Les « bombardements de terreur » alliés sur l’Allemagne étaient-ils moralement défendables ?


Les deux clichés ci-joints n’ont pas été pris à Oradour-sur-Glane, en juin 1944. Le premier a été pris à Kassel, en octobre 1943 ; le deuxième à Hambourg, en août 1943. Ils montrent les restes carbonisés de trois civils allemands (deux adultes et un bébé), victimes des « bombardements de terreur » anglo-américains.
Ils ont été publiés dans l’ouvrage de Jörg Friedrich : Brandstätten. Der Anblick des Bombenkriegs (éd. Propyläen, 2003).

Les « bombardements de terreur »

L’Allemagne avant

L’auteur a effectué un intéressant travail qui permet au néophyte de comprendre ce que furent ces bombardements de terreur.
Dans une première partie, il publie des photographies prises entre 1898 et 1939, qui montrent des villes d’Allemagne avant la guerre (pp. 8-37). Au fil des pages, on découvre Halberstadt, Würzburg, Leipzig, Ulm, Köln, Lübeck, Magdeburg.. Ici, des enfants jouent ; là des adultes vaquent à leurs occupations quotidiennes : un boulanger qui livre du pain, une marché aux fleurs, une parade militaire.. Tout respire le calme et la tranquillité.

L’arsenal destructeur des Alliés

Puis la guerre arrive et l’on voit Arthur Harris - l’homme qui coordonna les bombardements de terreur - avec une équipe de pilotes (p. 40), Winston Churchill devant une immense forteresse volante (p. 41), un équipage prêt à partir en mission (p. 41) et un bombardier au décollage (p. 42).
Les pages suivantes montrent ces forteresses volantes en formation dans le ciel ; elles se dirigent vers l’objectif. Viennent ensuite les clichés montrant le largage d’engins explosifs ou incendiaires (pp. 44-45) ; d’immenses bombes de 500 kg tombent (p. 46).

Tornades de feu

Suivent des photographies hallucinantes prises au sol et montrant, dans la nuit, des bâtiments en flammes : Berlin (des immeubles ravagés par le feu), Hambourg (des pompiers après un « petit » bombardement en février 1943), Brême (un tramway en flammes dans une rue incendiée), Essen, Aachen, Nuremberg.. (pp. 50-57)

Des avions alliés s’écrasent au sol

Naturellement, toutes ces opérations ne pouvaient se dérouler sans que des avions ne s’écrasassent au sol.
Après avoir montré la carcasse d’un Lancaster tombé près de Berlin en 1943 et le cadavre d’un pilote britannique relevé près de Hambourg en 1940 (p. 58), l’auteur publie les clichés d’aviateurs britanniques, canadiens et anglais faits prisonniers (pp. 58-59, voir photo 1 et 2).
bbt_aviateurs_allies-1 bbt_aviateurs_allies-2
bbt_aviateurs_allies-3Une autre photo montre une scène qui se passe à Essen, durant l’été 1944 : un pilote américain tombé est emmené, sous bonne escorte, dans une baraque en bois (voir photo).
Sur son passage, des civils et des militaires allemands se sont massés, adoptant une attitude parfois hostile ; l’un d’entre eux, - un homme âgé - montre son poing (p. 59) [Pour plus d’informations sur le traitement réservé aux pilotes alliés tombés entre les mains des Allemands, voir l’article « Le national-socialisme, une idéologie criminelle ?« ].

La défense allemande contre les avions

Après avoir montré les bombardiers anglais, l’auteur nous fait découvrir en quelques images la défense allemande contre les avions (pp. 62-66) : un chasseur Messerschmitt BF 109, d’immenses projecteurs destinés à repérer les appareils ennemis, une mitrailleuse anti-aérienne, des canons de 88 mm en action, des civils auxquels on montre une bombe incendiaire..

Des détenus des camps utilisés pour déblayer

Sur la page suivante, au-dessous d’un cliché montrant d’énormes bombes anglaises et américaines (plusieurs centaines de kg) retrouvées non explosées après un bombardement, est publiée une photographie insolite : autour d’une bombe non explosée, des déportés en tenue rayée posent, décontractés, en compagnie de militaires allemands. La légende porte simplement : « KZ-Bergungskommando », ce que l’on peut traduire par : « Commando de sauvetage issu d’un camp de concentration ». Ces prisonniers étaient très probablement employés à ramasser les énormes bombes retrouvées intactes après les raids aériens.
Cela n’a rien de surprenant : on sait depuis toujours que les Allemands ont utilisé des déportés pour différentes tâches après les bombardements.
A la page 100, d’ailleurs, J. Friedrich en montre deux qui déblayent un bâtiment touché à Brême le 13 juin 1943. Bien que l’on ne puisse en tirer aucune conclusion générale, il est tout de même intéressant de souligner que ces déportés ne sont pas réduits à l’état d’épaves terrorisées et vêtues de loques ; ils sont propres, bien chaussés, bien vêtus et paraissent en bonne santé.

La Défense passive

Après la défense active contre les avions, J. Friedrich nous fait découvrir la défense passive au sol. Les clichés défilent, montrant des équipes de secouristes en action (pp. 68-75) : des gens casqués manient des lances à incendie à Hambourg et à Kassel ; trois garçons appartenant aux Jeunesses hitlériennes arrosent un incendie ; devant un camion de pompier, des jeunes filles assemblent de gros tuyaux ; à Berlin, trois hommes font la chaîne avec des seaux sur une maison dont toutes les vitres ont volé en éclat ; une équipe de secouristes pose dans un hôpital détruit et incendié à Cologne ; deux sauveteurs visiblement exténués et abattus, munis de masques à gaz et d’une lampe électrique, semblent revenir de mission (Berlin, juin 1943)..

Abris pour la population

L’auteur aborde ensuite les mesures prises par les autorités pour (tenter de) protéger la population contre les bombardements. Outre la construction de blockhaus en béton armé (comme à Hanovre, p. 78), les Allemands reconvertissaient d’anciens bâtiments très solides en abris après avoir muré les ouvertures (« l’Arche de Noé » à Brême [pp. 79 et 94], le « Zoo-Bunker » à Berlin [pp. 84-85]).

Certains abris construits spécialement étaient dotés de tout ce qu’il fallait pour vivre le plus confortablement possible : génératrices de courant, aérateurs (pp. 90-91), espaces avec des tables munies de nappes et ornées de fleurs (p. 89), dortoirs avec lits superposés comprenant matelas et couvertures (p. 88), salles d’opération pour les blessés (p. 91 ; voir photo).

Souvent, toutefois, les abris n’étaient que de simples galeries souterraines munies, le long des parois, de bancs où les gens s’asseyaient en attendant la fin de l’alerte (pp. 80-81). Ailleurs, d’anciennes caves avaient été reconverties (p. 82) ; certaines ressemblaient à des églises avec leurs rangées de bancs placés perpendiculairement aux murs (p. 81).

Dans d’autres, plus petites, des chaises et des fauteuils avaient été placés le long des parois et les gens se retrouvaient assis autour d’une simple table (p. 83).

J. Friedrich publie certaines photographies montrant ces civils terrés. Berlin 8 août 1944, l’alarme a retenti : une mère et ses deux enfants descendent dans une galerie basse. Ils emportent des couvertures, des valises et leur radio. La mère semble anxieuse, le jeune garçon résigné.. (p. 82).
Dans le bunker du zoo, des dizaines de voitures d’enfants sont entassées ; au premier plan, une jeune mère tient son bébé dans ses bras (p. 85). Dans un autre abri, une dame se maquille (p. 88) ; une jeune fille se couche, souriante (p. 88) ; sur les genoux d’un homme âgé, une petite fille joue, insouciante (p. 89).
Mais beaucoup de visages sont graves ou tristes : dans un abri de Hambourg, un homme se penche et parle à une femme visiblement désemparée, le regard vide (p. 89)..

A la page 93, une photographie saisissante montre l’impact d’une bombe de 1 000 kg sur un bunker à Hambourg, par suite du bombardement du 30 juillet 1943 (100 000 morts environ). Touché de plein fouet, le mur en béton armé n’a pas résisté. Arrachant l’armature interne, le projectile a creusé un trou béant de 1,80 x 2,5 m. Preuve que les bunkers n’étaient pas à toute épreuve.

