cette conversation gênante, le cardinal déclare que le jour de Pâques devrait tomber à la même date chaque année ; on en discute. L’ « Holocauste » est oublié ! Écœuré, Ricardo quitte la table.
Nous retrouvons-là les principaux thèmes utilisés par les propagateurs du mythe de l’ « Holocauste ».
Dès 1942, tout le monde savait (ou aurait pu savoir), mais personne ne s’intéressait au sort des juifs : les Alliés étaient uniquement préoccupés de gagner la guerre ; les catholiques pensaient à leurs petites affaires du temps de paix.
Dans un compte rendu publié par Histoire du Christianisme Magazine (n° 9, p. 5), on lit :
On en oublierait presque qu’il s’agit d’une scène de fiction et si caricaturale !
C’est justement ce qu’il ne faut pas oublier ! Non seulement cette scène du repas est entièrement inventée, mais à ce jour, personne n’a pu prouver que le Vatican a reçu un « rapport de K. Gerstein ».
Dans ma thèse soutenue en 1985, j’ai étudié la question des écrits sur l’ « extermination » que K. Gerstein aurait pu rédiger avant 1945. On n’en trouve qu’un seul, daté de 1943 et rédigé en.. hollandais.
Cet étrange document, rédigé sur une simple feuille est manuscrit, mais il n’est pas écrit par K. Gerstein qui, d’ailleurs, ne connaissait pas la langue néerlandaise. En outre, il fut « découvert » après la guerre, dans des conditions ahurissantes : au fond d’un poulailler, épargné par les Allemands qui avaient incendié la maison d’un Résistant hollandais (sic).
Naturellement, ce document n’est pas signé ; il est si suspect qu’aucun des biographes de l’officier SS n’a jugé bon de le signaler (voy. A. Chelain, op. cit., p. 58, note 4).
Dans son ouvrage sur Pie XII et le Troisième Reich, l’historien très connu Saul Friedlander veut convaincre son lecteur qu’un rapport rédigé en 1942 existe bien, mais il ne peut rien apporter de valable en faveur de cette thèse. On lit :
C’est alors qu’il [Gerstein] communique un rapport au conseiller juridique de Mgr Preysing, archevêque de Berlin, en demandant qu’il soit transmis au Saint-Siège. Il n’y a aucune raison de croire que le texte n’ait pas été envoyé à Rome.
Le rapport Gerstein de 1942 fut probablement à peu près identique à celui qu’il rédigea, le 4 mai 1945, puisqu’il décrit le même événement […].
[…] compte tenu du fait que le Saint-Siège n’a pas démenti jusqu’à ce jour avoir reçu le rapport Gerstein pendant la guerre, on est en droit de supposer qu’un texte identique à celui qui nous allons citer a été transmis au souverain pontife par Mgr Preysing à la fin de 1942.
Tout ici n’est que vent. L’affirmation selon laquelle K. Gerstein a transmis un rapport au conseiller juridique de Mgr Preysing est fondée uniquement sur les allégations de ce même.. K. Gerstein[31].
Partant de ce fait qu’il considère comme établi, S. Freidlander va de déduction hasardeuse en déduction hasardeuse : « Il n’y a aucune raison de croire que.. », « probablement » ; « on est en droit de supposer qu[e] ».
Désolé M. Friedlander ! mais comme je l’écrivais dès 1985 :
Qu’un destinataire présumé n’ait pas nié avoir reçu un document supposé ne suffit pas […] pour estimer que ce document a beaucoup de chances d’avoir existé (Ibid., p. 51).
A l’époque, je concluais ainsi :
[…] il n’existe pas le moindre indice selon lequel Gerstein aurait rédigé un texte quelconque en 1942 ou ultérieurement, avant avril 1945 (Ibid., p. 52).
Près de vingt ans plus tard, ma position reste la même ; tant que les historiens n’auront pas fait correctement leur travail, tant qu’ils n’auront pas démontré sérieusement la réalité de ce rapport prétendument envoyé au Vatican, je n’aurai aucune raison de croire en son existence et je ne pourrai que dénoncer les procédés de personnages comme Costa-Gavras qui se moquent de la vérité et ne cherchent que la provocation.
