L’ « extermination par le travail » : mythe ou réalité ?

Trois événements capitaux survinrent en 1941, dont les répercussions allaient être immenses :

1°) le déclenchement de l’offensive en URSS ;
2°) l’arrivée précoce de l’hiver russe ; et
3°) l’entrée en guerre des Etats-Unis.

Une mondialisation de la guerre qui provoque en Allemagne une grave pénurie de main-d’œuvre

En 1939, l’Allemagne n’était pas prête pour résister à une attaque concentrique

A partir de juin 1941, le Reich fut amené à se battre sur deux fronts très étendus. A l’Ouest contre les Anglais et leurs alliés ; à l’Est contre l’URSS. En moins de deux ans, ainsi, le simple conflit local germano-polonais pour Dantzig et le Corridor s’était transformé en une guerre (presque) mondiale.
Cette évolution, Hitler ne l’avait pas prévue[1] et l’Allemagne n’était pas prête, même sur le plan militaire, à supporter un tel combat.

A Nuremberg, le général Jodl fut formel ; questionné sur l’état de l’armement allemand en 1939, il expliqua :

Jusqu’en 1939, nous étions, il est vrai, en mesure d’abattre la Pologne seule ; mais nous n’avons jamais été en mesure, ni en 1938, ni en 1939, de nous opposer à une attaque concentrique de ces nations [France, Angleterre, Pologne] réunies. Et si nous ne nous sommes pas effondrés dès 1939, cela est dû tout simplement au fait que, pendant la campagne de Pologne, les 110 divisions françaises et britanniques à l’Ouest sont demeurées absolument inactives en face des 23 divisions allemandes […]. Nous sommes entrés dans la guerre avec environ 75 divisions. Soixante pour cent de notre potentiel d’effectifs n’avait encore subi aucune formation militaire […]. Nos réserves en munitions et en obus […] atteignaient alors un niveau dérisoire[2].

A partir de la fin 1941, le Reich se heurte à une pénurie de la main-d’œuvre

En vingt mois, certes, l’Allemagne eut le temps de parer au plus au plus pressé afin de riposter à l’Ouest. Mais à partir du moment où elle se trouva prise entre l’empire anglais et l’empire russe, Hitler n’eut qu’un seul souci : soutenir l’effort de guerre. Or, avec le départ de nombreux hommes sur le front de l’Est, le Reich allait fatalement manquer de main-d’œuvre.

Le 31 octobre 1941, un mémorandum très secret rédigé au Quartier Général de Hitler déclara :

La pénurie de main-d’œuvre devient un obstacle de plus en plus dangereux pour l’avenir de l’industrie allemande de guerre et d’armement. L’amélioration escomptée par l’effet des démobilisations est incertaine quant à son étendue et à sa date[3].

Hiver 1941-1942 : Hitler ne parvient pas à écraser l’URSS

Le seul espoir résidait dans une victoire rapide en URSS. Or, si les succès militaires des premiers mois permirent de l’espérer, l’arrivée précoce de l’hiver russe remit tout en question. L’offensive en URSS se trouva subitement stoppée.
Le 8 décembre 1941, la directive n° 39 pour la conduite de la guerre fut envoyée à tous les postes de commandement. On lisait :

L’hiver à l’est, qui est apparu étonnamment tôt et particulièrement dur, ainsi que les difficultés d’approvisionnement qui en résultent, contraignent à l’arrêt immédiat de toutes les grandes opérations offensives et au passage à la défensive. La façon dont cette défensive doit être conduite est déterminée par l’objectif que nous poursuivons, à savoir :
a) Conserver les secteurs qui sont pour l’adversaire d’une grande importance pour ses opération ou son économie de guerre ;
b) Rendre possible pour les forces de la Wehrmacht engagées à l’est un repos et une réorganisation complets ;
c) Créer ainsi les conditions nécessaires pour la reprise de grandes opérations offensives en 1942[4].

La reprise de l’offensive nécessite des hommes et du matériel

La reprise des opérations offensives nécessitait toutefois l’apport de nouveaux hommes et de nouveau matériel. Car la récente campagne militaire et l’arrivée subite de l’hiver avaient eu pour conséquence des pertes énormes.

Le 30 novembre 1941, le chef de l’État-Major des Armées, le général Halder, précisa que le total des pertes à l’Est se montait à 743 112 hommes (non compris les malades), que 340 000 soldats manquaient à l’Infanterie et que 50 % des camions seulement étaient en état de marche (Voy. Walrimont, op. cit., p. 120).
A cela, il fallait ajouter les pannes en masse des locomotives, des armes mécaniques, des chars, des avions etc[5]. Le déficit en hommes était tel que la mobilisation de la classe 1922 ne pouvait suffire à le combler[6].

Voilà pourquoi le 8 décembre 1941, Hitler ordonna que les jeunes ouvriers allemands placés en affectation spéciale soient « de façon générale et le plus largement possible » envoyés au front (Id.). Mais cette décision risquait d’affecter un peu plus la production de guerre à un moment où le matériel devait impérativement être remplacé.
Trois jours plus tard, en outre, l’Allemagne déclara la guerre aux USA. Hitler prit cette initiative peu après Pearl Harbor afin que les commandants de sous-marins puissent désormais torpiller tous les navires ennemis dans l’Atlantique, sans crainte de commettre une erreur[7]. Mais cette décision plaçait l’Allemagne dans une situation délicate : désormais aux prises avec deux ennemis dont le potentiel humain et matériel était colossal, elle « devait nécessairement tenter d’en éliminer un avant que l’autre puisse déployer toute sa puissance » (voy. Walrimont, p. 131).

Comme on pouvait s’y attendre, le choix se porta sur le plus affaibli à ce moment : l’URSS. Toutefois, aucun espoir de victoire ne pouvait être caressé si le Reich ne gagnait pas en premier lieu la bataille de la production d’armement afin de combler les vides béants. L’Allemagne se retrouvait donc dans une situation inextricable : produire l’armement dans des usines vidées de leurs travailleurs, ces derniers devant partir au front.

Hitler prend des mesures d’urgence

Afin de parer au plus pressé, Hitler ordonna la mise au travail des prisonniers de guerre soviétiques et la réquisition de travailleurs civils issus des territoires conquis à l’Est. Dans la directive n° 39, déjà citée, on lisait :

Les jeunes ouvriers [allemands] placés en affectation spéciale devront être […] remplacés par des prisonniers et des travailleurs civils soviétiques qui seront engagés en groupe. Des ordonnances spéciales à ce sujet seront promulguées par le commandement supérieur de la Wehrmacht [H.R. Trevor-Roper, pp. 136-7].

Chez les dirigeants du Reich, malgré une confiance sans cesse affichée, une sorte de panique naquit : les autorités allemandes abandonnèrent subitement tous les travaux d’urbanisme qui ne servaient pas à l’effort de guerre[8]. Cette initiative permit de libérer du matériel et des travailleurs et de les utiliser pour l’effort de guerre.
En janvier 1942, Hitler convoqua Speer et lui donna quelques mois pour accroître très fortement la production en armement[9]. Les demandes étaient telles que les infrastructures existantes ne pouvaient suffire et qu’il fallut très rapidement construire de nombreuses nouvelles usines[10].
La main-d’œuvre allemande faisant défaut, des milliers de prisonniers de guerres furent affectés à cette tâche urgente[11]. Mais pour produire, ces nouvelles usines réclamaient des ouvriers. Le Reich se retrouvait donc sans cesse devant le même problème..

Mars 1942 : Fritz Sauckel nommé plénipotentiaire à la main-d’œuvre

Il devait le résoudre d’autant plus rapidement qu’en mars 1942, la guerre avait repris à l’Est, avec les opérations offensives dans le Caucase. Face à l’urgence, Hitler dissout toutes les sections de main-d’œuvre (qui avaient été créées en 1936) et nomma un plénipotentiaire général pour la main-d’œuvre. Il s’agissait de Fritz Sauckel[12]. A Nuremberg, ce dernier raconta :

Le Führer m’expliqua que si l’on ne gagnait pas sur l’adversaire la course à la production de nouvelles armes et munitions, l’hiver suivant les Soviets seraient à la Manche. Faisant appel à mon sens du devoir et à toute ma science, il me chargea de procurer de nouveaux ouvriers étrangers à l’économie de guerre allemande[13].

Les principes du « travail obligatoire » dans les pays occupés est mis en place

Dès avril 1942, F. Sauckel eut pour première mission de fournir au Reich 1 600 000 travailleurs (TMI, XV, 61). Il y parvint en cinq mois[14], sur la base du volontariat et du travail obligatoire (seulement à l’Est)[15].

Septembre 1942 : F. Sauckel doit trouver 2 millions de travailleurs supplémentaires

Mais cette mobilisation ne suffit pas pour soutenir l’effort de guerre. Dans un rapport daté du 6 juin 1942, un adjoint du général Jodl tira la sonnette d’alarme à propos de la situation dans l’Armée de terre.
Il exposait :

Déficit en personnel à l’Armée de l’Est au 1er mai 1942, 625 000 hommes ; impossible de remplacer la totalité des pertes subies au cours de l’hiver. Les divisions blindées des Groupes d’Armées Centre et Nord ne disposeront chacune que d’un seul bataillon de blindés (c’est-à-dire de 40 à 50 chars). Il faut s’attendre pour le mois d’août 1942 à des difficultés dans le domaine des munitions, qui pourraient influencer les opérations ; secours à puiser dans les stocks du Commandement en Chef Ouest. Mobilité fortement compromise par les lourdes pertes en véhicules et en chevaux qui ne peuvent être compensées. Impossible d’éviter les mesures de « démotorisation ». Actuellement, plus de réserves en Allemagne [Walrimont, p. 136].

En septembre 1942, F. Sauckel fut donc chargé de trouver un nouveau contingent de 2 000 000 de travailleurs (TMI, XV, 61). Il se tourna alors vers l’Ukraine (TMI, III, 427). Conscient de l’urgence, Hitler lui donna « tous les pouvoir pour prendre toutes les mesures utiles » et se déclara :

d’accord sur l’emploi de mesures de coercitions au cas où cette question ne pourrait être résolue sur la base du volontariat et cela, non seulement pour l’Est, mais aussi pour les territoires occupés de l’Ouest [TMI, III, 431].

Joignant le geste à la parole, le 8 septembre 1942, le Führer instaura le service du travail obligatoire dans les territoires de l’Ouest afin d’aider à la construction du Mur de l’Atlantique. Le décret prévoyait le retrait des cartes de ravitaillement et de textiles pour les réfractaires (TMI, III, 463-4).
Aux Pays-Bas, 250 000 à 260 000 jeunes hommes furent astreints au travail en Allemagne (TMI, XV, 685). Le 6 octobre 1942, un nouvelle ordonnance instaura le service du travail obligatoire en Belgique et dans le nord de la France (TMI, XV, 103).
Cette recherche frénétique de la main d’œuvre était visible partout, y compris en France. En 1941, ainsi, 19 convois de travailleurs étaient partis de ce pays vers le Reich. Ce nombre passa à 104 en 1942, soit une augmentation de plus de 5 000 % (TMI, XXXVII, 125, doc. F-274).
Grâce aux efforts de F. Sauckel, le contingent de 2 000 000 de travailleurs fut finalement trouvé (notons que parmi ces gens, il y avait un million d’Allemands [TMI, XV, 61]).