Dans les villes détruites après les bombardements

Les pages suivantes sont consacrées à l’après bombardement. A Berlin, dans la nuit éclairée par les lueurs des incendies, une équipe de soldats armés de pelles part déblayer les ruines (p. 98). A Hambourg, après le grand bombardement de juillet 1943, une équipe inspecte les gravats (p. 99). A Kassel, certains objets qui ont pu être sauvés des maisons détruites sont mis sur le trottoir (p. 105).

Les victimes

Mais ce que l’on recherchait surtout, c’était les victimes.

L’auteur commence sobrement, avec un cliché montrant, sur le mur d’une maison de Hambourg gravement détruite, une simple inscription : « Où est ma mère ? » (Wo ist meine Mutter ?), signé Robert Zöllner (p. 106 ; voir photo).

En face, une photographie prise à Berlin montre une équipe de secours qui sort un blessé d’une maison (p. 107). Puis viennent des images plus terribles : une femme morte sur un trottoir, face contre terre (p. 108) ; un cadavre à demi décomposé extrait d’un sous-sol à Kassel en octobre 1943 (p. 109) ; des ossements humains trouvés dans une cave à Leipzig (pp. 110-111) ; des corps découverts au cours du déblaiement à Nuremberg (p. 112) ; des cadavres devant l’entrée d’un abri à Dortmund en octobre 1944 (Id.) ; un cadavre de femme déposé sur une grille par des soldats (p. 113)..

A la page suivante, un déporté muni de gants en caoutchouc manipule des restes humains carbonisés. Suivent deux clichés pris à Kassel en octobre 1943 : sur le premier, un homme recouvre d’une poudre blanche (vraisemblablement de la chaux) le cadavre d’une femme retiré des décombres ; sur le deuxième, un soldat dépose dans une grande bassine un reste humain carbonisé alors qu’au premier plan, on distingue nettement le bas d’un corps (deux jambes et bassin).
Tournons la page. Une maison détruite à Hambourg s’offre à notre regard.

Sur le mur encore debout, on a écrit : « 40-50 morts » (40-50 Tote). Une flèche indique l’entrée d’une cave qui a déjà été déblayée (p. 118 ; voir photo). Il ne reste plus qu’à retirer les corps. En face, un cliché montre, dans une maison de repos berlinoise, un cadavre de femme retrouvée dans son lit. Au-dessous, deux femmes et une fillette gisent dans une cave à Hambourg : elles sont mortes asphyxiées par le monoxyde de carbone (p. 119 ; voir photo).

Puis apparaissent des cadavres de soldats. Des Allemands ? Non, des officiers américains du Stalag XIIA morts sous les bombes de leurs compatriotes le 23 décembre 1944 (le bombardement fit 26 morts et 100 blessés parmi les prisonniers de ce camp ; p. 120).


Nous en arrivons alors aux images les plus terrifiantes ; les morts succèdent aux morts, asphyxiés, brûlés, déchiquetés : un garçon des Jeunesses hitlériennes recouvre d’un matelas le cadavre d’une jeune enfant (p. 121) ; un tas de cadavres à Hambourg dont certains, carbonisés, ressemblent à des statues de bronze (p. 122) ; des gens asphyxiés et à moitié brûlés dans une cave (p. 123) ; des crânes et des ossements humains découverts en août 1943 dans un sous-sol à Hambourg (le grand bombardement datait du 30 juillet) ; des cadavres carbonisés à Brême et à Hambourg (pp. 124, 126 et 127 ; voir photo 1 ; voir photo 2) ; les restes carbonisés d’une femme et d’un bébé à Hambourg (p. 125, voir photo 3) ; des cadavres d’animaux au zoo de Berlin (pp. 128-129) ; des corps d’hommes et de femmes à Kassel, Leipzig et Nuremberg, ils ne portent aucune trace du brûlure, la mort a dû survenir par asphyxie (pp. 130-131) ; des cadavres alignés pour identification à Nuremberg en août 1943 (p. 131, voir photo) ;

les restes carbonisés d’une femme mis en bière à Kassel (voir photo)..

L’auteur termine avec les clichés très connus de Dresde : les cadavres et les bûchers en plein air, sur des poutrelles en fer (pp. 134-135).
Suivent deux clichés pris à Pforzheim en 1945. Sur des ruines, des croix et des écriteaux ont été plantés avec les noms de victimes (pp. 136-137).

Les victimes dans le camp d’en face

Par obligation, opportunisme ou honnêteté, l’auteur poursuit en s’intéressant aux victimes d’en face. Il montre des aviateurs anglais morts dans la chute de leur appareil (p. 139), une fabrique de bombes allemande (p. 140), et trois clichés pris suite aux attaques allemandes sur l’Angleterre : quatre sauveteurs emmènent le cadavre d’une londonienne tuée par l’explosion d’un V2 en mars 1944 ; des cadavres sont glissés dans des sacs à Catford, après que des bombes furent tombées sur une école ; des juifs religieux lisent dans un abri à Londres (p. 141).

Vient ensuite le cliché très connu d’une jeune polonaise de Varsovie en pleurs devant le cadavre de sa mère tuée lors du bombardement de la ville par la Luftwaffe le 25 septembre 1939 (p. 142).

Aucun parallèle ne peut être établi entre le bombardement de Varsovie ou l’envoi de fusées « V » sur l’Angleterre et les « bombardements de terreur » alliés

Les bombardements à l’aide des fusées « V » ne furent qu’une mesure de représailles désespérée

Là encore, ces documents appellent plusieurs commentaires.
On dresse souvent un parallèle entre les bombardements de terreur anglo-américains et les attaques de V1 et de V2 sur l’Angleterre. C’est une erreur.
Les fusées « V » furent envoyées dans les derniers mois de la guerre à titre de représailles, dans l’espoir (vain) qu’elles permettraient d’obtenir une diminution des raids terroristes et dans l’attente d’un très improbable retournement de situation.
A Nuremberg, H. Göring le concéda sans aucune difficulté. Après avoir rappelé que les Alliés avaient par avance refusé toute offre de paix allemande et qu’ils désiraient forcer le Reich à une reddition sans condition[1], il fit au procureur général américain les réponses suivantes :

ACCUSÉ GÖRING. - […] Si je n’ai aucune chance de conclure la guerre par des négociations, alors il est inutile de tenter de négocier et il faut déployer tous ses efforts pour essayer de forcer le destin en faisant appel aux armes […]. Si [en 1945] j’avais disposé de bombardiers et de carburant, j’aurais, bien entendu, continué jusqu’à la dernière minute, quelles qu’eussent été nos chances, les attaques de ce genre [bombardements] comme mesures de représailles contre les attaques qui étaient dirigées sur les villes allemandes.
M. JUSTICE JACKSON. - En ce qui concerne les attaques par les avions robots, y eut-il encore des avions robots après le mois de janvier 1945 ?
ACCUSÉ GÖRING. - Grâce à Dieu, nous avions encore une arme dont nous pouvions nous servir ! Je viens de dire qu’aussi longtemps que durerait le combat, nous devrions riposter. En tant que soldat, je puis seulement regretter que nous n’ayons pas eu suffisamment de ces bombes V1 et V2, car une diminution des attaques sur les villes allemandes ne pouvait s’obtenir qu’en infligeant à l’ennemi des pertes aussi lourdes que les nôtres […]. Aussi longtemps que mes ennemis me menacent et exigent une reddition sans condition, je me bats jusqu’à mon dernier souffle, car il ne reste rien, à l’exception peut-être de la chance de voir changer la destinée, d’une manière quelconque, bien que la situation semble désespérée [TMI, IX, 459-460].

On le voit, loin d’être une stratégie minutieusement préparée et mise en place dans le but d’obtenir une victoire militaire par l’écrasement total de l’ennemi - ce que furent les bombardements de terreurs alliés - le lancement de fusées « V » fut une ultime manœuvre désespérée, décidée et réalisée dans l’urgence avec un manque de moyens manifeste. Un peu comme l’homme qui, entravé et sur le point de mourir étranglé par un agresseur ayant juré sa perte, lui décoche un ultime coup avec son pied resté libre.