Gerstein : un mythomane qui voulait jouer un grand rôle
Gerstein présente toutes les caractéristiques d’un mythomane. Inapte au service armé, il était physiquement atteint d’une grave hypoglycémie qui l’obligeait à avoir de nombreux morceaux de sucre dans ses poches. Il était sujet à des états pré-comateux[32].
En mars 1944, nous savons par une lettre à son père qu’il a été hospitalisé à Helsinki (Finlande). A l’automne 1944, il est à nouveau hospitalisé, mais à Berlin. Ces séjours à l’hôpital sont-ils dus à son hypoglycémie ou à son déséquilibre mental[33] ?
J’ai rencontré la veuve de K. Gerstein en 1983. Cette naïve fille de pasteur défendait la mémoire de son mari, dont elle avait eu bien du mal à cerner la personnalité, entre 1937 et 1945, au cours d’une vie de couple perturbée par l’instabilité chronique de l’époux. K. Gerstein n’a jamais eu de poste fixe dans l’industrie ou l’administration ; il a collectionné les stages, qu’il devait à ses relations familiales.
Engagé pour la durée de la guerre, il fut contraint de rester plus de trois ans à l’Institut d’hygiène de la Waffen SS à Berlin. Cette stabilité dut lui être très pénible, car elle ne convenait pas à son tempérament.
K. Gerstein avait pour passion d’éblouir, par son entregent, tous ceux qu’il approchait. Il faisait de nombreux achats pour offrir des cadeaux à ceux qui pouvaient lui être utiles. En période de disette, il trouvait le moyen de se procurer des denrées rares (chocolat, huile, café etc.)
Il utilisait probablement son argent personnel, mais il jonglait également avec le budget dont il disposait pour les produits de désinfection. C’était sa manière à lui de « vivre dangereusement » suivant le précepte de Nietzsche (précepte auquel il donnait une interprétation que le philosophe aurait naturellement désavouée).
Il insiste beaucoup dans ses « confessions » sur le fait qu’il ne payait pas aux dates prévues les factures de la société qui fournissait le Zyklon B, voire même qu’il les laissait impayées (voy. doc. NI-115028 et A. Chelain, op. cit., p. 433).
Sa veuve me l’a confirmé, croyant que son mari faisait ainsi acte de résistance, alors qu’il entravait seulement le cours normal de la désinfection des camps, ravagés par les épidémies[34].
En 1985, donc deux ans après m’avoir vu, elle a fait une révélation identique à Pierre Joffroy. Vers la fin de l’hiver 41-42, elle fut « convoquée » d’urgence à Berlin par son mari. Elle le trouva dans un état de détresse exceptionnel : il s’attendait à être arrêté et abattu.
En fait, il ne lui arriva rien et « Elfriede (prénom de la veuve) se demandera par la suite si la vraie raison de sa panique n’était pas la vérification des comptes de l’Institut en fin d’année » (Voy. P. Joffroy, op.cit. p. 186).
Quant à moi, j’ai fait une découverte sur le site Universalis d’internet[35]. A propos des spoliations d’œuvres d’art par les « nazis », Didier Schulmann, conservateur en chef du centre Pompidou, écrit :
On perd la trace du « Mur rose de l’hôpital de Calvi » peint par Matisse en 1897 […]. Il est retrouvé en juillet 1947 à Tübingen, dans la cache d’un officier SS, Kurt Gerstein.. »
Si ce dernier l’avait acquis dans des conditions normales, aurait-il eu besoin de le dissimuler dans une cache ?
Aucun des hagiographes de K. Gerstein n’a parlé de cette affaire suspecte. Pourtant, les ouvrages de Léon Poliakov, Saul Friedländer, Pierre Joffroy etc. sont tous postérieurs à 1947. Le secret était-il si bien gardé ?
Dans la rubrique d’internet, on lit encore :
Le témoignage de Kurt K. Gerstein est une pièce centrale dans la description du système exterminateur ; ses propos constituent le seul témoignage existant, précis, technique et détaillé de gazage de Juifs auquel il a assisté, en tant que pourvoyeur de Zyklon B pour les camps de Belzec et de Treblinka.