Novembre 1942 : le Reich subit ses premiers graves revers militaires et doit produire chaque jour davantage

Mais le mois de novembre 1942 vit les premiers graves revers allemands : les armées anglaises remportèrent la victoire d’El-Alamein et avancèrent rapidement en Libye ; les forces anglo-américaines débarquèrent en Afrique du Nord, s’emparant de Casablanca et d’Alger ; en URSS, enfin, l’avance de la Wehrmacht fut définitivement stoppée.

Par conséquent, le Reich avait échoué : il n’était pas parvenu à éliminer l’un de ses deux principaux ennemis avant que l’autre ne déploie toute sa puissance. Cerné de toutes parts, il lui fallait envoyer ses derniers ouvriers spécialisés au front et produire chaque jour davantage pour espérer reprendre l’initiative.

F. Sauckel se démène pour trouver des travailleurs

F. Sauckel se vit alors demander 1 000 000 de travailleurs supplémentaires parmi lesquels un grand nombre d’ouvriers hautement qualifiés. Or, à cette date, les réserves en Allemagne étaient définitivement épuisées. Certes, de nombreuses femmes étaient encore disponibles, mais elles ne pouvaient remplacer les ouvriers spécialisés, les mineurs et les travailleurs de forces qui étaient partis les derniers et qui devaient être remplacés[16].

Face à cette situation désastreuse, les autorités allemandes décidèrent d’opérer des réquisitions sur une vaste échelle. Le 6 février 1943, une ordonnance généralisant le STO à l’Est fut publiée (TMI, III, 430). Le 11 mars, le chef de l’État-Major économique Est de l’Armée allemande communiqua :

En tenant compte des pertes extraordinaires de main-d’œuvre qui se sont produites dans l’industrie de guerre allemande en raison des événements de ces derniers mois, il est maintenant nécessaire de reprendre partout le recrutement des travailleurs en l’augmentant considérablement. La tendance à limiter ou à arrêter complètement le programme de recrutement du Reich […] est absolument inacceptable dans les circonstances actuelles. Le Gauleiter Sauckel qui est au courant de ces événements s’est, en conséquence, immédiatement adressé au General-Feldmarschall Keitel, le 10 mars 1943, par télétype, et lui a souligné à cette occasion que, comme dans tous les autres territoires occupés où les méthodes échouent, on devait, sur l’ordre du Führer, exercer une certaine pression[17].

Six jours plus tard, F. Sauckel insista sur l’urgence du recrutement à grande échelle. Dans une lettre à A. Rosenberg, il déclara :

Ce sont en particulier les apports de main-d’œuvre à l’agriculture allemande et au programme d’armement ordonné par le Führer qui exigent l’importation rapide d’environ un million d’hommes et de femme en provenance des territoires de l’Est dans les quatre mois à venir. A dater du 15 mars, les transports journaliers devront atteindre le chiffre de 5 000 hommes ou femmes ; au début d’avril ce chiffre devra s’élever à 10 000, si l’on veut que les programmes urgents ainsi que les labours de printemps et autres travaux agricoles ne soient pas retardés, au détriment du ravitaillement et de la Wehrmacht[18].

Le 3 mai, le commissaire du Reich pour l’Ostland écrivit aux autorités de Riga pour les informer de la « situation critique » dans laquelle se trouvait le Reich et de la nécessité de fournir 183 000 travailleurs dans les quatre mois :

Comme suite aux déclarations de principe faites par le plénipotentiaire général à la main-d’œuvre, le Gauleiter Sauckel […] il a été décidé en raison de la situation critique et en faisant abstraction de toutes autres considérations, qu’un total de 183 000 travailleurs devait être fourni par l’Ostland au territoire du Reich. Cette opération devra absolument être exécutée dans les quatre mois à venir et terminée au plus tard) la fin d’août[19].

Le 17 août, le Groupe d’armées du Sud reçut l’ordre « de procéder [dans les territoires occupés] à la révision et au transfert immédiat dans le Reich de tous les travailleurs nés en 1926 et 1927 »[20].

Dans les territoires de l’Ouest également, le recrutement forcé s’accéléra. Au Pays-Bas, les autorités d’occupation furent averties qu’elles devaient « mobiliser des classes entières et les diriger sur le Reich »[21].

Le 4 janvier 1943, A. Speer téléphona à F. Sauckel pour l’informer que :

En vertu d’une décision de [Hitler], il n’y avait plus lieu de prendre des égards spéciaux dans le recrutement de spécialistes et des auxiliaires français. On p[ouvait] faire pression sur les gens pour recruter et accentuer la rigueur des mesures prises[22].

122 000 Français furent ainsi requis pour le STO (TMI, XV, 193).

(voir document sur l’emploi de la main-d’œuvre française par les Allemands)

1943 : face à l’aggravation de la situation, F. Sauckel doit trouver 4 millions de travailleurs supplémentaires

Encore une fois, F. Sauckel atteint l’objectif fixé. Mais l’année 1943 s’acheva sans que l’Allemagne ne soit parvenue à redresser la situation militaire, bien au contraire. Lors d’une réunion à laquelle participaient Hitler, A. Speer et F. Sauckel, celui-ci déclara que pour maintenir le niveau de production, il devrait au moins fournir 2,5 millions de travailleurs supplémentaires.
De son côté, A. Speer réclama 1,3 million d’ouvriers.
Enfin, Hitler rappela que 250 000 personnes devraient être affectées à l’établissement de dispositifs anti-aériens pour la protection des civils contre les raids.

En conséquence, le plénipotentiaire à la main-d’œuvre reçut l’ordre de fournir au Reich 4 millions de travailleurs[23].
A cette époque, toute l’Allemagne était au travail, y compris les détenus des établissements pénitenciers. C’est ainsi qu’une firme de chaussures employaient les hommes de 18 prisons différentes (TMI, XXXVIII, 137).

Conscient des difficultés qu’il rencontrerait inévitablement, F. Sauckel ne promit rien. Dans le compte rendu de la réunion mentionnée plus haut, on lit :

Le plénipotentiaire à l’Utilisation de la main-d’œuvre, Sauckel, déclara qu’il était farouchement résolu à obtenir ces [4 millions d’] ouvriers. Jusqu’à maintenant, il avait toujours rempli ses promesses quant au nombre d’ouvriers à fournir. Cependant, avec la meilleure volonté, il était incapable de faire une promesse positive pour 1944 [TMI, III, 486].

Le Reich utilise tous les moyens pour se procurer des ouvriers

A bout de souffle, virtuellement écrasée, luttant « avec le dernier atome de force qui lui restait » (Hilberg, p. 444) l’Allemagne usa de tous les moyens pour tenter d’obtenir des travailleurs supplémentaires.

Dans les territoires de l’Est, des enfants de dix à quatorze ans furent enrôlés[24]. Le 25 septembre 1944, Hitler ordonna que tous les prisonniers de guerre soient affectés à l’armement[25].

F. Sauckel écrivit à A. Rosenberg :

Tous les prisonniers de guerre des territoires de l’Ouest comme de l’Est qui se trouvent effectivement en Allemagne, doivent être complètement incorporés dans les industries allemandes d’armement et de munitions. Leur production doit être amenée au niveau le plus élevé possible..[26].

En novembre 1944, aux Pays-Bas, de véritables razzias furent organisées qui permirent l’enrôlement forcé de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs. Un document hollandais produit à Nuremberg déclarait :

Un changement se produisit en novembre 1944. Les Allemands commencèrent alors une campagne impitoyable de recrutement, par l’intermédiaire des offices du travail. A l’improviste, ils cernaient des quartiers urbains entiers, s’emparaient des gens dans la rue ou à l’intérieur des maisons, et les déportaient.
A Rotterdam et à Schiedam, où des razzias de ce genre eurent lieu les 10 et 11 novembre, le nombre de personnes arrêtées et déportées est estimé respectivement à 50 000 et 5 000[27].

Cette volonté d’obtenir des travailleurs était si importante qu’en juillet 1944, 4 000 personnes épaulaient F. Sauckel[28]. Malgré cela, le plénipotentiaire à la main-d’œuvre ne put atteindre l’objectif fixé.

Sur les 4 000 000 d’ouvrier réclamés, il fournit 900 000 travailleurs étrangers et 2 100 000 travailleurs allemands[29].
Dans les mois qui suivirent la capitulation, un statisticien américain établit qu’en janvier 1945, 6 691 000 ouvriers étrangers travaillaient en Allemagne dans le domaine de l’armement, dont 4 795 000 travailleurs volontaires ou forcés, 1 873 000 prisonniers de guerre et 23 200 prisonniers politiques[30].

L’Allemagne ne pouvait se permettre de gaspiller le potentiel humain

Ces quelques rappels démontrent qu’à partir de 1941, avec la mondialisation brusque du conflit, l’Allemagne aux abois eut un besoin sans cesse plus grand de main-d’œuvre afin de pouvoir soutenir l’effort de guerre et que sur la fin, ce besoin ne put être satisfait.
Dès lors, comment croire que les autorités allemandes aient gaspillé les ressources humaines en maltraitant et en tuant les étrangers qui pouvaient lui servir ?

Questionné à Nuremberg pour savoir si le STO avait eu pour objectif « la destruction biologique des peuples étrangers », F. Sauckel répondit :

Je puis déclarer de la façon la plus formelle que jamais on ne m’a parlé de destruction biologique. J’étais moi-même l’homme le plus heureux lorsque j’avais des ouvriers. Je me doutais que la guerre durerait plus longtemps qu’on ne le pensait. Les demandes qu’on adressait à mes services étaient si importantes et si pressantes que j’étais bien content lorsque ces hommes étaient vivants et non pas morts [TMI, XIV, 658].

Se fondant sur des documents, l’ancien plénipotentiaire à la main-d’œuvre démontra qu’il avait toujours agi pour que les ouvriers étrangers soient bien traités, afin de donner un rendement maximum. Il rappela que, dans le programme de 1942 sur le recrutement et la mise au travail des étrangers, il avait écrit :

Tous ces hommes doivent être nourris, hébergés et traités de façon à ce qu’ils aient à fournir le maximum d’énergie […]. Pour nous, Allemands, il a toujours découlé de soi que vis-à-vis d’un ennemi vaincu, serait-il notre adversaire le plus acharné, le plus irréconciliable, nous devons nous abstenir de toute cruauté, de toute vexation si minime soit-elle, et le traiter correctement humainement, surtout quand nous attendons de lui des services fructueux [Ibid., p. 659].

Photos d’un camp pour travailleuses en Allemagne

Le 7 mai 1942, il rédigea une ordonnance pour que les rations alimentaires des ouvriers de l’Est soient augmentées et justifia ainsi sa demande :

Ce n’est qu’en traitant […] avec sollicitude, pour lui conserver sa capacité de travail, l’ensemble de la main-d’œuvre européenne disponible […] que l’on pourra, à l’intérieur du Reich et dans les territoires occupés, limiter au maximum les fluctuations de la main-d’œuvre et atteindre partout à des réalisations de bonne qualité, durables et sur lesquelles on puisse compter [Ibid., pp. 665-6].

Dans le rapport du 31 octobre 1941, déjà cité, on lisait :

Le Führer a ordonné d’utiliser dans une large mesure la capacité de travail des prisonniers de guerre russes, par leur affectation massive à l’industrie de guerre. La condition essentielle du rendement est une nourriture adéquate[31].

Lorsque, dans le courant de 1942, le chef du service de construction des locomotives apprit que, malgré ces directives, certains Russes recevaient des rations notoirement insuffisantes, il œuvra pour obtenir des améliorations (TMI, XVI, 560 à 562). Là encore, le responsable se fonda sur des considérations de rendement.