La vérité sur le bombardement de Varsovie

Concernant Varsovie, il faut savoir que depuis le 24 septembre, la Pologne était battue. Il ne restait que trois poches de résistance : Modlin, la presqu’île de Héla et Varsovie. Cette dernière ville étant totalement encerclée, les Allemands lui demandèrent de se rendre. A Nuremberg, H. Göring expliqua :

On refusa de rendre la ville. Je me rappelle au contraire les appels qui ont encouragé toute la population civile de Pologne ainsi que les habitants de Varsovie à offrir une résistance, qu’il s’agisse des militaires, mais aussi des civils, ce qu’on sait être en contradiction avec le Droit international.
Nous avons encore adressé un autre avertissement. Nous avons commencé à envoyer non des bombes, mais des tracts dans lesquels nous demandions à la population de cesser le combat. Puis, comme le commandant demeurait sur ses positions, nous avons demandé l’évacuation de la population civile, avant le bombardement.
Nous avons reçu un message par radio selon lequel le commandant désirait envoyer un parlementaire ; nous avons consenti mais nous l’avons attendu en vain. Nous avons alors demandé et obtenu que le corps diplomatique et tous les neutres quittent Varsovie par une route que nous avions indiquée. Ce qui fut fait.
Puis, après avoir déclaré dans un dernier appel que nous allions être dans l’obligation d’attaquer sérieusement la ville si aucune reddition ne survenait, nous avons commencé à attaquer d’abord les forts, puis les batteries disposées dans la ville et enfin les troupes. Telle fut l’attaque de Varsovie [Ibid., p. 362].

En agissant ainsi, les Allemands avaient parfaitement respecté la Convention de La Haye sur les « lois et coutumes de la guerre sur terre », et plus particulièrement l’article 26 qui stipulait :

Le commandant des troupes assaillantes, avant d’entreprendre le bombardement, et sauf en cas d’attaque de vive force, devra faire tout ce qui dépend de lui pour en avertir les autorités.

Ces rappels démontrent que les civils tués à Varsovie ne sont pas morts suite à des bombardements de terreur, mais suite à des opérations strictement militaires ; la faute revient en outre aux autorités polonaises qui refusèrent d’évacuer la ville[2]. Par conséquent, on ne saurait dresser un parallèle entre Varsovie et Hambourg ou Dresde.

La vie immédiatement après les bombardements

Poursuivant son exposé, J. Friedrich consacre un chapitre à l’organisation de la vie peu après les bombardements.

Après avoir montré une infirmerie mobile de la Croix-Rouge dans laquelle des premiers soins étaient administrés, puis un bloc opératoire où deux blessés sont opérés, l’auteur s’intéresse au ravitaillement des populations sinistrées : distribution d’eau à Hambourg et à Braunschweig (pp. 150-151), préparation de soupes populaires dans d’immenses autocuiseurs (p. 154), marmites chauffées avec des moyens de fortune à Berlin en 1944 (p. 156), garçons des Jeunesses hitlériennes les bras chargés de pains qu’ils vont distribuer (p. 156), vieilles femmes confectionnant des sandwichs à la chaîne à Berlin en février 1945 (p. 158), distribution de rations de saucisses à Hambourg en 1943 (p. 159), distribution de soupe chaude à Berlin, à Brême et à Kassel (pp. 155, 160 et 161), sinistrés mangeant leur soupe en plein air, debout ou assis sur des caisses à Kassel en octobre 1943 (voir photo)

Ruines et villes englouties

La chapitre suivant est consacré aux destructions matérielles causées par les bombardements. Bien qu’on n’y voie aucun cadavre, les clichés sont terrifiants.
Immeubles éventrés, pans de murs branlants, toits effondrés, maisons soufflées, intérieurs dévastés, cimetière retourné, églises détruites, bibliothèque universitaire rasée, route suspendue à demi effondrée, carcasses calcinées de wagons, de trams et de voitures (pp. 168-183).

Quatre clichés aériens montrent des villes englouties : Rostock, Darmstadt, Nuremberg, Hambourg (pp. 184-185, voir photo de Hambourg).
Suivent des photographies prises dans les rues ou du haut de certaines ruines.
Au fil des pages, ainsi, le lecteur évolue dans ces villes dévastées devenues des cités fantômes : Mannheim, Paderborn, Hildesheim, Berlin, Nuremberg, Cologne, Pforzheim, Hanovre.. Telles des ombres, quelques civils apparaissent au milieu des ruines (pp. 186-195).

Le quotidien des civils dans les ruines

J. Friedrich s’intéresse ensuite au quotidien des civils dans les villes englouties. Car la vie devait continuer. A Remagen, à Hambourg et à Frankfort, des gens marchent dans des rues encombrées de gravats (pp. 203-204).
A Dresde, après le grand bombardement de février 1945, des vieillards déblayent les voies en entassant des briques (p. 210).
A Cologne, une femme a sorti tout le mobilier et le linge qu’elle avait pu sauver de son habitation détruite : quelques chaises, des matelas, un sommier, une table cassée, des planches, une bassine en zinc.. Assise devant ce bric-à-brac, elle attend (p. 211, voir photo).

Les immeubles étant détruits, la vie s’organisait dehors. A Cologne, des soldats en permission discutent assis à une table d’intérieur désormais installée en plein air (p. 209). Ailleurs, une petite fille dort sur un matelas mis dans la rue ; derrière elle, une femme s’allonge comme elle le peut pendant qu’une vieille est assise, emmitouflée (p. 208, voir photo).

Privés de leurs locaux, de nombreux commerçants exposaient ce qui leur restait sur les trottoirs.
L’auteur publie quelques clichés insolites : un étalage de vaisselle en pleine rue à Brême en 1942 (p. 203) ; des mannequins avec des costumes sur le trottoir en juin 1943 (p. 205) ; la caisse d’une pâtisserie et quelques présentoirs à gâteaux posés à même le sol, dans la rue, à Berlin en juin 1943 (p. 209) ; un marchand de conserves a refait son magasin dans une cave : il expose à même le trottoir (p. 211, voir photo).

(Afin de secourir les sinistrés, les dirigeants allemands expédièrent dans le Reich du mobilier des habitations juives laissées vacantes notamment en France ; en 1945, ces expéditions furent présentées comme des opérations de pillage. Pour plus d’informations, voir l’article « Le mythe du pillage en Europe par les nazis« )

J. Friedrich publie également quelques photos prises à Berlin en février 1945. Dans une rue bordée de bâtiments détruits, un groupe de femmes et des enfants chargés de bagages attend ; certains portent des lunettes de protection (p. 205). A la gare, on procède, dans le calme, à des évacuations : deux femmes avec bagages et landaus attendent elles aussi (p. 213). Une dame et sa petite fille se tiennent près d’une valise et de quelques sacs (p. 212)..
Les clichés qui suivent montrent Josef Goebbels qui s’entretient avec un blessé à Essen en 1943 (p. 219), H. Göring qui prend un bain de foule à Berlin (Id.), la visite de Gauleiter à Kassel en octobre 1943 (pp. 220-221). Puis viennent les photos des cérémonies d’enterrement à Braunschweig, à Hambourg, à Paderborn (pp. 222-223).

Le dernier chapitre est consacré à la reconstruction. L’auteur montre des villes, des rues ou des bâtiments tels qu’ils étaient avant la guerre ou après les bombardements, et tels qu’ils sont aujourd’hui.

Les « bombardements de terreur » face à la morale

La principale question qui se pose

Comme on pouvait s’y attendre, la parution de ce livre a provoqué d’intenses débats outre-Rhin.
D’après notre correspondant allemand qui nous a rendu compte de la polémique, J. Friedrich - que l’on ne peut soupçonner de sympathie envers le national-socialisme ; il a notamment collaboré à la rédaction de « l’Encyclopédie de l’Holocauste » - a été attaqué au motif qu’il présentait les Allemands comme.. des victimes. Le fait que nos voisins se disputent sur ce point est symptomatique du national-masochisme qui règne là-bas.
Victimes, les Allemands l’ont été, c’est évident. La vraie question qui se pose est la suivante : les « bombardements de terreur » anglo-américains étaient-ils moralement défendables ? Pour y répondre, il est intéressant d’aborder le problème sous l’angle du Droit international.