Certes, le conservateur en chef du centre Pompidou n’est pas un historien. Toutefois, sa remarque n’est pas fausse. Après la mise aux oubliettes des témoignages écrits de Pery Broad, de Miklos Nyiszli, de plusieurs autres, y compris celui de Rudolf Höss, premier commandant du camp d’Auschwitz, celui de K. Gerstein paraît être le dernier, après avoir été le premier puisqu’il porte la date du 26 avril 1945.
Quant aux adjectifs « précis, technique, détaillé », ils peuvent avantageusement être remplacés par « bizarre, flou et invraisemblable ».
K. Gerstein en a mis « plein la vue » de son vivant à tous ceux qui l’ont approché. Il a continué, après sa mort. Il en a « mis plein la vue » à de nombreux auteurs de la littérature concentrationnaire.
Il en a « mis plein la vue » à Rolf Hochhut, qui l’a utilisé pour diffamer le pape Pie XII, et culpabiliser l’ensemble des catholiques.
Lorsque, fin 1978, l’ « affaire Faurisson » a éclaté, les historiens de cour ont brandi le « témoignage » de K. Gerstein en parlant d’un récit « indiscutable sur l’essentiel » (voy. Le Monde, 21 février 1979, p. 23).
Mais dix ans plus tard, Léon Poliakov, qui se targuait d’avoir été « le premier à publier, en France au moins », le « rapport Gerstein », fut contraint d’admettre :
Certes, dans les rapports de Gerstein, se logeaient un certain nombre d’erreurs. Il n’avait vu un camp d’extermination qu’une seule fois, et d’un peu loin, c’était le camp polonais de Belzec[36].
Aujourd’hui, il est probable que K. Gerstein a cessé « d’en mettre la plein la vue » à quelques trop rares historiens lucides et courageux. Le 5 septembre 1996, Ernst Nolte écrivit à François Furet :
[…] même des témoignages « de visu » très répandus dans les années 50, comme celui du […] SS Kurt Gerstein, membre de l’Eglise confessante, ne sont plus repris dans la bibliographie de chercheurs tout à fait orthodoxes[37].
Faut-il en déduire que K. Gerstein a tout inventé : Kolin et son voyage à Lublin, sa visite à Belzec etc. ? Personnellement, je ne le pense pas. On sait qu’en mars 1941, il est entré volontairement à la SS et qu’il a suivi une instruction militaire jusqu’en mai 1941.
On sait qu’en juin 1941, il a été affecté à l’Institut d’Hygiène des Waffen SS, avant d’être promu sous-lieutenant en novembre 1941 puis lieutenant « spécialiste » (catégorie F) en avril 1943.
A partir de janvier 1942, il fut le chef du département « Technique sanitaire » ; il se spécialisa dans les appareils de désinfection fixes ou mobiles ainsi que dans les filtres destinés à rendre l’eau potable pour les troupes au front ou pour les prisonniers dans les camps.
Dans ses « confessions », il déclare qu’à son arrivée à Lublin, O. Globocnik lui a dit :
Il vous faudra faire la désinfection de très grandes quantités de vêtements […][38].
C’est votre tâche que de mener à bien la désinfection de quantités très importantes de textiles[39].
Il est également intéressant de noter la description qu’il fait du camp de Belzec. Il y voit un vestiaire avec un grand guichet pour y déposer les « valeurs » ; puis une immense pièce avec une centaine de chaises où les nouveaux arrivants se font tondre les cheveux ; et ensuite une pancarte qui indique la direction des « salles d’inhalation et de bain » (Ibid., pp. 87-88).
Le lendemain, K. Gerstein assiste à l’arrivée d’un convoi. Les gens se déshabillent, sont rasés et passent à la désinfection. A ceux qui s’interrogent sur leur destin, on répond :
Oui, naturellement, les hommes devront travailler, construire des maisons ou faire des routes, mais les femmes n’auront pas besoin de travailler. Seulement si elles veulent, elles peuvent aider au ménage ou à la cuisine (Ibid., pp. 88-89).
Tout cela s’accorde parfaitement avec la thèse qui présente Belzec comme un simple camp de transit. Les juifs s’arrêtaient le temps nécessaire pour qu’eux-mêmes et leurs vêtements soient désinfectés. Puis les aptes au travail étaient séparés des inaptes et leurs chemins divergeaient. Les premiers étaient acheminés dans des commandos de travail, les autres partaient plus loin à l’Est.
