L’origine des terribles clichés pris dans les camps en 1945 :
La situation dans les camps les derniers mois. Le cas de Bergen-Belsen
Pourquoi, en 1945, les Alliés ont-ils découvert d’horribles spectacles dans les camps : tas de cadavres, déportés squelettiques agonisanst, etc.. ?
Un lien indéniable avec la situation générale du Reich en 1945
A Nuremberg, les principaux témoins allemands qui parlèrent de la déportation associèrent les conditions de la fin avec la situation apocalyptique des derniers mois et en particulier avec l’effondrement du système de communication et les difficultés de ravitaillement.
Le témoignage capital de R. Höss
Citons tout d’abord l’ancien commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, devenu inspecteur des camps et qui, le 15 avril 1946, déclara :
La situation catastrophique de la fin de la guerre eut pour cause les destructions des voies de chemin de fer, les bombardements quotidiens des usines. On ne pouvait plus assurer le ravitaillement régulier de ce grand nombre de détenus - à Auschwitz, il y en eut 140 000 - même lorsque le chef de camp essayait, par des mesures improvisées, d’améliorer les choses, en particulier par la mise sur pied de colonnes de camions de ravitaillement, ou autres mesures semblables. Ce n’était plus possible. Le nombre des malades s’était accru dans des proportions énormes et il n’y avait presque plus de médicaments, ce qui favorisait les épidémies ; les détenus capables de travailler étaient utilisés de plus en plus. Le Reichsführer avait même donné l’ordre d’utiliser là où ils pouvaient travailler les gens malades. De sorte que, dans les camps de concentration, qui étaient encombrés de malades et de mourants, nous n’avions pas assez de locaux [TMI, XI, 416].
Les précisions du juge Morgen
Quatre mois plus tard, le juge SS K. Morgen souligna que, sur la fin :
Beaucoup de camps étaient surpeuplés.
Les prisonniers arrivaient épuisés par une durée très longue, et qui n’avait pas été prévue, des transports, provoquée par les attaques aériennes. Puis, vers la fin de la guerre, il se produisit une désorganisation générale des communications ; les fournitures ne purent plus être faites en quantité nécessaire, les usines de produits chimiques et pharmaceutiques étaient bombardées systématiquement. On manquait de tous les médicaments nécessaires et, par suite des évacuations de l’Est, les camps furent surpeuplés d’une façon intolérable [TMI, XX, 535].
L’exposé de K. von Eberstein
Le 5 août 1946, enfin, K. von Eberstein, qui avait été abasourdi en découvrant les clichés pris par les Alliés à la libération des camps, lança :
Je ne puis personnellement expliquer les horreurs commises dans les camps de concentration et qui furent révélées par la catastrophe de la défaite et de la capitulation que par l’état général des choses au cours des derniers mois de la guerre. Les gens ont perdu la tête, on a déplacé des centaines de milliers de personnes ; des milliers de détenus ont été transférés des régions frontières dans les quelques camps qui restaient utilisables. Dans le Sud de l’Allemagne, à Dachau, il y avait un flot ininterrompu de gens qui arrivaient au cours de l’hiver. Il y avait aussi une épidémie de typhus qui fit de nombreuses victimes […]. De plus, le trafic ferroviaire fut interrompu au cours des dernières semaines ; le ravitaillement était bloqué. Lorsque je m’inquiétai de limiter cette épidémie, le commandant me répondit qu’il n’y avait plus de médicaments, les usines où on les fabriquait ayant été bombardées. Voilà comment je m’explique les images terribles que nous connaissons maintenant tous ici puisqu’on nous les a montrées [Ibid., p. 333].
Une ancienne gardienne de Bergen-Belsen confirme
A ces trois témoignages, on peut ajouter la déclaration sous serment d’une ancienne SS, Elisabeth Volkenrath, qui fut gardienne à Ravensbrück, à Auschwitz puis à Bergen-Belsen.
Interrogée après la capitulation du Reich, elle ne parla ni de plan d’extermination, ni de tortures, ni de sadisme mais dit tout simplement :
Les nombreuses morts à Belsen furent causées par le manque de nourriture et le surpeuplement (lack of food and overcrowding). Les prisonniers avaient marché des autres camps jusqu’à Belsen avec peu ou pas de nourriture et ils arrivaient épuisés (arrived in an exhausted condition)[1].
La Croix-Rouge confirme
Dans les manuels d’Histoire officiels, ces témoignages ne sont jamais mentionnés. Et lorsqu’on les cite, on se voit immédiatement répondre : « Comment pouvez-vous croire des nazis ? Ne voyez-vous pas qu’ils tentaient de s’absoudre aux yeux du monde ? »
Pourtant, les faits sont là, têtus, qui donnent raison à ces témoins oubliés.