La quatorzième convention de La Haye

Elle prohibe les bombardements aériens

Très peu de gens le savent, il existe une quatorzième convention de La Haye, signée comme les autres le 18 octobre 1907, qui interdisait la décharge « de projectiles et d’explosifs à partir de ballons ».
Les signataires se déclaraient d’accord pour interdire (je souligne) «

la décharge de projectiles et d’explosifs à partir de ballons ou par d’autres nouvelles méthodes d’une nature analogue.

La dernière partie de la phrase est capitale : de façon évidente, le législateur avait anticipé les progrès de l’aviation et avait par avance interdit les bombardements. Cette convention a été ratifiée par l’Angleterre et les Etats-Unis le 27 novembre 1909 (l’Allemagne, quant à elle, avait signé une première convention sur le sujet le 4 septembre 1900).
Par conséquent, on peut dire qu’en adoptant la stratégie des « bombardements de terreur », les Anglo-américains ont renié leur signature et violé le Droit international.

L’objection qui peut être soulevée

Mais certains pourront répondre que, dans les faits, cette quatorzième convention avait cessé d’exister dès 1918, puisque tous les belligérants avaient développé pendant la première guerre mondiale une aviation de chasse et de bombardement.

L’annexe à la quatrième convention de La Haye

Son article 25 interdit le bombardement des villes ouvertes

Admettons. Mais il convient alors de rappeler que, dans son article 25, l’annexe à la quatrième convention de La Haye du 18 octobre 1907 (qui fixe les « lois et coutumes de la guerre sur terre ») stipule :

Il est interdit d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations qui ne sont pas défendus.

Or, il va de soi que, notamment dans les derniers mois de la guerre, l’Allemagne était absolument sans défense face aux bombardiers anglo-américains [Pour plus d’informations sur cette question, voir l’article »La guerre aérienne des Alliés« ]. Par conséquent, personne ne peut contester que les Alliés ont sciemment violé le Droit international.

Première objection : la Convention s’intéresse à la guerre sur terre

On pourra objecter que l’annexe à la quatrième convention de La Haye s’intéresse à la guerre sur terre, pas dans les airs. L’article 1er de ladite convention déclare en effet (je souligne) :

Les Puissances contractantes donneront à leurs forces armées de terre des instructions qui seront conformes au Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la présente Convention.

Pourquoi elle doit être rejetée

Cet argument doit cependant être rejeté pour trois raisons qui se complètent :

1) En tant qu’il opère le bombardement d’une ville sans rencontrer de résistance aérienne notable, un avion participe, de fait, à la guerre sur terre.
2) Si, en 1907, les armées de l’air avaient existé, le législateur leur aurait interdit les bombardements. Je fonde ma conviction non seulement sur la quatorzième convention de La Haye citée plus haut, mais également sur la neuvième, qui réglait « le bombardement par les forces navales en temps de guerre ». L’article 1, § 1, énonçait :

Le bombardement par des forces navales de ports, villes, villages, habitations, ou constructions non défendus est interdit.

C’est clair : en 1907, le législateur avait interdit aux deux armées existantes (l’armée de terre et l’armée de mer) le bombardement d’objectifs non défendus. Dès lors, on peut être sûr que si l’armée de l’air avait existé, il lui aurait signifié la même interdiction.

La Conférence de Washington confirme

3) D’ailleurs, de décembre 1922 à février 1923, à La Haye, une commission de juristes nommée par la Conférence de Washington fut chargée de combler le vide laissé en 1907 et de rédiger un code de la guerre aérienne. Elle rendit un texte précis qui consistait en 62 articles. Les articles 22 et 24 stipulaient :

Article 22. Les bombardements aériens destinés à terroriser la population civile ou à détruire ou endommager la propriété privée qui n’a pas de caractère militaire, ou à blesser des non-combattants, sont prohibés.

Article 24.
1. Les bombardements aériens ne sont licites que s’ils dirigés contre un objectif militaire, c’est-à-dire un objet dont la destruction ou l’endommagement constituerait un avantage militaire distinct pour le belligérant.
2. De tels bombardements ne sont licites que s’ils sont dirigés exclusivement contre les objectifs suivants : forces militaires ; ouvrages militaires ; établissements ou dépôts militaires ; usines constituant des centres importants ou notoires de la fabrication d’armes, de munitions ou de produits nettement militaires ; lignes de communication ou de transport employées dans des buts militaires.
3. Le bombardement de villes, hameaux, villages, maisons habitées ou bâtiments qui ne sont pas dans le voisinage immédiat des opérations de forces terrestres est prohibé. Dans le cas où les objectifs spécifiés au paragraphe 2 sont tellement situés qu’ils ne peuvent pas être bombardés sans le bombardement indiscriminé de la population civile, la force aérienne doit s’abstenir du bombardement.
4. Dans le voisinage immédiat des opérations de l’armée de terre, le bombardement des villes, hameaux, villages, maisons habitées ou bâtiments est licite pourvu qu’il y ait une présomption raisonnable que la concentration militaire est suffisamment importante pour justifier ce bombardement, eu égard au danger causé ainsi à la population civile.

Ces deux paragraphes condamnent les « bombardements de terreur » tels qu’ils ont été pratiqués par les Anglo-américains pendant la deuxième guerre mondiale.

Nouvelle objection : le code de guerre aérienne n’a été ni signé, ni ratifié

Mais j’entends déjà la réponse qui me sera faite en face : vous invoquez, me dira-t-on, la Conférence de Washington, mais vous oubliez de dire que le code de la guerre aérienne n’a été ni signé, ni ratifié par les gouvernements[3]. Dès lors, il n’avait aucune force de loi..

Troisième objection plus générale : H. Göring lui-même a déclaré que les conventions de La Haye ne s’appliquaient plus lors de la deuxième guerre mondiale

.. Quant aux conventions de La Haye, même à admettre qu’elles interdisent implicitement les bombardements aériens des villes ouvertes, vous oubliez là encore de dire que l’évolution de la technique (qui avait transformé les conflits en guerres totales) les avait rendues caduques. Ce n’est pas nous qui le disons, mais vos « amis ».

L’exposé de Göring à Nuremberg

A Nuremberg, H. Göring a longuement expliqué que les textes de 1907 n’avaient plus cours en 1939. Le 15 mars 1946, il a déclaré :

C’est avant le conflit polonais que j’ai pour la première fois pris connaissance des dispositions de La Haye concernant la guerre sur terre. J’ai alors regretté de ne pas les avoir connus plus tôt. J’aurais dit au Führer que les dispositions de ces règlements interdisaient toute guerre moderne et que l’évolution actuelle de la technique contraignait tout belligérant à se mettre en contradiction avec ces obligations établies […] en 1907. Il fallait ou les annuler ou fixer un nouveau règlement établi en tenant compte de l’évolution de la technique.