Sachant que les premières grandes déportations commencèrent lors du premier semestre de l’année 1942 et que les camps de Treblinka, Belzec et Sobibor entrèrent en fonctionnement durant cette période (entre mars et juillet 1942), il n’est pas surprenant qu’un spécialiste de la désinfection comme K. Gerstein ait été appelé afin de résoudre les problèmes imprévus qui avaient inévitablement surgi, en particulier la désinfection d’énormes quantités de vêtements.
Telle est, à mon avis, l’histoire vraie de K. Gerstein, un simple officier subalterne « spécialiste » auquel on confia une tâche banale qui correspondait à sa spécialité.
Comme tous les mythomanes que la routine ennuie, K. Gerstein partit de cette réalité - trop - simple et donna libre cours à son imagination. Les rumeurs de l’époque lui en fournirent l’occasion. Lui qui rêvait de jouer un grand rôle, il se fabriqua un personnage, celui du témoin qui avait vu, qui connaissait le secret.
Mais les personnes auxquelles il parla (entre autres le diplomate suédois Baron von Otter) ne le crurent visiblement pas - et on les comprend.
La fin de la guerre et l’intense campagne de propagande alliée à partir d’avril 1945 allaient, pour lui, être une nouvelle opportunité de jouer le rôle qu’il espérait : il se rendit aux autorités françaises et raconta ses histoires. Pendant un temps, il crut avoir réussi.
Dans une lettre écrite à sa femme le 26 mai 1945, il déclara qu’on s’intéressait
très fortement à [s]on cas
et qu’il allait
comparaître devant la Cour internationale de Justice en qualité d’un des principaux témoins contre les criminels de guerre [40].
Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. Le 25 juillet 1945, il fut retrouvé pendu dans sa cellule dans des conditions restées mystérieuses.
En temps normal, K. Gerstein aurait rapidement dû rejoindre dans la nuit de l’oubli une cohorte d’autres mythomanes. C’est d’ailleurs ce qui faillit arriver, puisque ses « confessions » ne furent même pas lues à Nuremberg.
Il fallut attendre plusieurs années pour qu’il joue enfin son rôle, mais à titre posthume.
En 1951 Léon Poliakov publia partiellement la version dactylographiée du 26 avril 1945, non sans graves déformations et omissions[41]. Depuis, d’autres auteurs se sont intéressés au « cas Gerstein », jusqu’au cinéaste Costa-Gavras.
Je sais que ce dernier a eu ma thèse en mains, un an avant de commencer le tournage de son film[42]. A-t-il pris, en outre, connaissance de l’appréciation d’Ernst Nolte ? De toutes façons, il n’en avait cure.
Le cinéaste provocateur tenait un bon sujet ; il n’allait pas le lâcher. Il ne voulait surtout pas rater son mauvais coup. Mais paradoxalement, il est possible qu’un jour, son film serve la cause révisionniste. Pourquoi ? Parce qu’à la fin, on lit en gros sur l’écran :
Le rapport Gerstein a contribué à l’authentification de l’Holocauste.
Gerstein a été réhabilité vingt ans plus tard[43].
Quant à moi, je me suis efforcé d’approcher la vérité au plus près, sans ignorer qu’il peut subsister quelques zones d’ombre, comme c’est le cas dans toutes les histoires du même genre. Ma conclusion, c’est que la valeur des - et non du - rapports Gerstein est nulle.
Si les adversaires du révisionnisme historique de la deuxième guerre mondiale en ont été réduits à utiliser abondamment un tel « document » (dans de nombreux livres, dans d’innombrables articles, dans une pièce de théâtre, et enfin dans un film), il apparaît évident qu’ils sont fort démunis pour « authentifier l’Holocauste ». Ils ont choisi un bien mauvais personnage et de bien piètres (prétendues) preuves pour culpabiliser non seulement l’ensemble des catholiques, mais aussi le monde entier, y compris les Alliés, à travers la personne symbolique du Pape Pie XII.
Le dernier film de Costa-Gavras se retournera-t-il un jour contre les véritables falsificateurs de l’Histoire ? C’est toute la grâce que je lui souhaite. AMEN !