Dans les notes rédigées par ses soins on lisait :

J’ai appris […] que les prisonniers recevaient 300 grammes de pain chacun entre 4 heures et 5 heures du matin. J’ai insisté sur le fait qu’il était impossible de vivre jusqu’à 18 heures sur cette ration de pain […] [et] qu’avec une telle nourriture les prisonniers de guerre ne pourraient pas faire le travail qu’on exigeait d’eux dans cette usine de construction de chaudières […]. Je dis à M. Söhling de s’occuper de la nourriture des prisonniers de guerre russes afin de l’organiser sur la même base que celle des prisonniers de guerre français, pour que les Russes pussent le plus tôt possible exécuter le travail qu’on leur demandait. Car il s’agissait d’une augmentation de la production qui nous était demandée par le ministre des Munitions et de l’Armement, et par le Front du Travail [TMI, XVI, 561].

On le voit sur cet exemple : le niveau de production à atteindre était d’une importance vitale pour le Reich, si bien qu’on ne pouvait se permettre de maltraiter les ouvriers.

Le 30 mai 1943, d’ailleurs, A. Speer demanda et obtint d’Hitler que les mineurs allemands et russes reçoivent « des suppléments appréciables de ravitaillement » ainsi qu’un « payement en nature sous forme de tabac ou autres denrées en cas de rendement particulier » (TMI, XVI, 458).

Vingt jours auparavant, F. Sauckel avait télégraphié à Hitler :

Je vous ai rapporté moi-même que les travailleurs des pays étrangers sont tous traités humainement et correctement, qu’ils jouissent de bonnes conditions d’hygiène, qu’ils sont bien nourris, bien logés et même habillés. En ce qui concerne mes propres services, j’agis vis-à-vis des nations étrangères de manière à pouvoir affirmer que jamais auparavant, nulle part dans le monde, les travailleurs étrangers n’ont été traités aussi correctement qu’ils ne le sont maintenant, dans la plus dure de toutes les guerres, par le peuple allemand[32].

J’ai démontré ailleurs que ce genre de déclaration n’était pas mensonger et que la main-d’œuvre étrangère fut effectivement bien traitée en Allemagne[33] (malgré cela, F. Sauckel sera pendu le 16 octobre 1946 ; voir photo).

Naturellement, on dit le contraire aujourd’hui. Mais le mensonge est parfois si grossier qu’il est aisément détectable.
En voici un exemple : l’article que joignons est extrait de Télé Star (édition Est ; programmes du 23 au 29 mars 2002). Les deux femmes en photo, Marthe Lang et Irène Gross, se prétendent victimes de la « barbarie nazie » au motif qu’en 1943, elles ont été incorporées dans le Service national du travail (un organisme allemand) et envoyées en Allemagne pour y travailler.

J’invite le lecteur à regarder les deux photographies d’époque dont nous publions l’agrandissement. Sur la première, on voit trois jeunes femmes en uniforme. Elles sont propres, bien habillées et paraissent en bonne santé. Sur la deuxième, dix jeunes femmes (ou jeunes filles) sont photographiées dans ce qui paraît être un dortoir. La pièce est propre et les lits convenables (on distingue des draps, des couvertures et un oreiller). Toutes ont le sourire aux lèvres (trois rient) et paraissent en très bonne santé. La joie de vivre qui émane de ce cliché fait penser aux dortoirs d’étudiants tels qu’ils existaient il y a encore vingt ou trente ans.


Maintenant, comparez ces images avec le texte.

En guise de titre, on lit : « Les camps de travail, c’était l’enfer ». Les deux femmes nous racontent qu’elles n’avaient quasiment rien à manger, qu’elles étaient « épuisées », que certaines ne sont « jamais revenues », que d’autres « sont restées marquées à vie moralement ou physiquement tant les conditions de détention étaient difficiles ».

La contradiction avec les photographies est si manifeste qu’on reste confondu face à une telle naïveté et une telle mauvaise foi. De façon évidente, les deux femmes - qui paraissent d’ailleurs s’être fort bien remises de leur « calvaire » - sont des menteuses effrontées.

En vérité, leur destin fut celui de millions de jeunes Allemandes et de millions de travailleurs civils qui participèrent - volontairement ou non - à l’effort de guerre allemand. Dans leur immense majorité, ces gens ont été convenablement traités, même s’ils avaient été requis dans le cadre du STO. Ils étaient payés, ils bénéficiaient de jours de repos, de périodes de vacances et d’assurances..

Le cas des déportés

A cela, certains répondront :

Ce que vous dites est sans doute vrai, mais vous prenez en considération les travailleurs volontaires ou forcés et les prisonniers de guerre. Vous oubliez de dire qu’il en allait tout autrement dans les camps de concentration. Là, l’objectif principal n’était pas de mettre au travail pour obtenir du rendement de production, mais d’exterminer les personnes que les nazis voulaient voir disparaître (ennemis politiques, juifs, Tziganes..).

Lisez par exemple le témoignage de Pelagia Lewinska, ancienne déportée à Auschwitz. Elle décrit tous les travaux complètement inutiles qu’on leur demandait d’effectuer (transporter des fardeaux d’un endroit à l’autre par exemple), juste pour les épuiser[34]. Ne mélangez donc pas tout.. ».

Cet argument, de nombreuses personnes me l’ont opposé.
Elles avaient à l’esprit l’image amplement diffusée depuis 1945 de déportés qui transportent en pure perte des cailloux (les fameuses carrières de Mauthausen et du Struthof).
Pour elles, jusqu’à la fin, les camps seraient restés des îlots hors du monde, des îlots dont l’unique objectif aurait été l’extermination rapide ou lente de ceux qui y étaient envoyés. Cette thèse de l’ « extermination par le travail », de nombreux livres et certains manuels d’histoire continuent à la véhiculer. Pourtant, de nombreux documents et de nombreux faits en démontrent la fausseté.

Les camps s’intègrent dans la machine de production allemande

Citons tout d’abord la visite qu’Himmler fit à Auschwitz le 1er mars 1941. Après avoir inspecté le camp, il ordonna :
a) D’agrandir les lieux pour porter l’effectif à 30 000 détenus ;
b) De mettre à la disposition de l’IG Farben 10 000 détenus pour la construction d’une grande zone industrielle sur le site.

Il annonça également l’installation d’une usine d’armement « à proximité du camp, afin que les détenus participent à l’effort de guerre »[35]. Ce fait confirme qu’avant même l’ouverture du front russe, les autorités envisageaient de faire participer les déportés à la production de guerre.

Comme on pouvait s’y attendre, les premiers revers en Russie et les perspectives d’une guerre longue accélérèrent le processus. Le 3 mars 1942, Himmler donna de nouvelles instructions. Quelques semaines plus tard, Oswald Pohl écrivit une lettre capitale, dans laquelle il annonçait l’intégration des camps dans la machine économique allemande.
Datée du 30 avril 1942, cette lettre précisait :

La guerre a amené un changement marqué dans la structure des camps de concentration et a considérablement changé leur rôle en ce qui concerne l’emploi des prisonniers. L’internement de prisonniers pour les seules raisons de sécurité, d’éducation ou de prévention n’est plus la condition essentielle[36] ; l’accent est à porter maintenant sur le côté économique. Ce qui est maintenant au premier plan, et le devient de plus en plus, c’est la mobilisation de tous les prisonniers capables de travailler, d’une part pour la guerre actuelle, et d’autre part pour les tâches de la paix future.
De cette donnée résulte la nécessité de prendre certaines mesures ayant pour but de transformer les camps de concentration en organisations mieux adaptées aux tâche économiques, alors qu’ils ne présentaient auparavant qu’un intérêt purement politique.
Pour cette raison, j’ai rassemble tous les chefs de l’ancienne inspection des camps de concentration, tous les commandants des camps et tous les directeurs et surveillants de travaux, les 23 et 24 avril 1942. Je leur ai expliqué personnellement cette nouvelle évolution […].
Le commandant du camp est seul responsable de l’emploi de la main-d’œuvre disponible. Ce travail doit être total au sens propre du mot, afin d’obtenir un rendement maximum […].
Il n’y a pas de limite à la durée de travail ; celle-ci dépend du type d’établissement de travail dans les camps et du genre de travail à exécuter. Elle est fixée par les commandants des camps seuls[37].

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Il est intéressant de souligner qu’à cette date, le contrôle des camps fut confié au WVHA, c’est-à-dire au service économique et administratif de la SS. A Nuremberg, l’Accusation ne s’y est pas trompée. Le 20 décembre 1945, le commandant Farr, substitut du procureur général américain, déclara :

Je faisais remarquer la transmission de contrôle des camps de concentration au WVHA, en 1942, transformation qui coïncide avec un changement dans la raison d’être fondamentale de ces camps qui, jusqu’alors, n’avaient servi qu’à interner des individus pour des raisons politiques ou de sécurité. A partir de ce moment, la raison d’être essentielle de ces camps fut de fournir de la main-d’œuvre […] [TMI, IV, 203].

Les déportés travaillent pour soutenir l’effort de guerre

Certains pourront répondre que les directives données par H. Himmler ne furent pas suivies d’effet. C’est faux : de nombreuses pièces confirment qu’après la catastrophe de l’hiver russe, les camps servirent de réservoir de main-d’œuvre.
Mentionnons tout d’abord le très long document F-274, déjà plusieurs fois cité et produit à Nuremberg sous la cote RF-301. Il s’agit d’un « Rapport du ministère [français] des prisonniers et des déportés sur la déportation et les mauvais traitement ».
Bien qu’on y trouve les plus grossiers bobards de l’époque[38], l’auteur, un certain Pierre Weibel, expliquait avec raison :

Nous verrons que les « forces vives » [i.e. les détenus aptes au travail] ont été utilisées pour les travaux les plus variés. Aussi des rapports très étroits sont établis entre Himmler, chef suprême des camps de concentration, et l’industrie allemande.
La multiplicité des Kommandos dépendant d’un camp est souvent liée à la multiplicité des filiales pour lesquelles le camp travaille :
- Mauthausen a essaimé à plus de 100 km à la ronde ;
- Buchenwald a fourni des forçats pour les mines de sel de Neu-Stassfurt, pour les usines souterraines de Dora et d’Ellrich ;
- Ravensbrück a approvisionné les usines Siemens ou celles de Tchécoslovaquie, où les ateliers du Hanovre.
Cette multiplicité des camps et Kommandos explique souvent le désordre apparent des transferts des déportés d’un camp à l’autre : déplacements, replis pour les besoins de main-d’œuvre [TMI, XXXVIII, 141-2].

Les travaux auxquels on contraignait les déportés étaient multiples ; ils concernaient tous les besoins d’un grand pays en guerre.
Les industries de guerre furent les premières alimentées par la main-d’œuvre des déportés, au mépris de toute convention humanitaire, qui ne protégeait pas les déportés :
- Désamorçage de bombes non éclatées après les bombardements ;
- Fabrication de V1 à Dora et de V2 à Lora [?] ;
- Construction de machines à torpilles à Kluczow, près de Stettin ;
- Fabrication de grenades à main à Auschwitz ;
- Amorçage d’obus à Carth et dans de nombreuses usines métallurgiques ;
- Travail dans les usines d’aviation Heinkel à Gotehafen, Kemptfen (Dachau) ;
- Travail dans les usines de chars de combat à Falkensee ;
- Travail dans les chantiers navals de sous-marins à Wilhelmshafen.