Mes raisons sont les suivantes : à mon avis, les règlements de La Haye sur la guerre sur terre étaient absolument justifiés en 1907. De 1939 à 1945, il ne s’agissait plus uniquement de guerre sur terre, la guerre aérienne a fait son apparition, elle n’avait pas été prévue à La Haye, et elle a créé une situation absolument nouvelle qui a bouleversé les conditions existant à cette époque.
Mais ce n’est pas là le point essentiel ; à mon avis, la guerre moderne, totale, se fait dans trois domaines : la guerre des soldats sur terre, sur mer et dans les airs, la guerre économique qui est devenue partie intégrante de toute stratégie moderne et, troisièmement, la guerre de la propagande qui en est aussi un domaine important.
Si, en bonne logique, on accepte ces bases, il en résulte un certain nombre de conséquences qui pourraient être, à la lettre, une violation de la logique [de La Haye], mais qui n’en sont pas en réalité.
Si les règlements de la guerre sur terre de la Convention de La Haye prévoient que les armes de l’adversaire sont considérées comme butin de guerre[4] il convient tout de même de dire qu’aujourd’hui, dans la guerre moderne, les armes de l’adversaire n’ont souvent qu’une valeur de ferraille alors que les matières premières, l’acier, l’aluminium, le cuivre, le plomb, l’étain, semblent et sont beaucoup plus importants comme butin de guerre que les vieilles armes prises à l’adversaire. Mais il ne s’agit pas seulement de matières premières sans considération de savoir à qui elles appartiennent. Les règlements relatifs à la guerre sur terre de la Convention de La Haye stipulent - je ne me les rappelle pas très bien maintenant - que les choses indispensables peuvent être réquisitionnées, mais seulement avec indemnisation[5]. Cela non plus n’est pas un facteur décisif. Ce qui est décisif, c’est que dans cette guerre moderne, dans cette guerre économique qui est la base de toute conduite de la guerre, les produits alimentaires sont absolument nécessaires et il faut aussi considérer comme indispensables, dans le domaine industriel, les matières premières.
C’est pourquoi on peut considérer qu’ils sont saisissables.
En outre, les usines et les machines font également partie du domaine de la guerre économique. Si elles ont pu servir à l’adversaire dans le cadre de l’industrie de l’armement ou de la conduite de la guerre, elles doivent profiter à celui qui, par le moyen d’une décision militaire, est entré ultérieurement en possessions de ces moyens de production, qu’il s’agisse de la durée d’un armistice ou de territoires occupés. Et, ici aussi, la question de la main-d’œuvre joue évidemment un rôle beaucoup plus grand dans la guerre économique que lors guerres qui ont servi d’exemples pour établir les dispositions de la Convention de La Haye sur la conduite des opérations sur terre. En 1907, les guerres les plus récentes, la guerre russo-japonaise et peut-être la guerre des Boers, menées dans des circonstances très différentes l’une de l’autre, n’avaient eu lieu que dix ans plus tôt et pouvaient servir d’exemples.
A cette époque, c’était une guerre entre armées, à laquelle la population civile prit plus ou moins part. Mais elle ne peut, se comparer à la guerre totale moderne, qui touche tout le monde, fût-ce un enfant, du fait des bombardements aériens.
A mon avis, la main-d’œuvre - les travailleurs et leur emploi - fait partie intégrante de la guerre économique.
Cela ne veut pas dire que le travailleur doit être exploité à tel point qu’il en subisse des dommages corporels, mais seulement que sa capacité de production soit pleinement utilisée. […]. La question de la déportation des travailleurs devait donc être considérée du point de vue de la sécurité.
Nous étions obligés de nourrir, dans la mesure du possible, l’ensemble du territoire occupé. Nous devions aussi utiliser la main-d’œuvre et, en même temps, envisager le déplacement de ceux surtout qui, n’ayant pas de travail dans leur propre pays, représentaient un danger, du fait de la résistance qui s’organisait contre nous.
Si ces différentes classes ont été déportées en Allemagne pour travailler, ce fut principalement pour des raisons de sécurité, afin qu’elles ne restent pas oisives dans leur pays et, partant, soient utilisées pour la lutte contre nous, mais au contraire pour que nous puissions utiliser leurs services à notre avantage dans la guerre économique.
En troisième lieu - je désire le mentionner très brièvement et en conclusion - la guerre de propagande.
Un des chefs de l’Acte d’accusation déclare que nous avons réquisitionné les postes de radio. C’est parfaitement exact. Car aucun pays n’a ressenti plus profondément que l’Allemagne l’influence prépondérante de la propagande ennemie, dont les effets se propageaient jusque dans les moindres recoins du pays.
Tous les dangers suscités par les mouvements de résistance clandestine, la lutte des partisans, les organisations de sabotage, avec toutes leurs conséquences et, finalement aussi, cette atmosphère de haine et d’amertume ont atteint leur paroxysme, dans cette guerre, par la lutte radiophonique.
De même, toutes les atrocités et autres actes de ce genre, qui ne sauraient être tolérés, sont, en dernière analyse - si l’on considère la question objectivement - principalement le résultat de la guerre de propagande.
Par conséquent, le règlement de la Convention de La Haye sur la conduite de la guerre ne peut, à mon avis, servir comme base pour la guerre moderne, car il ne prend pas en considération les principes essentiels de cette guerre : la guerre aérienne, la guerre économique, la guerre de propagande [TMI, IX, 386-388].

L’appui donné à cet exposé par un avocat allemand

H. Göring ne fut pas le seul à tenir ce discours. Dans sa plaidoirie, l’avocat de Rudolf Hess et de Hans Frank, Maître Alfred Seidl, a expliqué :

[…] il faut encore ajouter quelque chose à propos de la Convention de La Haye de 1907 sur la guerre sur terre. Les principes qu’elle contient sont inspirés des expériences tirées des guerres du XIXème siècle. Ces guerres se limitaient principalement aux forces armées qui y participaient directement. La première guerre mondiale, déjà, a abandonné ce cadre, et non seulement du point de vue de l’extension dans l’espace des opérations guerrières. La guerre devint plutôt un combat d’anéantissement des peuples intéressés dans lequel chacun des deux partis belligérants mettait en œuvre la totalité de son potentiel de guerre et toutes ses forces matérielles et morales. Devant le perfectionnement de la technique de guerre, la deuxième guerre mondiale devait forcément briser le cadre prévu de la Convention de La Haye pour la conduite de la guerre […].
Dans ces conditions, on ne peut plus employer les modalités de la Convention de La Haye sur la guerre sur terre -même dans le sens le plus large et avec une adaptation adéquate - pour fonder là-dessus une responsabilité pénale personnelle. En l’état des faits, il faut considérer comme impossible de fixer sur le plan général, et sans équivoque, les éléments constitutifs de ce que l’on a appelé le crime de guerre[6].

Par conséquent, me dira-t-on, tous vos développements fondés sur le respect du Droit international s’effondrent puisque, même d’après vos « amis », les textes de 1907 n’étaient plus applicables en 1939.

Réponses aux objections

Ma réponse se fera en deux temps.

Il faut être cohérent : à Nuremberg, les juges ont invoqués les conventions de La Haye pour condamner les accusés.

Certes, concernant les conventions de La Haye, les démonstrations d’H. Göring et de Me Seidl me paraissent inattaquables.
Mais je rappelle que le procès de Nuremberg a été intenté, entre autres, au nom de ces conventions qui auraient été violées par les Allemands. L’acte d’accusation, ainsi, regorgeait de formules du genre :

Des tels crimes et mauvais traitements sont contraires aux conventions internationales, en particulier à l’article 46 du Règlement de La Haye de 1907.. (TMI, I, 47)

Ces déportations sont contraires aux conventions internationales, en particulier à l’article 46 du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre.. (Ibid., p. 54)

Ces meurtres et mauvais traitements étaient contraires aux conventions internationales, particulièrement aux articles 4, 5, 6 et 7 du Règlement de La Haye de 1907.. (p. 56)

Ces actes étaient contraires aux conventions internationales, particulièrement à l’article 50 du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre.. (pp. 57-58)

Quant au jugement, un chapitre entier était consacré aux : « Violation des traités internationaux » par les accusés (TMI, I, 228-230), avec les conventions de la Haye mentionnées en premier sur la liste (TMI, I, 228).

Plus loin, on trouvait des formules du genre :

La Convention de La Haye de 1907 proscrivait l’emploi dans la conduite de la guerre, de certaines méthodes (p. 232)

L’article 6, b du Statut [du TMI qui définit les crimes de guerre est] la reconnaissance officielle des lois de la guerre en vigueur, telles qu’elles sont exprimées par l’article 46 de la Convention de La Haye (p. 244)

Ainsi les vainqueurs ont-ils, de fait, repoussé l’argumentation selon laquelle les conventions internationales ne s’appliquaient plus pendant la deuxième guerre mondiale. Dès lors, leurs défenseurs ne sauraient aujourd’hui prétendre le contraire pour dire que, finalement, les « bombardements de terreur » au-dessus du Reich étaient légaux.

C’est une simple question de cohérence : vous avez condamné hier les vaincus au nom des lois internationales qu’ils avaient violées, vous ne pouvez aujourd’hui absoudre les vainqueurs au motif que lesdites lois ne s’imposaient pas.

La convention de Washington formalisait un droit coutumier

Cela dit, venons-en à la Convention de Washington et, plus particulièrement, au code de la guerre aérienne rédigé à La Haye en 1923. Dans sa plaidoirie pour J. von Ribbentrop, Maître Horn a justement rappelé qu’il interdisait le bombardement de centres d’habitation de la population civile ; puis il a précisé :

Bien que la réglementation de La Haye n’ait pas été ratifiée, elle a depuis été respectée dans la pratique par les belligérants et reconnue comme Droit coutumier [TMI, XVII, 604].