Henri Roques
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[1] « A la vérité, continue-t-il, on fait à Pie XII un procès injuste dont l’inspiration n’est fondamentalement que celle d’une vieille haine anti-catholique » (voy. Présent, 22 février 2002, article intitulé : « Bernard Antony dénonce les grosses ficelles d’“Amen” »).
[2] Cette thèse a été publiée en 1988 par André Chelain aux éditions Polémiques, sous le titre : La Thèse de Nantes et l’affaire Roques.
[3] Voy. L’Express, 21 février 2002, p. 8, col. A : « Un SS qui aurait de la morale ? L’histoire est vraie […] ».
[4] Voy., par exemple, Histoire du Christianisme Magazine, n° 9, mars 2002, p. 5 : « Amen retrace l’histoire d’un ingénieur-chimiste allemand, Kurt Gerstein (1905-1946 [sic]), officier pendant la seconde guerre mondiale ».
[5] Voy. A. Chelain, op. cit., p. 189, reproduction de la lettre de Me Pierre Lehmann datée du 25 juillet 1945. L’avocat se disait persuadé que l’impartialité manifestée dès la première séance de l’’instruction sauvegarderait les droits « d’un inculpé qui, au surplus, ne semble point coupable ».
[6] Voy. Le Monde Juif, mars-avril 1964, p. 4, article de Léon, Poliakov.
[7] Voy. Le Monde, 25 avril 1970, article de « P.J.F. » (Pierre Joffroy) intitulé : « Kurt Gerstein. “Un poète du génocide” ». L’article se termine sur cette phrase : « Ce long cri strident recrée dans sa vérité Kurt Gerstein, comédien et martyr, poète du génocide ». La qualification de « comédien » appliquée à K. Gerstein me paraît tout à fait justifiée, même si P. Joffroy a utilisé ce mot pour des raisons opposées aux miennes.
[8] Voy. le titre de l’ouvrage de P. Joffroy : L’Espion de Dieu. La Passion de Kurt Gerstein.
[9] Voy. André Chelain, p. 50.
[10] Sur les six versions, deux ont été admises dans la série PS (Paris Storey) après examen de la « Documentation Division » du commandant Storey. L’une des deux, en allemand et truffée de faute en tous genres, dactylographiée par une personne qui ne connaissait pas la langue allemande, a été peu utilisée. Elle porte le numéro PS-2170. De toute évidence, elle n’a pas été rédigée par K. Gerstein : c’est une fabrication de texte. L’autre version (PS-1553) a été souvent utilisée au cours du procès. Toutefois, elle n’a pas été lue à l’audience du Tribunal militaire international de Nuremberg. Ce dernier n’a retenu que quelques factures du Zyklon B sur papier à en-tête de la société Degesch. Ces factures sont suspectes : établies au nom de Gerstein et non de l’Institut d’hygiène de la Waffen SS, elles ne sont pas numérotées, ce qui est contraire aux règles comptables élémentaires ; en outre, des ajouts dactylographiés sont faciles à repérer, particulièrement « Blausäure » (acide prussique). D’ailleurs, ces factures ne prouvent rien ; elles confirment que K. Gerstein approvisionnait les camps en Zyklon B pour la désinfection, ce que personne ne conteste.
[11] Voy. A. Chelain, op. cit., pp. 313-320.
[12] Voy. la version du 6 mai 1945, dans A. Chelain, op. cit., p. 131.
[13] « Christian Wirth fut nommé au début d’août 1942 inspecteur des trois camps d’extermination et […) Gottlieb Hering prit sa succession […]. Le nouveau quartier général de Wirth se trouvait maintenant à Lublin » (Voy. E. Kogon, H. Langbein et A. Rückerl, Les chambres à gaz, secret d’État [éd. de Minuit, 1984], p. 166). De son côté, Raul Hilberg précise : « Le 1er août 1942, Wirth fut nommé inspecteur des trois camps » (voy. R. Hilberg, La destruction des juifs d’Europe [éd. Fayard, 1988), p. 777).
[14] Cet Obermeyer n’a d’ailleurs jamais été identifié. La justice allemande inculpa à sa place un certain Oberhauser qui n’était ni capitaine ni originaire de Pirmasens, mais qui avait monté la garde à l’entrée du camp de Belzec. Il écopa d’une peine de prison assez légère..