Les déportés politiques travaillèrent aux industries annexes qui alimentaient les usines de guerre : usines d’optique à Rathenow (Brandebourg), d’essence synthétique à Blechammer, ou de caoutchouc synthétique à Buna-Monowitz : à Monowitz, la IG Farben employait, outre les civils et les prisonniers de guerre anglais, 10 000 détenus martyrisés par les contremaîtres civils autant que par les kapos.
- Les spécialistes furent utilisés à des travaux de laboratoire, comme la fabrication du caoutchouc synthétique à Auschwitz ;
- Les déportés durent descendre dans les mines de sel à Statssfurt et Bendorf, dans les mines de fer à Salzgitter, 20 km de Breslau, dans les mines de charbon à Janina (Kdo d’Auschwitz) ;
- Ils construisirent, pour favoriser la circulation des troupes allemandes, l’autostrade d’Annaberg ;
- Les femmes de Ravensbrück manœuvrèrent la pelle et la pioche pour tracer les routes à Kustrin et pour niveler le champ d’aviation à Kœnigsberg ;
- Assèchement des marais à Ravensbrück et à Auschwitz, irrigation à Wansleben, construction de maisons à Sachsenhausen, fabrication de briques à Klinden-Sachsenhausen, bûcheronnage à Ravensbrück et Revel, il n’était pas de travaux pour lesquels les zébrés ne soient requis : déchargement de wagons ou péniches redoutés par les déportés de Neuengamme ;
- L’exploitation des carrières de Natzwiller, Mauthausen et Gusen coûta la vie à des milliers de détenus [Ibid., pp. 157-8].

Mentionnons également le document L-159, un rapport d’une mission américaine qui, juste après la capitulation, visita entre autres le camp de Buchenwald. Les auteurs précisent que les prisonniers travaillaient dans une usine d’armement adjacente au camp, qui produisait « mitrailleuses, petites armes, munitions et autre matériel pour l’armée allemande » (TMI, XXXVII, 613).

Dans les mois qui suivirent, un ancien prisonnier de Buchenwald confirma cette assertion et précisa que les déportés du camp avaient travaillé dans de nombreuses usines :

Les captifs de Buchenwald étaient mis à la besogne dans des entreprises privées, spécialement dans des entreprises appartenant à des personnages hitlériens considérables, par exemple dans les « Fritz Sauckel Werke » [en vérité, F. Sauckel ne possédait aucune usine, il se contentait, nous l’avons vu, de fournir la main-d’œuvre], dont certaines usines avaient été construites dans le camp même, à proximité du camp ou, plus loin, à Weimar et ailleurs, dans les usines : « Wernig Werke », « Junkers », « Brabag », « Hasag », « Erla », « Zeiss ». Buchenwald alimentait plus de trente « commandos » industriels, dont plusieurs situés à plus de cent kilomètres du camp [Voy. Jean Fonteyne, op. cit., p. 11.].

Auschwitz : un immense centre industriel

A Nuremberg, l’ancien chef du RSHA, Ernst Kaltenbrunner, déclara que lorsqu’on demandait à Himmler la raison pour laquelle un camp si vaste avait été installé dans la région d’Auschwitz :

La réponse était toujours « à cause de la proximité des grandes entreprises d’armement », et il mentionnait Witkowitz et quelques autres[39].

En affirmant qu’Auschwitz était un réservoir de main-d’œuvre pour les usines de la région, Himmler ne mentait pas. Le 11 juin 1942, lors d’une conférence à Berlin qui réunit les responsables des affaires juives de la police allemande de Paris, Bruxelles et La Haye, on fit savoir que le Reichsführer des SS avait ordonné l’envoi de « grandes quantités de juifs » dans ce camp « dans le but [d’accroître] la production » (zwecks Arbeitsleistung)[40].
Nous reviendrons plus tard sur le fait qu’il se soit agi de juifs. Pour l’instant, bornons-nous à constater qu’Himmler était soucieux d’accroître la production du complexe industriel d’Auschwitz, preuve qu’il y avait là un centre d’activité important.
Photo du complexe industriel d’Auschwitz en 1945.

Une nouvelle confirmation fut apportée en 1952 dans un document de 500 pages dont j’ai déjà très souvent parlé : le Catalogue alphabétique des camps de concentration et de travaux forcés et de leurs commandos et sous-commandos ayant existé en Allemagne pendant la guerre 1940-45, édité par le ministère (belge) de la Santé publique et de la Famille.

Pour Auschwitz, on lit :

Auschwitz fournit la main-d’œuvre aux industries situées dans le territoire couvrant la partie de l’ancienne Sudetengau à l’Est de Friedland, la partie de l’ancienne Oberschlesien au sud de la ligne de Neustadt i .o.-Blechammer et la partie de la Pologne se trouvant au sud de la ligne Stara Kuznica-Trzebinia/Krak [Catalogue…, p. 18 ;.

Tous les camps fournissent de la main-d’œuvre aux industries environnantes

Des informations semblables sont données pour les autres principaux camps. Ainsi :

Stutthof avait à fournir de la main-d’œuvre dans le territoire Nord de la ligne Kolberg-Bromberg-Thorn-Soldau [Catalogue.., p. 384].
Le CC de Flossenburg procura de la main-d’œuvre à l’industrie de l’armement de l’Allemagne centrale […] [Catalogue.., p. 126].
[Dachau :] son but principal était de fournir de la main-d’œuvre aux industries d’armement situées en Autriche […]. En Bavière […]. En Wurtenberg et Bade […][Catalogu..…, p. 84].
Les détenus du camp [du Struthof] fournissaient la main-d’œuvre dans le Sud-Ouest de l’Allemagne y compris l’Alsace-Lorraine [Catalogue.., p. 278].
Mauthausen devait fournir de la main-d’œuvre à l’industrie de l’armement dans les territoire couvrant les ancien districts de […][Catalogue.., p. 257].
[Gross-Rosen] avait à fournir de la main-d’œuvre aux industries d’armement dans les territoires suivants […][Catalogue.., p. 152].
[Ravensbrück] devait fournir la main-d’œuvre principalement pour l’industrie d’armement dans tout le territoire de l’Allemagne [Catalogue.., p. 333].
[Neuengamme] devait procurer de la main-d’œuvre aux fabriques d’armement du NO de l’Allemagne aux territoires situés au N de Buchenwald [Catalogue.., p. 285].

On le voit, les camps étaient désormais intégrés dans la machine de guerre allemande.

Himmler et l’augmentation de la main-d’œuvre déportée

Par la suite, les difficultés militaires croissantes du Reich entraînèrent une augmentation de la demande de main-d’œuvre déportée. En décembre 1942, ainsi, H. Himmler ordonna que les travailleurs étrangers qui avaient rompu leur contrat de travail ou qui s’étaient enfuis ne soient plus mis en prisons - où, bien souvent, ils ne travaillaient pas, ou trop peu - mais soient directement internés dans les camps. Son objectif était d’obtenir 35 000 ouvriers supplémentaires en un mois.

Dans une circulaire du 17 décembre 1942, on lisait :

Pour des raisons importantes d’ordre militaire qui ne peuvent pas être précisées [il s’agissait des difficultés en URSS], le Reichsführer SS et chef de la Police allemande a ordonné, le 14 décembre 1942, que, jusqu’à la fin janvier 1943 au plus tard, 35 000 détenus au moins, aptes au travail, doivent être envoyés dans les camps de concentration.
Pour atteindre ce nombre, les mesures suivantes s’imposent :
A dater de ce jour jusqu’au 1er février 1943, tous les travailleurs de race étrangère qui se seront enfuis ou qui auront rompu leur contrat, devront être internés par les voies les plus rapides quand ils n’appartiennent pas à des États alliés, amis ou neutres[41].

En août 1943, pour faire face à l’épuisement des réserves de main-d’œuvre, H. Himmler ordonna « d’envoyer aux travaux forcés [en Allemagne] tous les hommes pris dans les combats de guérilla à l’Est » (TMI, IV, 204).

Huit mois plus tard, alors que l’Allemagne était constamment bombardée et qu’elle tentait de réagir avec une main-d’œuvre de plus en plus minime, H. Göring envoya un télétype à H. Himmler pour que celui-ci mette à la disposition des usines de la Luftwaffe « le plus grand nombre possible d’internés des camps de concentration » (TMI, III, 475).
Le Reichsführer des SS lui répondit sans tarder que déjà 36 000 prisonniers travaillaient dans la construction aéronautique, qu’on envisageait de porter ce nombre à 90 000 et que 100 000 déportés supplémentaires seraient nécessaires pour le « déplacement des usines aéronautiques dans des installation souterraines »[42].

Récapitulation

Tous ces rappels confirment que :

1°) A partir d’avril 1942, les camps devinrent une partie intégrante de la machine industrielle allemande ;

2°) L’aggravation de la situation militaire rendit nécessaire, voire capitale, la main-d’œuvre fournie par les déportés ;

3°) Le rendement des détenus devait être maximum.

Une nouvelle fois, donc, je pose deux questions :

Comment croire que les autorités allemandes aient gaspillé les ressources humaines en maltraitant et en tuant les déportés qui pouvaient lui servir ?
Comment croire que, dans les camps, les internés aient été volontairement réduits à l’état de squelettes ambulants, donc incapables de fournir un travail efficace, alors que l’Allemagne luttait désespérément pour obtenir de la main-d’œuvre productive ?

Les historiens parlent de l’ « extermination par le travail »

Une thèse née à Nuremberg

A cela, l’exterminationniste répond : vous oubliez le fait que les déportés affluaient de toute l’Europe occupée. Par conséquent, les Allemands n’avaient pas à se soucier de leur santé : dès qu’un détenu donnait des signes de faiblesse, dès qu’il devenait inapte au travail, il était éliminé et immédiatement remplacé par un autre, voire par deux autres. Vous avez tout à l’heure cité le document L-159, le compte rendu d’une délégation américaine qui visita les camps après le 8 mai 1945. Les auteurs ont expliqué la façon dont les nazis s’y prenaient :

Quand le rendement des travailleurs diminuait, comme conséquence des conditions dans lesquelles on leur demandait de vivre, leur ration alimentaire était diminuée en guise de châtiment. Ceci créait un cercle vicieux, dans lequel le faible s’affaiblissait encore davantage, et en définitive était exterminé [TMI, III, 477].

Vous avez également cité le commandant Farr à Nuremberg. Au cours de son exposé magistral, ce substitut du procureur général américain l’a bien dit :

Les SS réussirent dans une certaine mesure à atteindre leurs deux buts : augmenter la production et éliminer les individus indésirables [TMI, IV, 207-8].

Enfin, vous avez plusieurs fois mentionné le document F-274 pour soutenir votre thèse. Permettez-moi de vous dire que, là encore, on y trouve la confirmation de ce que nous disons depuis des années. On lit par exemple :

La vie [dans les camps] se déroulait plus ou moins épuisante et tragique mais sur un rythme analogue dans tous les camps, car il devait satisfaire au désir manifeste des dirigeants nazis : obtenir le maximum de rendement sans aucun souci de la souffrance humaine. Les pertes mêmes ne comptaient pas : l’afflux des arrivées était continu. L’utilisation rationnelle des cendres des victimes était prévue [TMI, XXXVII, 151].

L’état dans lequel [les déportés] vivaient, l’absence de contrôle intermédiaire, autorisaient les mesures les plus rigoureuses pour que le secret de la fabrication ne franchisse pas le seuil de l’usine : plus il mourait de détenus, aisément remplaçables, moins le secret risquait d’être violé [Ibid., p. 156].

Telle est, résumée, l’argumentation développée depuis des années par les historiens officiels. C’est la fameuse thèse de « l’extermination par le travail ».