A Nuremberg, le droit coutumier a été opposé aux accusés

L’invocation de la coutume pour pallier une absence de signature et de ratification pourra faire sourire. Mais à Nuremberg, ce procédé à été utilisé pour rejeter l’argument selon lequel l’URSS n’étant pas signataire de la convention de Genève, l’Allemagne n’avait aucun compte à rendre sur la façon dont elle avait traité les prisonniers de guerre soviétiques.
Les juges produisirent un document de 1941 dans lequel l’amiral Canaris déclarait que, convention ou pas, le traitement des prisonniers de guerre obéissait à des lois d’humanité qui s’étaient dégagées depuis le XVIIIème siècle et que, du point de vue de toutes les armées, il était « contraire à la tradition militaire de tuer ou de blesser des gens sans défense » (TMI, I, 243-244). Le Tribunal estima que ce discours « définissait exactement l’état du Droit » (Id.). Cette affirmation permit notamment de condamner à mort le maréchal Keitel (voy. TMI, I, 307-308).

Encore une fois, il faut être cohérent

Là encore, il faut être cohérent. Puisque la coutume a été utilisée pour condamner le vaincu dans l’affaire du traitement des prisonniers de guerre, elle doit également l’être - même si elle est moins ancienne - pour condamner les « bombardements de terreur » anglo-américains.

Dès 1916, les « bons » fustigeaient les bombardements de villes et de villages


Avec un autre similaire, le cliché publié en annexe (voir le cliché) a été publié accompagné d’un texte qui commençait ainsi :

Dévastation des dévastations et tout n’est que dévastation ! Ce cri jaillira de tous les cœurs à la vue du spectacle abominable que nous donne, de la malheureuse ville de.., les deux photographies ci-dessus. Elles stigmatisent à jamais la main des bandits qui s’est appesantie sur elle. Ce document, pris d’en haut, d’un avion, nous étale toute son horreur.

Non, il ne s’agit pas d’un texte de J. Goebbels. Le cliché date de 1916 ; il montre Gerbeviller (en Meurthe-et-Moselle) après un bombardement. Le texte est paru dans un hebdomadaire français : L’image de la guerre (n° 109, décembre 1916).
A l’époque, les Alliés stigmatisaient haut et fort ces destructions de villes. En août 1917, ainsi, ce même hebdomadaire dénonça la « barbarie allemande » qui s’exerçait « sans but militaire ». Sous une photo de Reims bombardée, il écrivit :

La barbarie allemande a fait de la glorieuse cité un but, une cible où sa rage impuissante à vaincre l’héroïsme des armées de la France s’exerce sans but militaire. Elle déverse lâchement le feu et le fer pour le plaisir de détruire les souvenirs de l’histoire, qui appartiennent au monde civilisé et que les siècles avaient respectés.
Sous les obus tonnant la mort et la ruine sans interruption, il y a des femmes et des enfants, des vieillards qui tous les jours sont tués […][7].

Le 25 mars 1918, alors que Paris était bombardé par des gothas, le président du Conseil municipal fustigea cette « extermination savamment préparée des enfants, des vieillards et des femmes ». Dans un discours, il lança :

La Capitale, depuis trois jours, est soumise à une épreuve nouvelle. Un bombardement systématique et régulier de quart d’heure en quart d’heure en quart d’heure frappe sa victime.
Il est superflu de redire l’horreur que nous inspire cette extermination savamment préparée des enfants, des vieillards et des femmes. Nos ennemis n’essaient même plus de nous faire croire à des représailles. C’est la fin d’une hypocrisie[8].

En 1937-1938, les « bons » ont fustigé les bombardements d’objectifs civils non défendus

Pendant la guerre d’Espagne

Vingt ans plus tard, en mai 1937, alors que la guerre civile espagnole faisait rage et que des raids aériens avaient été perpétrés sur des villes - sans aucun rapport avec les « bombardements de terreur » -, le Conseil de la Société des Nations avait condamné « le recours dans la guerre espagnole à des méthodes contraire au droit des gens, ainsi que le bombardement des villes ouvertes »[9].
Quelques mois plus tard, suite aux raids meurtriers sur Barcelone, la France et l’Angleterre protestèrent officiellement (p. 22). Puis ce fut le tour du Vatican : le chargé d’affaires pontifical à Burgos signifia aux autorités franquistes que « le Saint-Siège déplor[ait] les bombardements aériens dirigés contre la population civile » (Ibid., p. 24).

Pendant la guerre sino-japonaise

Mieux : après que, pendant la guerre sino-japonaise, trois avions japonais eurent pris pour cible une institution américaine où se trouvaient 37 citoyens américains, le gouvernement de Washington protesta énergiquement et demanda au autorités nippones

de prendre les mesures nécessaires pour arrêter le bombardement des propriétés appartenant à des non-combattants (Ibid., p. 29).

Huit jours plus tard, le 17 juin 1938, le Sénat américain adopta une résolution « condamnant sans réserve le bombardement inhumain des populations civiles » (Id.).

Les justifications invoquées par les accusés sont rejetées

A l’époque, des condamnations véhémentes s’élevaient contre les « fascistes » parce que, selon des rapports officieux, un peu moins de 10 000 enfants étaient morts lors des raids en Espagne[10].
Avec raison, on reprochait aux franquistes de considérer les grandes villes tenues par les Républicains comme des points vulnérables et de vouloir « briser la volonté de résistance de leurs adversaires par tous les moyens » (p. 12).
Toujours avec raison, les aviateurs allemands et italiens étaient accusés de « mener une lutte inégale » (p. 8) et de s’attaquer à des gens « presque entièrement dépourvus d’avions » (p. 13). Ils étaient d’autant plus condamnés qu’ils « agissaient froidement, sans colère, aux ordres du chef catholique de “l’armée sainte” » (p. 11) ; un évêque espagnol lançait d’ailleurs :

La bannière du Christ-Roi peut-elle encore dissiper le spectre casqué de la guerre totale de Ludendorff ? (p. 19).

Quant au Japon, il était accusé d’être « hostile au genre humain », de se prendre pour le « justicier de l’univers », et d’incendier des villes « comme si le feu de ciel était descendu sur elles » (Ibid., p. 31).
Et lorsque les « méchants » avançaient quelques tentatives de justifications, qui se fondaient sur l’absence de textes ou le défaut de ratification, on lançait :

Pour le moraliste, un assassinat est un assassinat, même si l’assassin n’a pas signé auparavant une déclaration où il promet solennellement de ne pas vouloir commettre ce crime.
Pour violer le droit des gens, il n’est pas nécessaire de violer quelques paragraphes d’un traité international [Ibid., p. 43].

Quand on relit cela, et on quand on sait que moins d’une dizaine d’années plus tard, les anglo-américains joueront à leur tour les « justiciers » la Bible dans la poche et briseront la volonté ennemie en faisant descendre le feu du ciel dans une lutte devenue complètement inégale, la nausée vous prend face à tant de cynisme.

Les protestations des « bons » en 1937-1938 démontrent qu’ils avaient accepté le droit qui condamnait les bombardements de terreur

Mais pour l’heure, l’important est ailleurs. Les réactions rappelées ci-dessus et la citation qui vient d’être faite démontrent, sans aucun doute possible, que, pour ceux qui allaient devenir les « bons » (France, Angleterre, USA, Vatican, futures Nations unies..), les bombardements des villes ouvertes étaient criminels, convention ou pas.. Dès lors, on ne saurait arguer que les conventions de La Haye étaient devenues caduques et que le code de la guerre aérienne n’avait pas été ratifié pour excuser les vainqueurs de 1945.

Une nouvelle objection : ce sont les « méchants » qui ont commencé

Ces sont les Allemands et les Japonais qui ont commencé dès 1937-1938

Mais le défenseur des Anglo-américains trouvera sans doute dans ces derniers rappels un nouvel argument : finalement, dira-t-il, ce sont les Allemands, les Italiens et les Japonais qui ont commencé. Ce sont eux qui ont pratiqué les premiers raids aériens contre des civils en Espagne, en Ethiopie et en Chine. Ayant semé le vent dans les années trente, ils ont récolté la tempête dans les années quarante.