[15] Dans une première version (connue) de ses « confessions », K. Gerstein a prétendu qu’à son arrivée à Lublin, le général Globocnik lui aurait dit : « Votre deuxième devoir : de changer nos chambres à gaz, maintenant fonctionnant avec échappement d’un ancien moteur “Diesel” à une chose plus toxique et plus vite, c’est acide prussique » (voy. A. Chelain, op. cit., p. 65).
[16] Avant de préciser à K. Gerstein son « deuxième devoir », O. Globocnik lui avait dit prioritairement : « il vous faudra faire la désinfection de très grandes quantités de vêtements ». Il est évident que telle était la vraie mission confiée à K. Gerstein. L’a-t-il remplie ? Il ne nous donne aucune indication à ce sujet, ce qui est pour le moins troublant et ne peut que laisser perplexe tout lecteur de bonne foi.
[17] Voy. Auschwitz. Technique and Operation of the Gas Chambers (Beate Klarsfelf Foundation, 1989), p. 127.
[18] « vraies montagnes de vêtements et de linge de 35-40 mètres d’altitude » (voy. A. Chelain, op. cit., p. 69) ; « personne ne pourrait retrouver les paires [de chaussures] dans le tas haut de 35 à 40 mètres » (Ibid., p. 113).
[19] « A Belzek et Tréblinca, on n’est pas se donné la peine de compter d’une manière quelquement exacte le nombre des hommes tués. […] il s’agira cca [environ] ensemble de 25 000 000 hommes ! » (Ibid., p. 78) ; « J’estime le nombre de ceux qui, sans défense et sans armes, ont été assassinés […] à au moins 20 000 000 d’êtres humains » (Ibid., p. 138). Dans son livre Histoire du négationnisme en France (éd. du Seuil, 2000), Valérie Igounet écrit : « En janvier 1947 (cf. Le Monde, 18 janvier 1947, p. 2), un article (non signé) décrit l’audition de la déposition écrite de K. Gerstein au procès de Nuremberg. Le journaliste pense peut-être que la surévaluation du nombre des victimes accentue l’horreur perpétrée par les nazis » (pp. 16-17). Le journaliste anonyme n’a rien inventé, n’a rien surévalué ; s’il mentionne 25 millions de morts, c’est parce qu’il a mieux lu la version PS-1553 du témoignage de K. Gerstein que V. Igounet, docteur en histoire (mention « très honorable » et félicitations du jury à l’unanimité). Cette dernière ne semble pas savoir non plus que la déclaration écrite de K. Gerstein n’a pas été lue à l’audience du TMI de Nuremberg.
[20] Voy. P. Joffroy, L’Espion de Dieu. (éd. revue et complétée, Seghers, Paris, 1992), pp. 344-5.
[21] Voy. A. Chelain, op. cit., p. 137
[22] Voy. J. Ball, La preuve par la photographie aérienne (éd. du VHO, 2000), pp. 96-7.
[23] Ces « facéties » ont été relatées avec beaucoup d’autres par P. Joffroy dans son livre L’espion de Dieu. P. Joffroy ne conteste pas l’originalité du caractère de K. Gerstein, mais il estime que, déjà, le « saint homme » (comme aurait dit à peu près Tartuffe) perçait sous l’hurluberlu.
[24] « Parts are corroborated ; others are pure nonsense » (Des parties sont plausibles ; les autres sont un pur non-sens) (voy. Did Six Millions Really Die ? Report of the Evidence in the Canadian « False News » Trial of Ernst Zündel - 1988 [Samisdat Publishers Ltd, Toronto, 1992], p. 31, col. B).
[25] « Le 8 juin 1942 entra dans ma chambre de service le SS Sturmbannführer Guenther (…], inconnu à moi, en civil. Il me donna l’ordre de prendre 100 kgs d’acide prussique à un camion et d’aller à un lieu, qui n’était pas connu qu’au chauffeur » (voy. A. Chelain, op. cit., p. 64).