Prenons le cas du ravitaillement des camps. Les trois premiers témoins déclarent qu’il a été quasiment - voire totalement - interrompu sur la fin à cause de la destruction des voies de communication. Excuse fausse et malhonnête ? Pas du tout ! La meilleure preuve est que la Croix-Rouge internationale a connu le même problème.
Dans un télégramme du 11 mai 1945 au secrétaire d’État américain M. Stettinius, le CICR écrivit (nous respectons le style télégraphique) :
[…] prisonniers guerre et internés civils alliés purent recevoir colis secours fournis par pays d’origine grâce efforts incessants CICR qui réussit malgré difficultés de transport résultant guerre maritime et terrestre à acheminer vers camps jusqu’au milieu année 1944 environ trois cent mille tonnes vivres et vêtements et médicament. Cette action fut sérieusement compromise dès octobre 1944 par destructions massives voies de communication ferroviaires Allemagne par suite bombardements et absence moyens transports routiers que CICR avait pourtant demandés instamment aux Puissances alliées dès début 1944[2].
Dans un exposé général sur la question rédigé plus tard, le CICR confirma ces propos et rappela :
Enfin, la destruction des voies de communication en Allemagne, due aux bombardements aériens qui s’intensifiaient, paralysa considérablement l’action de secours dès la fin de l’année 1944.
Ainsi, en février 1945, la situation était telle que le Comité international redoutait de devoir cesser toute activité en faveur des détenus civils dans les camps de concentration. Le réseau ferroviaire allemand était, en effet, en grande partie détruit et les camions mis à la disposition du Comité international […] ne pouvaient alors être affectés qu’à l’action de secours aux prisonniers de guerre [Voy. Documents sur.., p. 22].
C’est clair : la destruction des voies de communication fut à l’origine d’une grave crise du ravitaillement des camps. Le rappeler n’est pas tenter de s’absoudre, c’est décrire la réalité.
Certains déportés confirment également
J’ajoute que certains déportés eux-mêmes ont, volontairement ou non, confirmé ce fait. Citons par exemple Guy Kohen qui, après être revenu d’Auschwitz, écrivit :
En cette fin d’année 1944, le moral au camp était bas. Le front ne bougeait toujours pas. La nourriture ne s’était pas améliorée, bien au contraire. Il n’y avait presque plus de margarine. Le saucisson ne faisait plus qu’une apparition furtive sur notre pain du matin. La qualité de la soupe avait beaucoup baissé. Les bombardements, eux, prenaient de plus en plus d’ampleur[3].
Même si G. Kohen n’effectue aucun lien direct, ce parallèle fait entre la baisse du ravitaillement et l’intensification des bombardements fin 1944 est très révélateur.
Dès 1945, d’ailleurs, cette réalité pouvait être connue grâce à la presse des vainqueurs (voir l’article : « La guerre aérienne des alliés »).
Le cas de Bergen-Belsen
Bergen-Belsen : pilier de la propagande alliée
Cela dit, et afin que personne ne puisse nous accuser de faux-fuyant, venons-en au cas de Bergen-Belsen.
Les clichés pris dans ce camp en avril 1945 devinrent l’un des principaux piliers de la propagande alliée (voir le panneau mis par les Alliés devant Bergen-Belsen en 1945). Aujourd’hui encore, ils sont présentés comme des « preuves » de la « barbarie nazie » (voir un exemple paru dans Paris-Match).
Dans une brochure belge publiée en mai 1945, celui qui commandait le camp lorsque les troupes britanniques arrivèrent, J. Kramer, fut qualifié d’ « homme au cœur de pierre » et de « plus immonde des bourreaux » :
Le plus immonde des bourreaux, Joseph Kramer, peut inscrire à l’actif de son bilan, 400 VICTIMES PAR JOUR […]. Cet homme au cœur de pierre faisait brûler, tous ensemble, morts et vivants, et conviait les femmes du voisinage à venir danser autour des bûchers en lançant des cris hystériques[4].
La position des historiens officiels est d’autant plus forte qu’en 1945, une SS qui avait appartenu à l’équipe administrative du camp rendit le commandant responsable des conditions qui y régnaient sur la fin. Erta Ehlert, c’est son nom, raconta qu’un jour, alors qu’elle se plaignait de l’augmentation du taux de mortalité, J. Kramer lui aurait répondu : « Laissons les mourir ; qu’est-ce que cela peut vous faire ? »[5]. N’était-ce pas la preuve que cet individu était un « homme au cœur de pierre » ?
Or, nous allons voir que l’histoire de ce camp confirme amplement les dépositions des quatre témoins cités plus haut et que J. Kramer ne fut pas un immonde bourreau insensible à la douleur humaine.