Les « bons » ont eux-mêmes rejeté cet argument en 1938

Pour y répondre, je me contenterai de me référer à la brochure déjà citée, qui dénonçait les bombardements « fascistes » en Chine, en Ethiopie et en Espagne. Les auteurs racontent qu’après les interventions de la France, de l’Angleterre et du Vatican en 1938, J. Goebbels répliqua en faisant paraître dans les journaux des articles sur le bombardement de Karlsruhe par les Français le 22 juin 1916. Son objectif était de démontrer l’hypocrisie française.
En guise de réponse à cette campagne de la « presse naziste », les auteurs de la brochure susmentionnée écrivent :

Comme si les méfaits de la guerre mondiale justifiaient les massacres des femmes et des enfants espagnols ! Même avec la guerre mondiale et ses innombrables atrocités, c’étaient des cas isolés. En Espagne, il y a eu des centaines de bombardements dont chacun (chacun !) était plus meurtrier que le raid de Karlsruhe. Le petit hameau catalan de Granollers seul a eu plus de femmes et d’enfants massacrés que la grande ville de Karlsruhe..[11]

Cette réponse - qui, au fond, recueille toute mon adhésion - s’articule autour de deux affirmations :
a) Les méfaits d’une guerre antérieure ne justifient pas ceux d’une guerre postérieure ;
b) L’excuse qui consiste à rappeler que l’accusateur a lui aussi commis des méfaits identiques dans les termes n’est pas valable si les méfaits dont je me suis rendu coupable ont été perpétrés à une échelle bien plus grande et ont ainsi causé bien plus de morts.

Mais cet argument se retourne immédiatement contre le défenseur des Anglo-américains car, adoptant la même dialectique, on peut désormais affirmer que :
a) Les méfaits des guerres survenues dans les années 30 en Chine, en Éthiopie et en Espagne ne justifient pas ceux de la deuxième guerre mondiale ;
b) Les « bombardements de terreur » anglo-américains ont été perpétrés sur une échelle incomparablement plus grande que les raids allemands, italiens et japonais. Officiellement, ainsi, les bombardements de Barcelone, de Bilbao et Madrid firent respectivement 2 282, 2 352 et 3 019 victimes[12]. En chine, le bombardement de Canton au printemps 1938 causa la mort d’environ 1 500 personnes[13].
Or, à lui seul, le bombardement de Hambourg en juillet 1943 fit 100 000 morts. Ne parlons pas de celui de Dresde (février 1945) avec ses 300 000 victimes environ.

Et c’est ainsi que le défenseur des Anglo-américains se trouve piégé par les discours de ses propres amis..

Encore une objection : « en bombardant, l’objectif premier des Alliés était de gagner la guerre, pas de tuer des civils »

« On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs »

Une autre tentative de justification consiste à pénétrer sur le terrain de la morale en disant :

L’important, quand on pose une action, c’est la fin première recherchée. En bombardant les villes allemandes, l’objectif premier n’était pas de détruire et de tuer, mais de gagner la guerre. Les destructions et les morts qui en ont résulté ne sont que des conséquences de cette stratégie adoptée. Par conséquent, vous ne pouvez pas, moralement, condamner les Anglo-américains pour leurs bombardements de terreur. Plus simplement, et selon l’adage bien connu : “On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs”.

Cet « argument », je l’ai entendu des dizaines de fois. La réfutation est cependant très aisée, pour deux raisons :
Pour être moralement acceptable, une action qui a des effets secondaires mauvais doit être bonne ou, au moins, indifférente

1) D’après la morale catholique, « une action d’où résulte une conséquence mauvaise » n’est permise que si quatre conditions sont remplies, dont la première est : « L’action elle-même qui est posée doit être bonne ou tout au moins moralement indifférente »[14] (comprenez : elle ne doit pas être condamnable). Or, nous avons vu que le bombardement d’objectifs civils a été condamné aussi bien par la SDN que par la France, l’Angleterre, les USA ou le Vatican. Par conséquent, d’un point de vue moral, les Anglo-américains n’étaient pas en droit d’engloutir les villes du Reich.
Les effets secondaires mauvais ne doivent pas être rendus nécessaires par la fin première poursuivie.

2) Pour qu’une action dont il résulte une conséquence mauvaise soit permise, il faut que « l’objet directement voulu [ici : la victoire militaire] ne soit pas perçu comme ayant, de par sa nature et son essence même, un lien causal le reliant nécessairement à l’effet mauvais [ici : les destructions et la mort de civils] »[15].
Or, de façon évidente, les destructions et les morts de civils étaient voulues pour provoquer l’effondrement (moral et physique) de l’adversaire et, ainsi, pour apporter la victoire militaire. On en déduit qu’un lien très fort de nécessité reliait l’effet mauvais à l’objectif recherché, ce qui rendait les « bombardements de terreur » indéfendables d’un point de vue moral.

L’ultime objection : Hitler était le Mal incarné, il fallait donc à tout prix s’en débarrasser

« La fin justifie les moyens »

Reste alors l’ultime argument qui consiste à lâcher dans un soupir :

C’est vrai, les raids aériens sur les villes allemandes sont regrettables. Mais que voulez-vous, c’était pour débarrasser le monde d’un tyran démoniaque et d’un régime incontestablement criminel. Et puis, ça a permis d’écourter la guerre. La fin était donc bonne et comme on dit : “La fin justifie les moyens”.

Un argument sans fondement

A celui qui me fait cette objection, je demande toujours :

Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que l’hitlérisme aurait été plus criminel que la Révolution française avec sa guillotine et ses massacres de Vendée, que le libéralisme américain avec ses multiples guerres d’agression ou que le stalinisme avec ses goulags ?

A chaque fois, la réponse - offusquée - est la même :

Mais enfin ! Vous ne pouvez pas dresser de parallèles, même avec le goulag. Les nazis, eux, ont perpétré un crime sans précédent : l’“Holocauste” ; six millions d’innocents exterminés uniquement par ce qu’ils étaient nés juifs !

Il est alors temps d’exposer les principaux arguments des révisionnistes, afin de saper à la base l’ultime tentative de justification des « bombardements de terreur ».

L’attaque frontale permet d’éviter que, comme d’habitude, le contradicteur n’inverse les rôles

Certains me rétorqueront qu’aborder le révisionnisme dans une discussion où l’on tente déjà de faire admettre le caractère criminel des raids anglo-américains est une erreur stratégique : « C’est trop en une fois », diront-ils. Je leur répondrai tout d’abord que ce n’est pas un choix, mais une obligation.
Les prétendues chambres à gaz homicides et le prétendu « Holocauste » justifient tout, des « bombardements de terreur » au massacre des Palestiniens, en passant par l’écrasement de la Yougoslavie (Milosevic = Hitler) et, plus près de nous, le viol des toutes les règles de la démocratie (Le Pen = Hitler). C’est le joker qu’on nous ressort immanquablement quand tout a échoué. Par conséquent, que vous le vouliez ou non, vous serez contraint de porter la discussion sur ce point.

J’ajoute qu’aborder le révisionnisme dans une discussion sur les « bombardements de terreur » est un avantage. Pourquoi ? Parce qu’inévitablement, vos adversaires vous reprocheront de tenir des propos scandaleux, d’être un criminel en puissance etc. Mais vous pourrez alors leur répondre :

Pardonnez-moi, mais c’est vous qui êtes en train de justifier moralement le massacre de centaines de milliers de non-combattants, femmes et enfants pour la plupart, asphyxiés, déchiquetés, carbonisés dans des villes englouties sous des tonnes de bombes incendiaires. De plus, vous le justifiez en portant contre tout un pays une accusation terrible : l’assassinat de six millions d’innocents. Et lorsque, après vous avoir démontré que cette accusation n’est pas fondée, je vous demande d’apporter des preuves solides (ce qui est la moindre des choses), vous m’accusez d’être un ignoble personnage. Vous ne manquez pas de toupet ! Les criminels, c’est vous, pas moi. N’inversez pas les rôles.

La morale condamne l’adage selon lequel « la fin justifie les moyens »

Cela dit, j’irai plus loin. Depuis vingt minutes, vous parlez du prétendu « Holocauste » à vos adversaires, mais ils s’attachent à leur croyance. Tout n’est cependant pas perdu pour autant, car même à considérer le national-socialisme comme le mal absolu et la prolongation d’une guerre comme une catastrophe à éviter - l’ultime tentative de justification des raids anglo-américains n’en est pas sauvée pour autant. En effet, la morale enseigne que :

Si l’objet d’une action est moralement mauvais et reste tel dans le concret, un motif même excellent, sera impuissant à le justifier. La fin ne justifie pas les moyens[16].