[26] « A Kollin près de Prague, nous chargions le camion de l’acide et venons à Lublin/Pologne. Là, le SS Gruppenführer Globocnek nous attendait. Ayant encore de la place à la voiture, j’avais pris avec moi le SS Obersturmbannführer Professor Dr. Pfannenstiel. Globocnek nous dit : Cette chose est une des plus secrètes qu’il y a. Chacun qui en parle sera fusillé aussitôt. » (Ibid., p. 64).
[27] Voy. Les chambres à gaz.., op. cit., pp. 157-159.
[28] Selon le Quid, l’expression est due à Tristan Bernard, grand humoriste français d’origine juive (1866-1947) ; elle désignait « ceux qui ne sont pas portés sur le travail ». Ces héros d’une bande dessinée du début du XXème siècle échouaient dans toutes leurs entreprises.
[29] Pour le fonctionnement du moteur Diesel, il convient de se reporter à l’étude de Fritz Berg : « The Diesel Gas Chambers : “Myth Within A Myth” » publiée dans le Journal of Historical Review (printemps 1984), p. 24.
[30] Voy. A. Chelain, op. cit., p. 70.
[31] Dans ses « confessions », en effet, il déclare, après avoir en vain tenté de prévenir le Nonce du Pape à Berlin : « je lui ai fait dire tout cela par Mgr le Docteur Winter, secrétaire de l’épiscopat catholique de Berlin » (voy. A. Chelain, op. cit., p. 70).
[32] Dans une lettre du 1er octobre 1957 à Elfriede Gerstein, le docteur en médecine Nissen, collègue de K. Gerstein à l’Institut d’hygiène de Berlin, écrit : « son déséquilibre glycémique provoquait parfois chez votre mari des états pré-comateux qui expliqueraient ses absences d’esprit et certaines de ses réactions étranges » (voy. S. Friedländer, K. Gerstein ou l’ambiguïté du bien [éd. Casterman, Tournai, 1967], p. 152).
[33] Déjà en 1967, L. Poliakov écrivait : « Des psychiatres auraient bien des choses à nous dire sur le cas Gerstein » (voy. le postface du livre de S. Friedländer, cité dans la note précédente, p. 200).
[34] « J’ai fait écrire à mon nom les notas [factures] pour […] mieux faire disparaître l’acide toxique. Je n’ai jamais payé ces livraisons » (voy. le doc. PS-1553, p. 5 de l’original).
[35] http://www.universalis.fr.
[36] Voy. L’envers du destin - Entretiens avec Georges Élia Serfati (éd. du Fallois, Paris, 1989), p. 114
[37] Voy. la revue Commentaire, hiver 1997, p. 800.
[38] Manuscrit et texte dactylographié du 26 avril 1945, voy. A. Chelain, op. cit., pp. 65 et 74.
[39] Texte dactylographié en allemand du 4 mai 1945 ; Ibid., p. 86
[40] « Mais comme on s’intéresse très fortement à mon cas et comme j’ai à comparaître devant la Cour internationale de Justice en qualité d’un des principaux témoins contre les criminels de guerre, je ne peux encore rien dire de plus précis » (voy. A. Chelain, op. cit., p. 165).
[41] Voy. L. Poliakov, Bréviaire de la haine (éd. Calmann-Lévy, 1951), pp. 220-224.
[42] Alerté par un révisionniste, qui lui a appris l’existence d’une thèse sur les « confessions » de K. Gerstein, Costa-Gavras a envoyé un de ses proches à mon domicile. Je lui ai vendu un exemplaire du livre La thèse de Nantes et l’affaire Roques. C’était probablement au début de l’automne 2000. Le lecteur trouve dans cet ouvrage, en fac-similé, l’intégralité des textes connus de K. Gerstein ou qui lui sont attribués. Il peut également prendre connaissance des interrogatoires de l’officier SS à Paris en juin et juillet 1945, ainsi que plusieurs annexes qui éclairent le mythe Gerstein.
[43] Après sa mort, K. Gerstein fut en fait d’abord placé dans la catégorie des « petits coupables » par un tribunal de dénazification qui refusa même de le réhabiliter en 1950. C’est seulement en 1965 que l’officier SS obtint une réhabilitation complète, grâce à l’affaire provoquée par Rolf Hochhut avec sa pièce Der Stellvertreter (en français : Le Vicaire).