Le cas du matériel de couchage
Dans un premier temps, rappelons que Bergen-Belsen fut établi en 1943 avec pour mission de « loger les prisonniers malades des autres C.C. [camps de concentration] »[6]. Il passa sous le commandement de J. Kramer le 1er décembre 1944, c’est-à-dire au moment où la situation allait gravement se détériorer.
Au procès de Belsen, le major Winwood, qui défendait J. Kramer, évoqua les problèmes de ravitaillement dus aux bombardements et les efforts - parfois vains - faits par son client pour les pallier. Il expliqua tout d’abord qu’en décembre 1944, le camp était déjà surpeuplé : il comptait 15 257 détenus[7] pour seulement 2 000 lits à trois étages[8].
En conséquence, J. Kramer commanda 3 000 lits à trois étages ; mais, bien que sa demande ait été prise en compte, aucune livraison ne fut effectuée, faute de moyens de transports. Le 1er mars 1945, il envoya à la Direction des camps de concentration une lettre sous forme de plainte dans laquelle il écrivait :
Récemment, des lits à trois étages ou des couchettes ont été à maintes reprises alloués au camp par l’Amt. B. III, mais toujours en provenance de régions qui n’ont plus de communication avec nous[9].
A son procès, il confirma ces propos en déclarant :
J’étais supposé recevoir 3 000 lits à trois étages de Tchécoslovaquie, mais ils n’étaient pas arrivés parce qu’aucun train ne roulait plus[10].
(voir un cliché de l’intérieur d’une baraque pris à Bergen-Belsen en 1945)
Des convois arrivent au camp sans être annoncés
Pour le couchage, donc, la situation n’était déjà pas très brillante. Toutefois, sur le plan de l’hygiène et de la nourriture, tout allait encore relativement bien : « les installations sanitaires étaient suffisantes, il y avait des toilettes dans chaque baraque » (p. 154) ; « la situation pour la nourriture était relativement bonne, car il n’y avait que 15 000 prisonniers » (p. 160).
L’ennui est que J. Kramer avait reçu l’ordre de recevoir dans son camp déjà comble tous les convois qui arriveraient[11]. Or, non seulement des transports arrivèrent en masse (puisque de nombreux camps étaient évacués devant l’avance ennemie) mais en outre, la pagaille des derniers mois fit que la plupart se présentaient subitement, pratiquement sans avoir été annoncés. Rapidement, donc, la situation se dégrada.
A son procès, J. Kramer expliqua :
Des plus grands camps de concentration, je recevais un télégramme un ou deux jours à l’avance [pour m’annoncer l’arrivée d’un convoi], mais en ce qui concernait la grande majorité des transports, le seul avis que je recevais était lorsque quelqu’un à la gare de Belsen me téléphonait pour me dire que je devais m’attendre à recevoir un transport dans la demi-heure. C’est seulement une fois à la gare que j’apprenais d’où le transport venait, combien de personnes il comprenait et s’il s’agissait d’hommes ou de femmes. Parfois, le chef du transport à la gare ne pouvait même pas me dire combien de personnes il y avait. Lorsque je soulignais qu’il aurait dû le savoir, il disait : « Eh bien, on fuyait [l’avance ennemie] et soudainement, on a trouvé à la gare 10, 12 ou 15 wagons. On a poussé à l’intérieur le plus de personnes possible, on a démarré et c’est ainsi que nous sommes venus ici ». Je voulais vous donner cet exemple pour que vous connaissiez les conditions qui régnaient durant les mois de janvier, de février et de mars. Les prisonniers arrivaient aussi bien en train qu’à pied [Ibid., pp. 162-3].
Les nouveaux arrivants entrent au camp sans effets personnels
Alors que les conditions de couchage n’étaient déjà pas brillantes, la plupart des nouveaux arrivants entraient dans le camp sans aucun effet personnel. J. Kramer raconte :
Dans la plupart des transports, les gens arrivaient avec les vêtements qu’ils avaient sur eux. Tous ceux qui partaient d’Auschwitz avaient un change et deux couvertures, mais en raison des grandes distances qu’ils avaient à marcher, ils s’en débarrassaient en les jetant près de la route. Les 100 ou 200 couvertures dont je disposais étaient absolument insuffisantes pour les milliers de prisonniers que je reçus [Id.].