Une thèse qui heurte le bon sens

Dans un premier temps, j’y réponds par une remarque que j’estime de bon sens : on admet que le « désir manifeste des dirigeants nazis » était d’ « obtenir le maximum de rendement » et que les SS y seraient parvenus[43] ; or, comment croire que cet objectif ait pu être atteint si les ouvriers avaient été sans cesse remplacés ? Car c’est une évidence : le nouvel ouvrier qui arrive doit s’accoutumer à son poste de travail. Cette familiarisation entraîne des pertes de temps, donc une baisse de rendement.

A Nuremberg, A. Speer expliqua :

A partir de 1942, l’industrie de l’armement travaillait pour une production massive avec un travail à la chaîne, et cela demandait un grand nombre d’ouvriers spécialisés […]. Étant donné qu’un ouvrier a besoin d’un apprentissage de six à douze semaines et que, même après cet apprentissage, il y a encore six mois de pertes assez importantes et que, après ce temps seulement, un ouvrier spécialisé peut fournir un travail de qualité, étant donné tout cela, il est clair que le traitement des ouvriers spécialisés qui travaillaient dans les usines était pour nous un souci spécial supplémentaire [TMI, XVI, 464].

On me répondra que très peu de déportés étaient employés comme ouvriers spécialisés[44]. Admettons, mais même les tâches simples nécessitent une familiarisation.
Dans une circulaire du 26 novembre 1942, les services de la main-d’œuvre signalèrent que les juifs affectés dans les usines d’armement étaient promis à la déportation ; ils allaient donc être remplacés par des Polonais. Ce remplacement serait-il immédiat ? Non.
L’auteur déclarait que les juifs affectés à des emplois subalternes pourraient être déportés dès que les travailleurs polonais se seraient familiarisés avec leur tâche[45]. Preuve qu’un temps d’adaptation - assez long pour être pris en compte - était nécessaire même pour les « emplois subalternes ».

Un autre document vient confirmer que, dans la mesure du possible, les Allemands voulaient éviter les remplacements d’ouvriers, afin de maintenir le niveau de production. Il s’agit d’un compte rendu d’une visite faite par un fonctionnaire allemand dans un camp où logeaient des prisonniers de guerre russes affectés à la construction de locomotives.
Il ne s’agissait pas d’ouvriers spécialisés, mais de simples manœuvres. Lors de sa visite, le fonctionnaire s’était élevé contre le fait que les travailleurs souffraient de malnutrition.

On lit :

[Le responsable] répondit […] que les Bolcheviks étaient des hommes sans âme, et que si des centaines de mille mouraient, 100 000 autres les remplaceraient. […] je fis remarquer que ces allées et venues ne correspondaient pas à nos buts qui étaient de livrer des locomotives aux chemins de fer du Reich, qui, constamment, demandaient de limiter les délais de livraison […][46].

Voilà pourquoi je considère comme absurde la thèse de « l’extermination par le travail » ; un pays qui a besoin de parvenir à un maximum de production ne peut se permettre de remplacer sans cesse les ouvriers.

Si les Allemands avaient disposé d’un réservoir inépuisable de déportés, le STO n’aurait pas existé

Mais un autre argument encore plus fort peut être avancé : à supposer que les Allemands aient disposé d’un réservoir quasi inépuisable de main-d’œuvre avec les déportés, une main-d’œuvre corvéable à merci, entièrement gratuite et sans cesse renouvelable pour que le rendement reste maximum, comment expliquer qu’ils aient été contraints de se démener, à partir de 1941-42, pour recruter des millions d’ouvriers volontaires ou forcés, des ouvriers qu’il fallait loger, payer, assurer, laisser partir en vacances etc.[47] ?
(voir le document concernant les sommes versées par l’Allemagne pour les travailleurs étrangers)

C’est un non-sens total. Je le dis et le répète : le fait que, jusqu’à la fin, un homme comme F. Sauckel ait eu pour unique tâche de trouver, par tous les moyens possibles, des millions d’ouvriers, démontre que la main d’œuvre dont disposait le Reich (y compris dans les camps) était insuffisante.

Même les déportés « incapables de travailler » furent employés

Enfin, il me paraît nécessaire d’appeler l’attention sur un document capital, document qui démontre la fausseté de la thèse selon laquelle les déportés reconnus « incapables de travailler » étaient éliminés. On y découvre qu’au moins à partir de 1943, des tâches furent données aux détenus impotents, tuberculeux etc., qui étaient contraints de garder le lit.
Il s’agit d’une lettre datée du 27 avril 1943 émanant du Bureau central d’administration économique des SS et adressée aux commandants de quinze camps de concentration. Dans un paragraphe consacré aux « prisonniers incapables de travailler (tuberculeux, impotents contraints de garder le lit, etc.) », on lisait :

On donnera aux prisonniers qui gardent le lit, un travail qui sera adapté à leurs possibilités et qu’ils feront au lit. L’ordre du Reichsführer SS doit être strictement observé à l’avenir[48].

A Nuremberg, R. Höss confirma que les malades avaient également été mis au travail :

Le Reichsführer, déclara-t-il, avait même donné l’ordre d’utiliser là où ils pouvaient travailler les gens malades » (TMI, XI, 416).

Mais une autre confirmation, bien plus intéressante, peut être trouvée dans une pièce extraite du dossier de l’Accusation. Il s’agit du document F-274 dans lequel on lit :

Pour les vieillards et les détenus épuisés par la maladie, des travaux spéciaux étaient réservés, tels :
- Confection de tresses à Neuengamme ;
- Raccommodage de chaussettes à Buchenwald ;
- Tricotage à Ravensbrück [TMI, XXXVII, 158].

J’y vois la preuve :
1°) Que les détenus inaptes au travail n’étaient pas exterminés ;
2°) Que la crise de la main-d’œuvre était grave au point qu’il avait fallu se résoudre à employer même les alités.

Des camps bien tenus, avec des déportés en bonne santé

Voilà pourquoi je rejette la thèse selon laquelle les camps auraient été des usines de mort lente, des lieux dans lesquels des hommes et des femmes arrivés en bonne santé auraient été exploités jusqu’à ce que la famine organisée, les coups et l’absence de soins volontaires aient raison d’eux.
Un pays qui manque cruellement de main-d’œuvre au point de recruter dans toute l’Europe et, finalement, d’utiliser même les alités ne gaspille pas le potentiel humain. Il le nourrit et le soigne suffisamment bien pour qu’il conserve sa capacité de production.

Une lettre bien oubliée

Témoin cette lettre bien oubliée, datée du 15 décembre 1942, dans laquelle H. Himmler écrivait à Oswald Pohl à propos des prisonniers des camps.

En ce qui concerne leur nourriture, essayez de vos procurer des légumes crus et des oignons en quantité. Donnez-leur en abondances, des carottes, des choux, des navets etc. suivant la saison. Faites des provisions, afin que pendant l’hiver les prisonniers reçoivent des rations suffisantes. Je pense qu’ainsi nous réussirons à améliorer leur état de santé[49].

Colis et argent

Dans son ouvrage intitulé Staline. Agent du Tsar, Roman Brackman mentionne le fils du dictateur, Yakov Djougashvili, fait prisonnier par les Allemands pendant la guerre. Après plusieurs tentatives d’évasion, il fut « transféré au camp de la mort de Sachsenhausen ». On lit :

L’ironie du sort voulut que ses compagnons fussent des officiers polonais capturés par les Allemands en 1939. Comme leurs camarades anglais et français, ils recevaient des colis et de l’argent de leurs parents, et même du gouvernement polonais en exil à Londres, par l’entremise de la Croix-Rouge. Mais Yakov ni les autres prisonniers soviétiques ne recevaient rien ; les Polonais partagèrent avec lui leurs colis mensuels […][50].

Pour un « camp de la mort », Sachsenhausen paraît avoir été plutôt libéral, même envers les Polonais. L’argent envoyé confirme que les prisonniers pouvaient acheter de la nourriture supplémentaire ou des effets personnels.

Bien des témoignages, d’ailleurs, donnent des camps une description très différente de celle véhiculée par la thèse officielle.

Le témoignage du juge Morgen sur Buchenwald

Dans un premier temps, je citerai celui de Konrad Morgen. K. Morgen, je le rappelle, était un juge SS. A partir de l’été 1942, il enquêta sur les délits commis dans les camps (corruption, meurtres..) par des membres de l’administration. Il traita environ 800 affaires, permit le jugement de 200 personnes, arrêta cinq chefs de camp dont deux furent finalement fusillés après jugement (TMI, XX, 523).

En août 1946, ce magistrat intègre fut appelé à témoigner à Nuremberg. A la question : « Aviez-vous l’impression, et à quelle époque, que les camps de concentration étaient des lieux d’extermination ? », il répondit :

TÉMOIN MORGEN. - Je n’ai pas eu cette impression. Un camp de concentration n’a jamais été un lieu d’extermination. Je dois dire que dès la première visite que j’ai faite dans un camp de concentration - j’ai dit que c’était celui de Weimar-Buchenwald - ce fut pour moi un profond étonnement. Le camp était situé sur une hauteur boisée ; il y a une vue magnifique ; les bâtiments sont extrêmement propres, fraîchement peints. Il y a beaucoup de pelouses et de fleurs. Les détenus étaient bien portants, normalement alimentés ; ils avaient du hâle sur la peau ; quant au rythme de travail..
LE PRÉSIDENT. - De quand parlez-vous ?
TÉMOIN MORGEN. - Je parle du début de mes enquêtes, en juillet 1942 […]. Les installations du camp étaient en ordre parfait, surtout le bâtiment pour les malades ; la direction du camp était dans les mains du commandant Diester. Elle s’efforçait de faire aux détenus des conditions de vie tout à fait normales. Ils pouvaient correspondre et recevoir des envois postaux ; ils possédaient une grande bibliothèque dans le camp avec des ouvrages en plusieurs langues. Il y avait des séances de music-hall, des films, des concours de sport, et même une maison close. Tous les autres camps de concentration étaient installés à peu près comme Buchenwald[51].

Un rapport sur Buchenwald paru sans la presse alliée en 1944

Il est intéressant de noter que les propos du juge Morgen sont confirmés par un rapport paru le 20 octobre 1944, dans le quotidien français Libres. Sous le titre : « Nous avons des nouvelles du camp de Weimar », on lisait :

Le règlement du camp est le suivant :
4 h. 30. - Lever, toilette surveillée torse nu, lavage du corps obligatoire.
5 h. 30. - 500cm3 de potage ou café avec 450 g de pain, (parfois, ils ont moins de pain, mais ils ont une ration de pomme de terre de bonne qualité, abondante), 30 g de margarine, une rondelle de saucisson ou un morceau de fromage.
12 h. - Un café.
18 h. 30. - Un litre de bonne soupe épaisse.
Le matin à 6 heures, départ pour le travail. Le rassemblement se fait par emploi, usine, carrière, bûcheronnage, etc. […]. Puis l’on part en musique.
L’état sanitaire du camp est très bon. A la tête se trouve le professeur Richet, déporté. Visite médicale chaque jour. Il y a de nombreux médecins, une infirmerie et un hôpital.
Les internés portent le costume des forçats allemands en drap artificiel relativement chaud. Leur linge a été désinfecté à l’arrivée. Ils ont une couverture pour deux hommes. […].

Loisirs. - Liberté complète dans le camp le dimanche après-midi. Cette soirée est agrémentée de représentations données par une troupe théâtrale organisée par les internés. Cinéma une ou deux fois par semaine (films allemands), TSF dans chaque baraque (communiqués allemands). Beaux concerts donnés par l’orchestre des prisonniers.
Tous les prisonniers sont d’accord pour trouver qu’ils sont mieux à Weimar qu’ils ne l’étaient à Fresnes ou dans d’autres prisons françaises[52].