La crise du ravitaillement
Mais un problème bien plus sérieux survint : le ravitaillement. Toujours à son procès, J. Kramer expliqua :
Plus tard [comprenez : après décembre 1944], quand les nouveaux transports arrivèrent, le ravitaillement en nourriture devint un problème grave. La nourriture venait de Celle et de Hambourg, et je dus en partie fournir moi-même les véhicules. Une firme à Hambourg, avec une petite succursale à Bergen, fournissait une partie de la nourriture ; le pain provenait de […] Bergen, mais quand les effectifs du camp augmentèrent, les autorités me dirent que je pouvais avoir seulement 10 000 miches de pain par semaine. Durant les mois d’hiver, il était à peine possible d’avoir des pommes de terre et des légumes, et bien que j’aie pu obtenir du pain de Celle et de Hanovre, les raids aériens détruisirent une partie des boulangeries, les routes et les voies ferrées. C’est avec le début des raids aériens que, pour la première fois, le pain ne parvint pas au camp. J’entrai en contact avec une boulangerie à Saltau et j’obtins un petit millier de miches par semaine, mais avec l’accroissement du nombre de détenus, les fournitures en pain furent assurément insuffisantes. Alors que l’effectif du camp se situait entre 30 000 et 40 000 personnes, j’ai essayé de me procurer du ravitaillement à Hambourg en envoyant nuit et jour la totalité des cinq véhicules dont je disposais. A cause du temps froid, ce ravitaillement fut encore plus difficile à obtenir ; mon équipe administrative se vit dire que les villes et les agglomérations devaient être servies en premier [Ibid., p. 161].
Cette situation n’était pas particulière à Bergen-Belsen. Un ancien déporté à Blumenthal (un commando de Neuengamme) écrit :
L’hiver approchant, la maladie fait de grands ravages […] Nous ne recevons plus à présent que 250 grammes de pain par jour et 1 litre de soupe. La population passe avant, nous dit-on ![12]
Pénurie complète de matières grasses
Revenons à Belsen. En février, la situation alimentaire se dégrada encore suite au manque soudain de matières grasses. Encore une fois, les bombardements étaient en cause. Lors du procès intenté à l’équipe du camp, une ancienne SS, Herta Ehlert, expliqua :
Je suis allée à la cuisine et j’ai parlé avec le responsable et l’intendant ; ils me dirent qu’ils n’avaient pas reçu de matière grasse de la réserve. Je suis allée voir le Unterscharführer Müller, qui était le responsable de la réserve ; il me dit que tous les wagons du train avaient été détruits lors d’un bombardement et qu’il n’y pouvait rien [Ibid., p. 229].
Loin, toutefois, de baisser les bras, J. Kramer donna des ordres pour pallier ce manque. H. Ehlert poursuit :
A ce moment, j’ai rencontré Kramer ; je lui ai parlé du problème, lui ai dit que la mortalité augmentait et que les prisonniers ne pourraient pas être gardés en vie avec cette soupe claire. Il fit ramasser des pommes de terre par des commandos de prisonniers ; celles-ci furent écrasées puis mélangées à la soupe, et c’est ainsi que les prisonniers eurent l’impression d’avoir reçu quelque chose dans leur estomac [Ibid., p. 229].
Le wagon de fournitures médicales détruit lors d’un bombardement
Mais les conséquences des bombardements se révélèrent parfois irréparables. Ainsi en fut-il pour les vêtements et fournitures médicales que J. Kramer avaient commandés.
Appelée à témoigner lors du procès de Belsen, Rosina Kramer, son épouse, raconta :
Un soir, juste après une alerte aérienne, [mon époux] faisait les cent pas, et il dit : « Maintenant le wagon ou le camion que j’espérais depuis trois mois ; je viens d’entendre qu’il a été réduit en pièces à Hanovre lors du bombardement ; je n’ai plus le moindre matériel de bandage et d’habillement » [Ibid., p. 183].
J. Kramer se retrouvait donc démuni de tout : lits, couvertures, vêtements, matériel médical de première urgence, matières grasses.. Comble de malheur, un très grave événement survint lors de ce mois de février 1945 : l’apparition du typhus et de la fièvre éruptive.
L’ancien commandant raconte :
Les transports venus du camp de travail de Natzwiller apportèrent la fièvre éruptive et ceux venus de l’Est de l’Allemagne le typhus. Après que le docteur Horstmann m’ait rapporté les cas de fièvre éruptive, j’ai ordonné la fermeture du camp avant d’en avertir Berlin. En guise de réponse, on me dit que le camp devait être réouvert, que je devais accueillir tous les transports à venir et que 2 500 femmes de Ravensbrück allaient devoir être reçues [Ibid., p. 163].
J. Kramer en appelle aux autorités
Sans attendre, J. Kramer manifesta son mécontentement et son inquiétude pour l’avenir. Dans une lettre du 1er mars, adressée à la Direction des camps de concentration, il décrivit les conditions terribles qui régnaient à Bergen-Belsen. Il rappela que, faute de stocks disponibles dans la région et de moyens de transport, les réserves d’hiver à Bergen Belsen avaient été prévues pour assurer la subsistance jusqu’au 20 février.
Une politique de grandes économies avait permis de tenir plus longtemps ; il y avait encore des réserves de navets pour six jours et des réserves de pommes de terre pour huit, mais pas plus. Quant au pain, il n’y en avait plus depuis quatre jours suite à l’interruption des communications avec Hanovre. Aussi demandait-il qu’une solution soit impérativement trouvée dans les prochains jours (Ibid., p. 164).