Le rapport d’un délégué de la Croix-Rouge sur Ravensbrück

K. Morgen ne fut pas le seul à témoigner dans ce sens. Dans un rapport, un fonctionnaire du Comité international de la Croix-Rouge raconte ainsi une visite qu’il effectua à Ravensbrück en 1945 (donc dans les tous derniers temps de la guerre), avant que celui-ci ne soit évacué :

Suhrens [le commandant] me fit tout visiter, les baraques, la cuisine, l’infirmerie, les installations hygiéniques, la buanderie, les cellules pour délinquantes et d’autres bâtiments encore. En regardant de plus près, j’ai pu constater que les baraques contenaient des lits à trois étages et que le cube d’air était nettement insuffisant. La cuisine est une installation moderne, telle que l’on en voit dans les usines et dans certains camps de prisonniers de guerre. A l’infirmerie, ce sont les détenues qui travaillent comme infirmières ; elles sont toutes vêtues de blanc. L’infirmerie elle-même comprend plusieurs vastes salles toutes très bien aménagées (salle d’opération, de pansement, etc.). La bibliothèque contient plusieurs milliers de volumes, la plus grande partie en langue allemande. L’ « Arrestlokal » est un bâtiment en pierre à deux étages, avec cour intérieure ouverte. Plusieurs cellules furent ouvertes et je fus étonné de constater la parfaite installation de ces cellules et la propreté qui y régnait. Chaque cellule contient un lit métallique avec deux couvertures, une chaise, un lavabo avec eau courante et un miroir, une cuvette WC avec chasse d’eau. Le camp ne possède pas de chapelle[53].

Le témoignage d’Albert Speer sur Mauthausen

Le 19 juin 1946, à Nuremberg, A. Speer décrivit ainsi une visite qu’il avait faite trois ans plus tôt à Mauthausen :

J’ai visité la baraque de la cuisine, celle des lavabos et une des baraques où étaient logés les détenus. Ces baraques étaient des constructions de pierre et elles étaient dotées d’une installation moderne exemplaire. Étant donné que ma visite n’avait été annoncée que peu de temps avant qu’elle n’ait eu lieu, il est exclu, à mon avis, que l’on ait pu procéder à de grands préparatifs avant ma venue. Malgré cela, le camp, ou plutôt la petite partie du camp que j’ai vue, me donna une impression de propreté exemplaire [TMI, XVI, 463].

Des déportés bien traités..

Cette visite s’étant déroulée à l’heure où les déportés étaient au travail, A. Speer ne put les voir. Mais il en vit de nombreux lorsqu’il visitait les usines d’armement. Toujours à Nuremberg, il déclara :

Lorsque je visitais des entreprises, je voyais des internés provenant des camps de concentration et qui, dans l’ensemble, donnaient l’impression d’être bien nourris [Ibid., p. 461].

A. Speer ne mentait pas. Deux mois plus tôt, un ancien fonctionnaire au ravitaillement, Joachim Riecke, avait souligné que, loin d’être sous-alimentés, les déportés qui travaillaient recevaient « les mêmes rations que le reste de la population »[54]. Ajoutons que les déportés employés dans les usines travaillaient le même nombre d’heures que les autres ouvriers, pour la simple raison suivante, rappelée par A. Speer :

Les ouvriers qui provenaient des camps de concentration ne formaient, en règle générale, qu’une partie de la main-d’œuvre, et cette partie de la main-d’œuvre ne supportait pas de charges plus lourdes que le reste de la main-d’œuvre [TMI, XVI, 460].

Naturellement, dans certains ateliers où ne travaillaient que des déportés, les horaires ont pu être très lourds. De même, certains commandos effectuaient des travaux très pénibles ; citons par exemple Dora (un commando de Buchenwald) où, en 1943, des déportés durent construire une usine souterraine dans des conditions terribles (absence d’aération, nourriture mauvaise..)[55].

De nos jours, le cas de Dora est très souvent cité. On oublie simplement de dire :
a) Que si les Allemands durent construire dans l’urgence des usines souterraines, c’était pour les protéger des bombardements massifs des Alliés ;
b) Qu’une fois l’usine terminée, les déportés qui travaillèrent dans les ateliers souterrains à la fabrication des V1 et des V2 furent bien traités.

A. Rogerie lui-même, qui participa à la construction de l’usine, écrit :

Dora deviendra ensuite un “bon” camp ; le tunnel sera aéré, la nourriture meilleure » (A. Rogerie, op. cit., p. 55.)

Les clichés de l’époque le confirment.

Une nouvelle fois, ce fait ne sauraient surprendre : ces déportés fabriquaient les « armes nouvelles » qui étaient le dernier espoir de l’Allemagne agonisante. Par conséquent, ils devaient être bien traités afin d’atteindre un rendement satisfaisant.

Lors du procès de Belsen, d’ailleurs, un accusé, Oscar Schmitz, qui avait été à Dora en 1945, fut interrogé pour savoir si, là-bas, il avait vu des déportés maltraités. Il répondit :

Non, parce que ces prisonniers étaient utilisés pour travailler sur les armes V1 et V2 [56].

..et soignés jusqu’à la fin

Signalons également le document F-274 (déjà cité) dans lequel l’auteur affirmait :

[…] nous possédons une série de fiches médicales pour les malades de Dora. Leur courbe de température, le diagnostic, l’évolution de la maladie […] y étaient scrupuleusement notés[57].

Or, si, à Dora, les déportés avaient été destinés à l’extermination lente, personne n’aurait perdu son temps à les soigner..

Les exemples de déportés soignés jusqu’à la fin (en 1945) abondent. Dans sa livraison de l’été 2004 ; Génération 3 (magazine de l’EDF) a publié le témoignage de Jean Villeret, ancien déporté à l’âge de 17 ans pour résistance. Son récit contient certaines informations intéressantes. Il déclare par exemple :

Le 31 janvier 1944 […] je suis arrêté […] porteur d’une arme. Tout bascule. Je suis remis aux Allemands et incarcéré à Fresnes […]. J’avoue appartenir au FTP puis me rétracte lors de l’instruction, en racontant une histoire pour justifier mon port d’arme, histoire que l’officier instructeur n’a pas dû croire[58].

C’est bien la preuve que même lorsque vous étiez arrêté avec une arme, vous n’étiez pas immédiatement déporté dans le cadre d’une procédure arbitraire. Non, un officier instructeur vous interrogeait et vous pouviez vous défendre..

Le 7 juillet 1944, J. Villaret sera déporté au Struthof. Pas dans des wagons à bestiaux : « en wagon de voyageur troisième classe » (Id.). Il poursuit :

Arrivés au camp, un kapo nous conduit au crématoire situé en bas du camp. Nous y sommes rasés […], douchés [Id.].

Confirmation qu’au Struthof, les douches étaient bien situées dans le crématoire (la chaleur du four était récupérée pour chauffer l’eau). Or, je rappelle que dans les Kramas IV et V à Auschwitz, deux petites pièces étaient munies d’une évacuation d’eau et d’un poêle.
D’après la thèse officielle, c’était des « chambres à gaz » homicides. Mais quand on connaît le Struthof, cette version ne tient pas une seconde : à l’évidence, il s’agissait de salles de douches avec évacuation et chauffage.

A partir de janvier 1945, J. Villaret connaîtra Dachau. Il raconte :

Une épidémie de typhus survient, mon bloc en est frappé, mis en quarantaine. J’ai un phlegmon à la gorge, non soigné, puis le typhus, en mars 1945 [Ibid., col. B].

Va-t-on le laisser mourir, puisqu’il est en bien piteux état et incapable de travailler ? Non :

Admis en infirmerie, je sombre dans le coma. Lorsque je reprends conscience, c’est pour être frappé d’érésipèle. Ma faiblesse est extrême, mais je suis vivant ! Le dimanche 29 avril 1945, le camp de Dachau est libéré par les troupes américaines [Id.].

Là encore, c’est clair : J. Villaret n’a pas été tué d’une piqûre alors qu’il était dans le coma. Au contraire : on s’en est occupé, on l’a soigné, on l’a sauvé. Mais il est possible que ce garçon ait été filmé ou photographié dans son état de faiblesse extrême et que son image ait servi à la propagande dénonçant le « sadisme nazi ».

Dans son édition du 19 mai 2004, le quotidien Est-Éclair a publié le témoignage d’un ancien Résistant déporté, André Alicot. Arrêté en mai 1944, il fut envoyé en Allemagne au cours de l’été et affecté au camp Neckarerlz.
Le survivant raconte les habituelles histoires :

Son quotidien, avec des Polonais, des Russes, était fait d’humiliations, de travail à la mine, de terrassement, de décès de compagnons, de pendaisons chaque soir […]. Cela sans presque rien à manger »[59].

Bref, un véritable « camp de la mort » où la vie des prisonniers ne comptait pour rien.
Il est vrai que les conditions qui régnaient dans les camps de la vallée du Neckar furent très dures. La raison est simple : ces camps, qui dépendaient administrativement de Natzweiller, furent créés dans l’urgence, en mars 1944, dans une Allemagne ravagée par les bombardements alliés.
L’objectif était de faire bâtir par les détenus (entre 2 500 et 3 000) des usines souterraines destinées à la Luftwaffe[60]. On imagine donc aisément quelle fut la vie de ces malheureux, contraints de creuser des galeries en hâte dans un pays désorganisé - d’où des déficiences dans l’apport de ravitaillement (nourriture, matériel sanitaire, outillage..) - et constamment bombardé.

Là comme ailleurs, les conditions de vie résultèrent non d’une prétendue « inhumanité nazie », mais de la situation générale qui régnait en Allemagne dans les derniers mois du conflit. Soulignons d’ailleurs qu’en janvier 1945, un des camps du Neckar, Neckargerach, fut reconverti « en camp de repos ou camp sanitaire » (Id.) ; on y envoya les déportés malades, victimes d’accidents du travail ou.. des bombardements. Or, si, vraiment, les « nazis » n’avaient accordé aucune valeur à la vie des détenus, allant jusqu’à en pendre « chaque soir » rien que pour satisfaire leurs pulsions sadiques, ils n’auraient pas reconverti Neckargerach ; ils auraient achevés les blessés et les affaiblis d’une balle dans la tête.

On m’objectera peut-être que ce prétendu « camp sanitaire » était un mouroir où les détenus crevaient sans soins ni nourriture. C’est cependant faux, et la preuve du contraire nous est apportée par André Alicot lui-même. Dans l’article, la journaliste nous dit qu’il est passé par Neckargerach, mais sans préciser quelle était la destination de ce camp.
Quelques lignes plus bas, toutefois, elle cite A. Alicot qui déclare :

En février 1945, j’ai été blessé par un bombardement sous un tunnel [qui a] fait une trentaine de morts. J’ai arrêté de travailler une quinzaine de jours. Il y avait des docteurs qui opéraient avec un équipement sommaire [Voy. Est-Éclair, déjà cité.].

J’y vois la confirmation du fait que Neckargerach était bien un « camp de repos et un camp sanitaire » où, jusqu’à la fin, les malades et les blessés étaient soignés et opérés, même si, en ces temps d’apocalypse, le matériel était sommaire. Ce fait ne s’accorde absolument pas avec la thèse de l’ « extermination par le travail »..