J. Kramer demandait aussi d’urgence de nouvelles bouilloires pour les cuisines. « Toutes les bouilloires du camp fonctionnent jour et nuit. Nous devrons faire face à de grosses difficultés si l’une des bouilloires tombe en panne » (Ibid., p. 165).
En outre, il poussait un cri d’alarme à propos des conditions sanitaires du camp. En un mois, précisait-il, la mortalité avait plus que quadruplé, passant de 60-70 décès quotidiens début février à 250-300 début mars (Ibid., pp. 164 et 165). Il ajoutait :
L’appareil de désinfection à air chaud fonctionnant sans cesse, il fonctionne maintenant mal et parfois tombe en panne pour plusieurs jours. Lorsque le SS Stabsarztführer Lolling visita le camp, il me promit une « machine de désinfection à ondes courtes
[Pour en savoir plus sur ces machines, dont l’une fut installée à Auschwitz, voir l’article »l’épouillage à ondes courtes].
Pour l’utiliser, j’ai besoin d’un transformateur plus puissant, lequel, d’après les informations que j’ai reçues […], est disponible à Berlin. Bien que j’aie un besoin si urgent de cet appareil, il est impossible présentement d’aller le chercher à Berlin [Ibid., p. 165].
Enfin, il demandait « avant toute chose » « des lits, des couvertures, des instruments de cuisine - le tout pour 20 000 internés » (Ibid., p. 166).
Bergen-Belsen n’était pas un « camp de la mort »
Cette lettre du 1er mars est capitale. Car elle démontre que le commandant du camp se débattait - en vain, vu les conditions générales de l’époque - pour améliorer la situation des détenus. Or, si, vraiment, le camp de Bergen-Belsen avait été prévu pour être une usine de la mort lente commandé par un sadique, jamais J. Kramer n’aurait écrit cette missive alarmiste. Au contraire, il aurait été satisfait de la situation..
Dix-huit jours plus tard, sur ordre de ses supérieurs, R. Höss vint inspecter Bergen-Belsen afin de se rendre compte de la situation. J. Kramer se souvient :
Il vit tout le camp et me dit que ce qu’il venait de voir aujourd’hui, il ne l’avait jamais vu nulle part auparavant (Ibid., p. 167).
Là encore, à supposer que Bergen-Belsen ait été une usine de la mort lente, R. Höss aurait dû être satisfait ; il aurait même dû féliciter le commandant pour être parvenu à organiser un tel centre d’extermination. Mais ce n’est pas ce qui arriva, bien au contraire. J. Kramer poursuit :
Nous retournâmes au bureau et eûmes une conversation pour essayer de réfléchir et de trouver des moyens d’améliorer la situation. Mes propositions furent de cesser [l’arrivée] de tous les nouveaux convois […]. Nous discutâmes de l’utilisation du matériel qui était là pour l’érection de nouvelles baraques. L’idée était de construire 40 baraques et d’y loger dans chacune 100 détenus. L’Obergruppenführer décida d’envoyer ici et sur-le-champ un télégramme […] [Ibid., p. 167].
C’est bien la preuve que les autorités se souciaient de la situation et souhaitaient prendre des mesures urgentes. (voir ce cliché très peu montré de Bergen-Belsen car il contredit la thèse officielle)
La crise du ravitaillement s’aggrave..
Mais la situation s’aggrava encore. Lors du procès de Belsen, celui qui, du 12 au 28 mars 1945, s’était occupé des cuisines et des magasins de ravitaillement au camp, expliqua :
A partir du 23 mars, le ravitaillement en pain devint très irrégulier, à cause des raids aériens (Ibid., p. 475).
Contre-interrogé par l’Accusation, il précisa :
Nous eûmes assez de pain jusqu’à la mi-mars [J. Kramer était parvenu à s’en procurer à Hambourg, voy. plus haut], mais alors le problème du ravitaillement devint plus aigu, et à partir du 22 ou de 23 mars, pratiquement plus de pain du tout n’arriva (practically no bread arrived at all) (Ibid., p. 477).
..alors que le camp est de plus en plus surpeuplé
Dans la première semaine d’avril, J. Kramer demanda à ses supérieurs s’il devrait évacuer le camp au cas où le front se rapprocherait. Un adjoint d’Himmler, Glücks, lui répondit que les autorités « ne comprenaient pas [ses] messages puisque Himmler avait donné des ordres selon lesquels 30 000 prisonniers allaient être transférés à Belsen » (Ibid., p. 167). On imagine aisément quelle fut la réaction du commandant du camp.
A son procès, il déclara :
J’eus un entretien avec un commandant de l’Air, le général Boyneburg, qui me demanda quels étaient mes plans en cas d’évacuation ; je lui dis qu’il n’était pas question d’évacuation parce que des ordres nouveaux m’imposaient de me tenir prêt à recevoir plus de prisonniers. Je lui dis que mon camp était déjà surpeuplé et, qu’en tant que général, il aurait peut-être plus d’autorité et pourrait m’aider. En ma présence, il téléphona aux autorités supérieures à Hanovre et parla à un général qui était là-bas, l’entretenant de ces 30 000 prisonniers additionnels. Hanovre lui répondit qu’il connaissait l’ordre d’Himmler à propos de ces nouveaux prisonniers, et que si mon camp n’offrait pas assez de place, il aurait à s’occuper de les loger dans des baraques à Bergen, et que si c’était encore insuffisant, alors le camp de Münster, à environ 20 km de là, devrait être utilisé. Le général Boyneburg dit à Hanovre qu’il y avait encore des soldats dans les baraques ; il reçut l’ordre d’évacuer les baraques et des les apprêter [Ibid., p. 167].
Une solution semblait donc avoir été trouvée. Mais la suite vaut la peine d’être racontée. J. Kramer poursuivit ainsi :
Une fois la communication avec Hanovre terminée, le général Boyneburg me demanda si je connaissais la date d’arrivée de ces transports. Cette conversation eut lieu le 2 ou le 3 avril et le 4, le premier transport arriva. Jusqu’au 13 avril, les transports arrivèrent nuit et jour. En plus de ces 30 000 prisonniers, je devais recevoir les commandos de travail venus de plusieurs autres endroits, si bien que tout compris, le total devrait atteindre environ 45 000 [personnes]. Jusqu’au 13 avril, 28 000 personnes arrivèrent. Quand le premier transport arriva, les baraques [de Bergen] n’étaient pas libres et le commandant me demanda d’accueillir le premier convoi pendant qu’il s’occuperait de libérer les baraques le plus vite possible. Au lieu d’être capable de diminuer l’effectif de mon camp selon mon plan, je fus contraint d’accueillir toujours plus de le surcharger. Ces transports venaient du camp de Dora, et Hoessler, qui s’occupait du camp n° 2 [un petit camp aménagé comme une annexe de Bergen-Belsen] prit les 15 000 derniers [arrivants] [Ibid., pp. 167-8].
Interrogé pour savoir ce qu’il fit afin de nourrir ces déportés du camp n° 2, J. Kramer répondit :
Je ne pouvais rien leur donner du tout parce que les réserves dont je disposais étaient des réserves pour une certaine période et qu’elles étaient destinées aux prisonniers de mon propre camp [Ibid., p. 168].
Les attaques aériennes empêchent tout ravitaillement
Certains pourront répondre qu’avec ses cinq camions, il pouvait se débrouiller pour obtenir du ravitaillement dans les environs. Mais c’est oublier qu’à l’époque, les avions alliés attaquaient et détruisaient tout ce qui se déplaçait. Le 22 mars, J. Goebbels écrivit :
Impossible d’emprunter les routes de campagne, à l’ouest, sans être attaqué par des chasseurs-bombardiers. La supériorité aérienne de l’ennemi est telle que nous ne pouvons même plus nous déplacer en auto sur nos propres routes[13].
De son côté, un fonctionnaire du CICR écrivit dans un rapport :
Les derniers jours furent marqués par des attaques constantes d’avions sur les petites villes et les routes […]. Des centaines de voitures carbonisées, des cadavres de chevaux et des douzaines de cadavres humains, pour la plupart des réfugiés allemands, gisaient à droite et à gauche de la route. J’ai vu et pansé des détenus qui avaient été blessés par des attaques en piqué [Voy. Documents sur.., p. 128].
Citons également le Grand-Amiral Dönitz qui, dans ses mémoires, relate :
Des colonnes de réfugiés obstruaient les routes à partir de Plön, avec des véhicules militaires surchargés de blessés, de soldats et de civils. Les chasseurs anglo-américains les mitraillaient, causant des morts et des blessés. A leur apparition les paysans quittaient leurs champs pour s’abriter[14].
Dès lors, ce qui devait arriver arriva : les camions du camp de Bergen-Belsen furent eux aussi détruits lors d’un trajet. A son procès, J. Kramer expliqua :
Obtenir de la nourriture [début avril 1945] était quasiment impossible parce que le front était rompu, et en plus de cela, le transport était très difficile. Mes propres camions furent réduits en pièces lors d’attaques en piqué juste avant l’arrivée des Alliés, donc tout ce qui me restait était un simple camion[15].