Toutes ces pièces apportent la preuve que, au moins jusqu’à la fin 1944 et si l’on excepte quelques commandos terribles, l’ensemble de la main-d’œuvre concentrationnaire fut traitée au mieux étant données les circonstances. Certes, on était soumis à une discipline militaire (lever très tôt, appels..), on travaillait dur, on était loin de chez soi, on était séparé de sa famille, on connaissait une certaine promiscuité - autant de choses qui peuvent rendre la vie très pénible -, mais tout cela reste sans rapport avec les images d’enfer qui sont aujourd’hui véhiculées. En conséquence :

Il est faux de croire que les Allemands auraient appliqué, à l’encontre des déportés, un plan « d’extermination par le travail ».

Naturellement, reste à savoir pourquoi, en 1945, les Alliés ont découvert d’horribles spectacles dans les camps : tas de cadavres, déportés squelettiques agonisant etc.
Pour le comprendre, il est nécessaire de ne pas dissocier l’histoire du système concentrationnaire allemand de l’histoire de l’Allemagne à partir de 1942. Lire : « La guerre aérienne des Alliés et l’effondrement du Reich ».

[1] Lorsque, le 1er septembre 1939, le Führer donna l’ordre à ses armées de pénétrer en Pologne, il pensait que l’Angleterre et la France ne réagiraient pas militairement. Les ultimatums anglais et français qui parvirent deux jours plus tard provoquèrent la consternation chez les dirigeants du Reich. Sur ce sujet, voy. le récit de Paul Schmidt, qui travaillait comme traducteur à la Chancellerie. Une fois la lecture de l’ultimatum britannique terminée, il raconte : « Hitler restait comme pétrifié, regardant droit devant lui […]. Il resta complètement silencieux et immobile à sa place. Au bout d’un moment, qui me parut une éternité, il se tourna vers [son ministre des Affaires étrangères] Ribbentrop, qui était resté comme figé, à la fenêtre. “Et maintenant ?” demanda Hitler à son ministre des Affaires étrangères, avec un éclair de fureur dans les yeux, comme s’il voulait exprimer que Ribbentrop l’avait faussement informé sur la réaction des Anglais […]. Comme ma mission était terminée, je me retirai et dis aux gens qui attendaient dans l’antichambre : “Les Anglais viennent de nous remettre un ultimatum. Dans deux heures l’état de guerre existera entre l’Angleterre et l’Allemagne.” Également, à cette nouvelle, un profond silence s’établit. Göring se tourna vers moi et dit : “Si nous perdons cette guerre, que le Ciel ait pitié de nous !” Goebbels était dans un coin, abattu, replié sur lui-même ; il avait l’air, littéralement, d’un barbet qu’on vient de doucher. Partout je vis des visages consternés, même chez les membres du Parti les plus modestes qui se trouvaient dans la salle ». (Voy. P. Schmidt, Sur la scène internationale. Ma figuration auprès de Hitler [éd. Plon, 1950], p. 226).
[2] TMI, XV, 365. Toujours à Nuremberg, le maréchal Keitel rappela que le réarmement allemand devait être terminé en 1943-1945 : « J’ai tout envisagé […] d’après cette simple considération : Peut-on réaliser quelque chose par l’agression et par la guerre si l’on ne dispose d’aucun moyen militaire ? C’est pourquoi, pour moi, toutes ces questions [relatives aux objectifs d’Hitler en matière de politique extérieure] se ramenaient à celles du réarmement, qui devait être terminé en 1943-1945, 1945 pour la Marine. Nous avions donc dix ans [en 1933-35] pour arriver à regrouper nos forces » (TMI, X, 520).
[3] Voy. le document produit à Nuremberg sous la cote EC-194 (TMI, III, 465-6).
[4] Voy. H.-R. Trevor-Roper, Hitler. Directives de guerre (éd. Arthaud, 1965), pp. 134-5. Voy. également Général Walrimont, Cinq ans au G.Q.G. de Hitler (éd. Elsevier Sequoia, 1975), pp. 118-9.
[5] « Plusieurs centaines de locomotives allemandes, presque la totalité des armes mécaniques, chars, aviation, armes, étaient devenues inutilisables par le fait de cet hiver anormalement rude et catastrophique » (Fritz Sauckel à Nuremberg, TMI, XIV, 654) ; « mais ce sont les armes automatiques surtout qui ne fonctionnent plus » (Hitler au général Oshima, le 13 décembre 1941 ; voy. Andreas Hillgruber, Les entretiens secrets de Hitler. Septembre 1939 décembre 1941 [éd. Fayard, 1969], p. 695).
[6] « Les réserves en personnel de la Wehrmacht doivent également être assurées pour l’année 1942, si l’on devait subir des pertes importantes. Comme la classe 1922 seule n’y suffirait pas […] » (voy. H.R. Trevor-Roper, op. cit., p. 136).
[7] Voy. A. Hillgruber, pp. 693-7, et notamment p. 694 : « Le poids qui oppressait la conscience des commandants de sous-marins est tombé. Toutes les nations juives d’hémisphère occidental, de zone des “300 miles” et bien d’autres encore sont périmées. L’Allemagne rendra l’océan plein d’insécurité ».
[8] « Malgré la guerre ces constructions pacifiques ont été poursuivies jusqu’en décembre 1941, et c’est la catastrophe de l’hiver en Russie qui leur a mis fin » (Albert Speer à Nuremberg ; TMI, XVI, 448).
[9] « Il m’incombait donc […] d’accroître l’armement de l’Armée qui s’effondrait, et d’augmenter la production très rapidement au cours de quelques mois » (A. Speer à Nuremberg, TMI, XVI, 450).
[10] « Quand, en février 1942, je pris en mains l’armement de l’Armée, des augmentations considérables étaient demandées dans tous les domaines et pour y faire face il fallait construire beaucoup de nouvelles usines » (A. Speer à Nuremberg, op. cit., p. 491).
[11] « En 1942, des milliers de détenus travaillaient à la construction d’usines de guerre » (voy. R. Hilberg, p. 450).
[12] Sur la dissolution des sections de main-d’œuvre, voy. le décret du 27 mars 1942 produit à Nuremberg le 12 décembre 1945 (TMI, III, 478). Sur la nomination de F. Sauckel, voy. TMI, XV, 77.
[13] TMI, XIV, 654. Sur la mission de F. Sauckel, voy. également TMI, III, 462, 480-1 et TMI XV, 120.
[14] Voy. TMI, III, 430-1 : en août 1942, F. Sauckel annonça qu’il avait fourni « un million de personnes à l’industrie et 700 000 à l’agriculture ».
[15] Dans une directive du 31 mars 1942, F. Sauckel avait demandé à ses collaborateurs dans les territoires de l’Est : « Je demande que le recrutement dont vous êtes responsables ainsi que les commissaires soit hâté par tous les moyens possibles, y compris, s’il le faut, l’emploi sans réserve du principe du travail obligatoire » (voy. TMI, XV, 177). Voy. également TMI, III, 480, doc. PS-016, programme de Mobilisation de la main-d’œuvre envoyé par F. Sauckel à Alfred Rosenberg en avril 1942 dans lequel on lisait : « En conséquence, il est de nécessité immédiate d’épuiser les réserves humaines des territoires soviétiques conquis. Si nous n’arrivons pas à nous procurer la main-d’œuvre nécessaire sur la base du volontariat, nous devons immédiatement instituer la mobilisation et le service obligatoire ». Sur ce document, voy. également TMI, XV, 91, les explications de F. Sauckel.
[16] Sur le fait que les réserves étaient épuisées en Allemagne, voy. le doc. F-274 : « La main-d’œuvre masculine allemande n’existait pratiquement plus : seuls les femmes et les enfants travaillaient encore dans les usines » (TMI, XXXVII, 156). Sur le fait que les femmes ne pouvaient remplacer les hommes à tous les postes, voy. TMI III et XV : « Dr SERVATIUS. - Les réserves en main-d’œuvre étaient-elles épuisées ? ACCUSÉ SAUCKEL. - J’en suis convaincu, oui. […] A partir de 1943, il n’y avait plus de réserves appréciables à utiliser en Allemagne. On a beaucoup discuté ici de cette question, mais le principal besoin en ouvriers portait sur les ouvriers spécialistes, ouvriers mineurs et travailleurs de force » (TMI, XV, 62). Dans une lettre à Hitler en date du 10 mars 1943, le plénipotentiaire à la main-d’œuvre écrivit : « J’aimerais souligner que les centaines de milliers d’excellents ouvriers partant au front comme soldats ne peuvent absolument pas être remplacés par des femmes allemandes qui n’ont pas l’habitude du travail, même si elles essayent de le faire de leur mieux » (TMI, III, 489).
[17] TMI, III, 482. Doc. PS-I-3012, produit à Nuremberg sous la cote USA-190.
[18] TMI, III, 428. Doc. PS-019, produit à Nuremberg sous la cote USA-181.
[19] TMI, III, 429-30. Doc PS-2280 produite à Nuremberg sous la cote USA-183.
[20] Ibid., p. 430. Voy. également TMI, XVI, 603.
[21] Arthur Seyss-Inquart à Nuremberg, TMI, XV, 685-6.
[22] TMI, III, 441, doc. PS-556-13 produit à Nuremberg sous la cote USA-194.
[23] TMI, III, 488. Voy. également TMI, XV, 61.
[24] Voy. l’ordre télégraphique du ministère pour les Territoires occupés de l’Est, doc. PS-200 : « Le commandement est en outre chargé du transfert dans le Reich de jeunes Russes entre dix et quatorze ans qui peuvent servir à quelque chose » (TMI, II, 150).
[25] Voy. TMI, IV, 205. Doc PS-058 produit à Nuremberg sous la cote USA-456.
[26] Voy. TMI, II, 150. Doc. PS-016.
[27] TMI, III, 442. Doc PS-1726.
[28] Voy. TMI, XV, 86, doc. F-810.
[29] « Dr SERVATIUS. - […] Enfin le dernier programme, du 4 janvier 1944. Exigé par le Führer : 4 000 000 ; satisfait avec 900 000..
ACCUSÉ SAUSCKEL. - Puis-je rectifier ? Ce chiffre est faux, il faut dire : satisfait à 3 000 000.
Dr SERVATIUS. - Exigé : 4 000 000 ; satisfait à 3 000 000 dont combien d’étrangers ? ACCUSÉ SAUCKEL. - 900 000 »
(TMI, XV, 61).
[30] Voy TMI, XXX, 588. Doc PS-2520.
[31] TMI, III, 466. Doc. EC-194 produit à Nuremberg sous la cote USA-214.
[32] TMI, III, 489. Doc. PS-407-II, produit sous la cote USA-226.
[33] Voy. V. Reynouard, Le travail obligatoire en Allemagne : ce que l’on cache 50 ans après (éd. du VHO, 2000).
[34] [« […] une colonne composée de centaines de personnes était chargée d’apporter au camp d’une distance de plusieurs kilomètres deux ou trois briques pour les jeter dans des fosses de drainage. On refaisait cette course plusieurs fois par jour. Quelques jours après, quand les fosses étaient déjà remplies de briques, notre tâche consistait à les en retirer et à les placer en tas. Ensuite, nous jetions dans les fosses ainsi vidées de grandes pierres que nous allions chercher encore à quelques kilomètres de là et nous marchions ainsi la journée entière chargées de notre fardeau. Quelque temps après, on retirait à leur tour les pierres de fosses et ce travail continuait en nous enlevant nos forces et en nous épuisant au point de vue physique et moral. » (P. Lewinska, Vingt mois à Auschwitz [éd. Nagel, 1945], p. 95). « C’était à Pâques 1944, le commandement du camp nous avait ordonné un travail très sale et inutile pour se moquer de nous, le travail qui consistait à transporter d’une place à l’autre dans la grange un tas de son » (Ibid., p. 186).