Une situation d’apocalypse
Il n’y avait donc plus rien à faire pour le camp n° 2 et ses milliers de prisonniers. Et même au camp principal, la situation était apocalyptique. L’eau manquait à tel point que, la dernière semaine, on l’utilisa uniquement pour la cuisine . il n’était plus question de se laver dans un camps où séjournaient de nombreux malades du typhus[16].
On ne sera donc pas surpris qu’une SS qui avait travaillé à Bergen-Belsen ait déclaré plus tard :
Lorsque je revins au camp pour la troisième fois [sur la fin], je ne me suis pas sentie bien, à cause de l’horrible odeur [17].
Comme nourriture, il n’y avait plus qu’un peu de soupe. Un accusé, Karl Francioh, qui travailla dans les cuisines du camp des femmes en avril 1945, raconta :
Au cours de ma période d’activité, [les prisonnières recevaient] un litre de café le matin, mais pas toujours ; pour déjeuner, un litre de soupe ; et pour le dîner la même chose. Parfois, il y avait du pain deux fois la semaine, parfois pas du tout, et dans la dernière période, il n’y avait plus de pain [Ibid., p. 295].
La situation était telle que la cuisine dut être gardée par plusieurs hommes[18] afin d’empêcher le vol du peu qu’il y restait.
Au camp des hommes, c’était pis. Interrogé pour savoir si, dans les derniers jours, la nourriture avait été suffisante, un ancien déporté, Josef Trzos, répondit :
Non. On reçut seulement 300 litres de soupe pour 800 personnes dans notre block » (Ibid., p. 465).
Propos qui furent confirmés par un autre ancien déporté, Antoni Aurdzieg, celui ayant déclaré :
A Belsen, il n’y avait pas de pain, et nous recevions un demi-litre de soupe par jour » (Ibid., p. 469).
Là aussi, la situation était telle que des mesures exceptionnelles durent être prises : ainsi, lors de la distribution de nourriture dans un block de malades, chaque fenêtre et chaque porte devait être gardée afin d’empêcher l’intrusion d’autres déportés affamés cherchant à voler la maigre pitance[19]. Paroxysme de l’horreur : même la morgue dut être gardée, parce qu’un cas de cannibalisme y avait été enregistré. Un déporté avait pénétré de nuit dans le bâtiment et prélevé « les parties d’un corps »[20].
J. Kramer baisse les bras
Face à cette situation devenue totalement ingérable, J. Kramer baissa les bras. C’est à cette époque qu’il eut une conversation avec H. Ehlert sur l’augmentation du taux de mortalité dans le camp. Nous avons vu que dans une déposition préliminaire, H. Ehrlet accusa le commandant de lui avoir dit : « Laissons-les mourir ; qu’est-ce que ça peut vous faire ? ».
Lors des audiences, toutefois, elle se ravisa ; J. Kramer, déclara-t-elle, lui avait répondu :
Laissons-les mourir ; on n’y peut rien ; mes mains sont entravées [21]
Ce qui est, vous en conviendrez, très différent. Ce revirement de l’accusée était conforme à la justice. En vérité, J. Kramer ne fut ni un sadique, ni un criminel, ni même un homme qui considérait la mort des prisonniers avec désinvolture ; il fut le commandant d’un camp-hôpital surpeuplé dans un pays où régnaient des conditions apocalyptiques, où les lits, les couvertures, les vêtements, le matériel médical, les médicaments et la nourriture faisaient défaut.
Totalement impuissant, il resta jusqu’à la fin conformément aux ordres qui lui avaient été donnés et livra finalement son camp aux Anglais.
Les Alliés saisissent l’occasion d’alimenter leur propagande à base d’ « atrocités »
Lorsque, après avoir visité les lieux et vu la crasse, la misère, les cadavres.., l’un d’entre eux lui lança :
Vous avez bâti un bel enfer ici » (You’ve made a fine hell here)
J. Kramer répondit :
C’en est devenu un dans les derniers jours (It has become one in the last few days)[22]
Mais cette vérité n’intéressait pas le vainqueur. Les Anglais avaient promis la liberté au commandant de Bergen-Belsen ; toutefois, lorsqu’ils virent l’état du camp, et qu’ils comprirent le parti que leur propagande de guerre pouvait en tirer, tout changea.
J. Kramer fut appréhendé, enchaîné, contraint, avec d’autres, de poser au milieu des cadavres (voir un cliché pris par les Britanniques, on y voit le docteur du camp, Klein, contraint de poser dans une fosse commune).
C’est ainsi que de simple commandant dépassé et impuissant, dont le nom aurait rapidement dû être oublié, il devint l’ « homme au cœur de pierre », le « plus immonde des bourreaux », celui qui conviait les femmes allemandes à danser autour des bûchers..
Et un demi-siècle plus tard, la même propagande continue : les clichés de Bergen-Belsen sont toujours montrés hors contexte afin de « prouver » la « barbarie nazie ».