[35] Voy. J.-C. Pressac, Les crématoires.., op. cit., p. 21.
[36] Début janvier 1941, encore, la population des camps était divisée en trois catégories. Catégorie 1 : « les détenus coupables de délits mineurs » ; catégorie 2 : « les détenus plus lourdement chargés, mais toutefois encore susceptibles de rééducation » ; catégorie 3 : « tous les détenus dont les charges sont particulièrement lourdes ». S’y ajoutait la catégorie 1a : « les détenus âgés et ceux dont la santé ne permet le travail que sous certaines conditions » (voy. Doc. PS-1063 présenté à Nuremberg sous la cote USA-492 ; TMI, VI, 340).
[37] TMI, III, 469-70. Doc. R-129 présenté à Nuremberg sous la cote USA-217.
[38] On y prétendait par exemple qu’à Mauthausen et à Gusen, les Allemands auraient gazé les déportés de la façon suivante : un « autocar-chambre à gaz » chargeait les prisonniers à Mauthausen ; ceux-ci étaient gazés (avec les gaz d’échappement) lors du trajet vers Gusen. Là, ils étaient déchargés et brûlés. Ensuite, le même processus était appliqué aux prisonniers de Gusen : chargement, gazage en cours de route pour Mauthausen, crémation à Mauthausen (voy. TMI, XXXVII, 176).
[39] « Dr KAUFMANN. - En apprenant l’existence [d’Auschwitz], avez-vous aussi appris quel en était le but, à savoir que c’était un camp d’extermination pour les juifs emmenés là par Eichmann ?
ACCUSÉ KALTENBRUNNER. - Non. Personne ne pouvait en connaître la nature exacte, car lorsqu’on demandait à Himmler pourquoi on avait installé là un camp aussi important, la réponse était toujours “à cause de la proximité des grandes usines d’armement” et il mentionnait Witkowitz et quelques autres »
(TMI, XI, 280).
[40] Voy. Enrique Aynat, « Considérations sur la déportation des juifs de France et de Belgique à l’est de l’Europe en 1942 » publié dans Akribeia, n° 2, mars 1998, p. 15.
[41] TMI, VI, 340. Doc. F-285 produit à Nuremberg sous la cote RF-346. Voy. également TMI, XXXVII, 437-9, doc. L-41.
[42] Dans sa réponse à H. Göring, H. Himmler écrivait : « je vous transmets ci-joint une étude sur l’emploi des prisonniers dans l’industrie aéronautique. Cette étude montre qu’il y a actuellement 36 000 prisonniers qui travaillent pour la Luftwaffe. On envisage de porter ce nombre à 90 000. […] Le déplacement des usines aéronautiques dans des installations souterraines rend nécessaire l’emploi d’environ 100 000 prisonniers supplémentaires. »(TMI, IV, 206).
[43] Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, las vainqueurs n’ont pas craint la contradiction. L’auteur du document F-274 écrit : « Dans tous les camps, les déportés travaillaient sous la surveillance des gardiens, SS ou kapos, choisis pour leur brutalité parmi les détenus de droit commun. A coups de crosses de fusils, de manches d’outils, les détenus étaient frappés sans raison. Si un homme s’arrêtait une seconde ou levait la tête, les coups redoublaient ; des chiens spécialement dressés aidaient à repérer ceux qui s’arrêtaient un moment […]. Le rendement du travail était très faible […]. Pour tenter d’augmenter le rendement, les Allemands ont parfois imposé aux détenus des tâches dépassant leur force : par exemple, huit hommes chargés de la bétonneuse devaient fournir deux tonnes de ciment par jour (NEC 6). Ainsi, il ne semble pas, malgré les centaines de milliers de déportés qui, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest de l’Allemagne, oeuvrèrent dans les usines, dans les marais, les routes, dans les forêts, dans les laboratoires, pour actionner la machine de guerre du Reich, que la marche de celle-ci en fut plus aisée. Les coups ne pouvaient suppléer à la maladresse et au sabotage dont beaucoup se firent un devoir » (TMI, XXXVII, 159-60). D’un côté, donc, les vainqueurs reconnaissaient que le « désir manifeste des dirigeants nazis » était d’ « obtenir le maximum de rendement » et que les SS y étaient parvenus, mais de l’autre, ils prétendaient que, suite aux mauvais traitements infligés aux déportés, le « rendement du travail était très faible » et que, par conséquent, « les centaines de milliers de détenus » n’avaient pas facilité la marche de la machine de guerre du Reich. On nageait donc en pleine contradiction. Par la suite, toutefois, la thèse du rendement très faible fut abandonnée, car les estimations publiées la rendaient insoutenable. Voilà pourquoi je ne la prends plus en considération.
[44] « En général, les Allemands, dans les camps de concentration, n’employaient pas de spécialistes, sauf dans les cas de nécessité absolue » (Doc. F-274, déjà cité ; TMI, XXXVII, 159).
[45] Voy. le Doc. L-61 produit à Nuremberg sous la cote USA-177 ; TMI, XXXVII, 495-6. Voy également R. Hilberg, La destruction.., p. 379.
[46] Doc. D-361 produit à Nuremberg sous la cote USA-893 ; TMI, XVI, 560.
[47] Voy. V. Reynouard, Le travail obligatoire en Allemagne.., op. cit. Dans cette étude, je démontre que les ouvriers étrangers étaient payés comme les nationaux allemands, qu’ils étaient logés dans des camps très bien aménagés, qu’ils bénéficiaient de congés et d’assurances diverses (notamment d’assurances maladie..) etc.
[48] « Bettägerige Häftlinge sollen zu einer entsprechenden Arbeit, die sie auch im Bett verrichten können, herangezogen werden. Der Befehl des Reichsführers-SS ist Zukunft genauestens zu beachten. » (Doc. PS-1933, produit à Nuremberg sous la cote USA-459 ; TMI, XXIX, 173-4).
[49] Voy. Roger Manvell et Heinrich Fraenkel, Sans pitié ni remords, Heinrich Himmler (Paris, 1965), p. 66.
[50] Voy. R. Brackman, Staline. Agent du Tsar (éd. de l’Archipel, Paris, 2001), p. 413.
[51] TMI, XX, 524-5. Un ancien déporté, André Rogerie, a confirmé la présence d’un cinéma et d’une maison close à Buchenwald : « Le dimanche 21 novembre 1943, ceux qui ont été désignés pour le transport sont rassemblés après l’appel dans la salle de cinéma, car il y a un cinéma à Buchenwald. Le dimanche, certains blocks sont admis à la séance. Il y a aussi une maison de plaisir où des femmes de toutes nationalités attendent le client qui, pour être admis, doit faire une demande par voie hiérarchique s’il a au moins six mois de camp de concentration » (voy. A. Rogerie, Vivre, c’est vaincre [Hérault-Éditions, 1990] p. 43).
[52] Voy. Libres, 20 octobre 1944, p. 2. Deux semaines plus tard, le quotidien reconnut que le rapport « portait sur des chiffres anciens » et que maintenant, les rations étaient moins élevées : « Il est vraisemblable que la ration de pain, à l’heure actuelle, doit varier entre 250 g et 350 g par jour au lieu de 450 g » (voy. Libres, 2 novembre 1944, p. 2)
[53] Voy. Documents sur l’activité du Comité international de la Croix-Rouge en faveur des civils détenus dans les camps de concentration en Allemagne (1939-1945) (éd. CICR, Genève, 1947), p. 115. Il est intéressant de noter que le délégué n’a pas demandé à voir la (prétendue) chambre à gaz homicide. A l’époque, pourtant, des rumeurs persistantes circulaient à son propos. Dans son rapport, il écrit simplement : « En quittant le camp, j’étais sur le point de demander à Suhrens de me montrer la chambre à gaz et le crématoire. Je ne l’ai cependant pas fait. » Plus loin, cependant, il raconte qu’après la capitulation allemande, il rencontra dans Berlin une ancienne déportée à Ravensbrück : « je lui demandai où se trouvaient le crématoire et la chambre à gaz. “Sous la grande place”, me répondit-elle. » Va-t-il vérifier ? Nullement. Il poursuit : « C’était donc sous cette grande place, cette place sur laquelle réglait une grande animation lorsque je m’y trouvais un mois auparavant. A ce moment-là, j’étais loin de me douter que c’était sous mes pieds que des centaines, peut-être des milliers de malheureuses avaient été gazées et incinérées. » (Ibid., p. 116). Voilà comment, avec une légèreté coupable (puisqu’il n’avait ni vu, ni vérifié), un fonctionnaire du CICR a cautionné la légende des gazages homicides dans les camps (Si vous voulez comprendre pourquoi les rumeurs concernant la chambre à gaz homicide de Ravensbrück sont fausses, voir l’article « La prétendue chambre à gaz de Ravensbrück »). J’ajoute que d’après la thèse officielle établie dès 1945 à Nuremberg par le témoignage de Mme Vaillant-Couturier, la (prétendue) chambre à gaz homicide de Ravensbrück ne se serait pas trouvée sous la grande place, mais à l’extérieur du camp, dans une petite cabane en bois (voy. TMI, VI, 233 : « La chambre à gaz à Ravensbrück était juste derrière le mur du camp »). Dès lors, il est scandaleux qu’en 1947, le CICR ait publié le rapport sur Ravensbrück sans l’accompagner d’une rectification.
[54] « A l’époque où je fus chargé de m’occuper de ces questions [de ravitaillement], il avait été décidé que tous les prisonniers, y compris les internés des camps de concentration, recevraient les mêmes rations que le reste de la population, s’ils travaillaient » (TMI, XI, 607).
[55] Sur la vie à Dora lors de la construction de l’usine souterraine, voy. A. Rogerie, op. cit., pp. 44 et ss.
[56] Voy. The Belsen Trial.., op. cit., p. 291.
[57] TMI, XXXVII, 162. Naturellement, l’auteur déclare que ces fiches étaient rédigées pour sauvegarder « les apparences ». Il écrit : « Il est curieux de constater, à côté des sévices et des mesures d’extermination pratiquées par les Allemands, qu’à ce point ils furent parfois soucieux du respect des apparences » (Id.). Voilà pourquoi il parle de « l’évolution de la maladie (réelle ou fictive) » (parenthèse que nous avons omise dans la citation), comme s’il s’agissait souvent de fausses fiches.. C’est toujours la même chose : dès qu’un fait - et il y en a une myriade - vient contredire la version officielle, on le minimise, on prétend qu’il n’est pas significatif, qu’il servait à entretenir une illusion. Voy., à ce sujet, le témoignage déjà cité de P. Lewinska. Elle prétend que les femmes admises à Auschwitz et tatouées servaient entre autres à « cacher la vérité sur Oswiecim. A l’aide de petits détails (lettres, colis) on créait l’impression au dehors qu’Oswiecim n’était qu’un lieu d’isolement » (P. Lawinska, op. cit., pp. 174-5).
[58] Voy. Génération 3, été 2004, p. 27, col. A.
[59] Voy. Est-Élair, 19 mai 2004, article intitulé : « André Alicot se souvient ».
[60] Voy. le Catalogue alphabétique des camps de concentration et de travaux forcés assimilés et de leurs commandos et sous-commandos ayant existé en Allemagne pendant la guerre 1940-1945 (Royaume de Belgique, Ministère de la Santé Publique et de la Famille, 1951), p. 280.

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