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[1] Déposition préliminaire d’Elisabeth Volkenrath ; voy. The Belsen trial.., p. 718. Lors du procès de Belsen, un membre de la Cour - au moins - parut admettre que la situation des derniers temps avait pu être terrible. S’adressant à J. Kramer, il lui demanda quelle avait été « le système de rationnement normal dans les camps de concentration, si l’on ne tenait pas compte de la situation critique qui aurait pu surgir en mars et avril » (Can you telle us what was the normal system of rationning au concentration camps, apart altogather from any emergency that may have arisen in March and April ? ; Ibid., p. 182). Cette restriction dans la question posée est très révélatrice.
[2] Voy. CICR, Documents sur.., pp. 86-7. Pour la référence complète, consulter la liste des ouvrages cités.
[3] Voy. G. Kohen, Retour d’Auschwitz. Souvenirs du déporté 174 949 (auto-édité, 1945), pp. 96-7.
[4] Voy. Les horreurs des camps de torture nazis. Reportages photographiques, 2ème année, n° 5, mai 1945, numéro spécial : « Buchenwald », p. 10.
[5] « Je dis que Kramer [le dernier commandant de Bergen-Belsen] fut responsable des conditions [qui régnaient dans le camp sur la fin], entre autres raisons, parce qu’en une occasion, alors que je me plaignais de l’augmentation du taux de mortalité à Kramer, il répondit : “Laissons les mourir ; qu’est-ce que cela peut vous faire ?” » (voy. la déposition d’Herta Ehlert, publié dans The Belsen Trial.., appendice III, p. 709).
[6] Voy. le Catalogue alphabétique.., p. 42. Pour la référence complète, consulter la liste des ouvrages cités.
[7] Voy. The Belsen trial.., p. 152.
[8] « Quand il [Kramer] arriva là, environ la moitié des gens avaient un lit, c’est-à-dire qu’il y avait 2 000 lits à trois étages » (Ibid., p. 154).
[9] « Three-tier beds or bunks have been repeatedly alloted to the camp in recent time by Amt. B. III, but always from areas with which there is no transport connection » (Ibid., p. 164).
[10] « I was supposed to receive 3 000 three-tier beds from Czechosovakia, but they had not come as there were no trains running » (Ibid., p. 162).
[11] « When transports arrived […]. He [Kramer] had instructions to take them into the camps » (Ibid., p. 154).
[12] Voy. Henri Désirotte, La tragédie de Lubeck (L’Édition Universelle, Bruxelles, 1946) pp. 53 et 62.
[13] Voy. J. Goebbels, op. cit., p. 233. Pour la référence complète, consulter la liste des ouvrages cités.
[14] Voy. Grand-Amiral Dönitz, Dix ans et vingt jours (éd. Plon, 1959), p. 349.
[15] The Belsen Trial.., p. 168.
[16] « Dans la dernière semaine, nous utilisâmes l’eau […] pour la cuisine, mais il n’y avait plus d’eau pour se laver » (déclaration de J. Kramer à son procès ; Ibid., p. 162).
[17] Déclaration de Herta Ehlert au procès de Belsen ; Ibid., p. 229.
[18] « several [guards] stood round the kitchen », déposition de K. Francioh (Ibid., p. 296).
[19] « - Quelles étaient vos devoirs pendant la distribution de nourriture ? - D’empêcher les prisonniers de percevoir une deuxième ration et d’empêcher les hommes des autres blocks de pénétrer dans notre block pour percevoir de la nourriture […]. Je gardais les fenêtres et les portes […]. Je n’étais pas seul ; il y avait 15 ou 20 [gardes], parce qu’un homme devait se tenir à chaque fenêtre. - Est-ce que beaucoup de gens tentèrent d’entrer dans le block ? - Bien sûr. » (déposition de Medislaw Burgraf, Ibid., pp. 460-1 et 463).
[20] Voy. la déclaration que J. Kramer rédigea après sa capture. Il écrit : « Je me rappelle relativement bien un cas de cannibalisme. On m’a averti qu’un prisonnier était entré dans la morgue et que les parties d’un corps manquaient. J’ai posté un garde près des cadavres durant la nuit et, cette même nuit, le garde arrêta un homme qui s’approchait d’un corps. L’homme fut arrêté, mais avant que je n’aie pu l’interroger le matin suivant, il se pendit. Je ne pourrais pas dire s’il y eut d’autres cas de cannibalisme, mais les nuits qui suivirent, j’ai posté un garde devant la morgue » (Voy. la déclaration de J. Kramer, reproduite dans The Belsen Trial…, appendice III, p. 735.).
[21] « Let them die ; we cannot do anything about it ; my hands are tied ». Ibid., p. 229.
[22] Voy. Derrick Sington, Belsen Uncovered (Duckworth, Londres, 1945), p. 18.