Ou encore :

Un motif bon ajoute à une bonne action une nouvelle valeur morale, mais il n’enlève jamais sa malice à une action mauvaise ; car la fin ne justifie pas les moyens[17].

Cette position n’est pas uniquement celle des moralistes catholiques. Un compagnon de Gandhi, Lanza del Vasto, écrit que l’on glisse insensiblement de la Justice à l’injustice par trois formules dont les deux premières sont :

1. Qu’on a le droit de rendre le mal pour le mal et d’appeler bon et juste le mal rendu ;
2. Que la fin justifie les moyens et les bonnes fins les moyens mauvais[18].

Pourquoi un fin même bonne ne justifie pas l’emploi de moyens mauvais

Naturellement, il faut maintenant expliquer pourquoi la fin ne saurait justifier les moyens.
Afin d’être le plus clair possible je vais commencer par un exemple simple : si ma maison est infestée par des souris, je vais tenter de me débarrasser de ces animaux.
Pour parvenir à cette fin, je dois trouver un moyen. L’un d’entre eux consisterait à inonder les pièces et à noyer la cave avec un liquide toxique. Mais je ne l’adopterai jamais. Pourquoi ? Parce que la fin première que je me fixe - me débarrasser des souris - est subordonnée à une fin qui lui est supérieure : rendre ma maison habitable. C’est parce que je veux rendre ma maison habitable que je souhaite me débarrasser des souris. Par conséquent, je ne vais pas utiliser un moyen qui, s’il me permet effectivement de parvenir à la première fin (celle qui est exprimée), m’empêchera d’arriver à la fin supérieure (celle qui, bien que sous-entendue, est la plus importante).
Telle est la justification de l’adage selon lequel « la fin ne justifie pas les moyens » ; en fait, cet adage est mal exprimé : la fin première justifie toujours les moyens, mais c’est en vertu d’une fin supérieure, très souvent inexprimée mais plus importante, que ces moyens se révèlent injustifiés.

Mais mon analyse serait incomplète si j’omettais d’aller encore plus loin.
L’exemple que je viens de prendre est clair, car on voit immédiatement que le moyen proposé compromet l’avènement de la fin supérieure.
Mais certains cas sont moins évidents. Supposez qu’un propriétaire connu d’une chaîne de sex-shop affirme que l’argent retiré de cette exploitation lui sert à financer des institutions chrétiennes pour la bonne éducation des jeunes gens.
A priori et sauf mauvaise gestion, le moyen utilisé (l’exploitation du vice) ne s’oppose ni à la fin première (un financement d’institutions) ni à la fin supérieure (la formation, au sein de ces institutions, de bons chrétiens). L’homme pourra donc toujours se justifier en soulignant que la fin proposée est non seulement bonne, mais aussi atteinte : « Regardez les bons garçons qui sortent de mes institutions ».

Toutefois, c’est-là une illusion, car de façon évidente, il est contradictoire d’exploiter le vice d’un côté pour, de l’autre, élever les âmes. Les conséquences de cette contradiction apparaîtront nécessairement : la nature humaine est ainsi faite que beaucoup de jeunes sortant des institutions se diront un jour ou l’autre : s’il accepte le vice, pourquoi pas nous ?
Par conséquent, tôt ou tard, la fin supérieure ne sera plus atteinte, qu’on le veuille ou non.

Dès lors, il n’y a plus que deux possibilités :
a) Soit le gérant de sex-shops est un honnête homme mais en même temps un dangereux imbécile ;
b) Soit c’est un hypocrite qui a choisi un paravent pour justifier ses actes coupables.

La deuxième ayant 99 % de chances d’être conforme à la réalité

Voilà pourquoi l’adage selon lequel « la fin justifie les moyens » ne s’applique jamais, même si, dans un premier temps, il paraît parfois se justifier.

Le vrai visage des « bons » n’a pas mis longtemps à se découvrir

C’est le cas pour les « bombardements de terreur ».
« C’était pour gagner la guerre, nous dit-on ; c’était pour la civilisation et contre la barbarie ».

Sans doute les deux ou trois années qui ont suivi la guerre ont pu faire illusion. Mais la contradiction qui consistait à gagner la guerre (fin première) pour éradiquer la barbarie (fin supérieure) en utilisant des moyens barbares existait bel et bien, hypothéquant l’avenir.
Le résultat ne s’est d’ailleurs point fait attendre. Après que le monde dit civilisé eut repris son souffle, la guerre de Corée inaugura en juin 1950 une série de conflits tous plus meurtriers les uns que les autres. Jamais, depuis 1945, on ne s’est autant battu et on a autant massacré avec des moyens aussi terribles : mines antipersonnel, gaz, Napalm, bombes à aspiration et plus récemment uranium appauvri.
Vietnam, Cambodge, Kenya, Algérie, Inde, Pakistan, Honduras, Salvador, Timor oriental, Angola, Afghanistan, Guinée-Bissau, Biafra, Éthiopie, Rwanda, Serbie, Irak.., autant de nom qui évoquent des luttes sans merci parfois accompagnées de massacres, de famines organisées et de génocides.
Pourquoi cela ? Parce qu’en écrasant les villes allemandes avec les civils qui s’y trouvaient, en atomisant Hiroshima et Nagasaki, tout cela impunément, les vainqueurs de 1945 ont posé un précédent ; ils ont cautionné l’hyper violence dans la conduite de la guerre, empêchant ainsi le monde de parvenir à la fin supérieure qu’ils invoquaient hypocritement (le règne de la « civilisation).

En guise de conclusion

Cette dernière précision démontre l’importance des discussions concernant la valeur morale des « bombardements de terreur » alliés sur l’Allemagne (et sur le Japon).
Beaucoup, en effet, déclarent :

Tout ça, c’est du passé. Winston Churchill est mort, Franklin Roosevelt est mort, Arthur Harris est mort. Même s’il est indéniable que les raids aériens ont été des crimes, vous n’allez tout de même pas, comme les juifs, commencer à rechercher les lampistes qui pourraient être encore vivants pour déposer plainte contre eux..

Naturellement, il n’est question ni d’organiser des procès posthumes, ni d’engager des poursuites. Les personnes ne m’intéressent pas ; je laisse Dieu seul juge.

L’intérêt est ailleurs ; il dépasse les personnes : le problème des « bombardements de terreur » est capital pour apporter des solutions aux grands problèmes actuels.
Je m’explique : de plus en plus de personnes ont conscience que le monde est engagé dans une mauvaise voie. La disparition des souverainetés nationales et la création d’un État mondial devaient apporter aux peuples la paix et la prospérité, mais les espérances ont été cruellement déçues. Aujourd’hui, un pays domine, les USA, qui prétend hypocritement faire régner l’ordre et la sécurité par l’hyper violence.
Quand on recherche objectivement les origines de cette évolution mortifère, on trouve Nuremberg. C’est Nuremberg qui a tué la souveraineté nationale et c’est Nuremberg qui a fait naître l’État mondial (la SDN s’était soldée par un échec).
Très souvent, j’ai parlé de Maurice Bardèche et de sa lumineuse démonstration apportée en 1948 dans Nuremberg ou la terre promise. J’étais injuste : l’auteur français avait eu deux devanciers ; deux avocats allemands à Nuremberg : maître Hermann Jahreiss, qui assistait le défenseur d’A. Jodl et maître Otto Stahmer qui défendait H. Göring.
Prenant la parole le 4 juillet 1946 au matin, le premier rappela que lors des conflits mandchourien, italo-abyssin et russo-finlandais, aucun homme d’État n’avait été poursuivi pour « complot contre la paix » :

Et, si l’on a pas porté d’accusation, ce n’est pas parce qu’on a pas été […] jusqu’au bout des déductions, mais cela ne s’est pas produit parce que cela ne pourra pas se produire, aussi longtemps que la souveraineté des États sera le principe organisateur de tout l’ordre international […].
C’est l’un ou l’autre, s’il fallait en arriver à ce que des hommes ayant participé à la conception, à l’organisation, à la déclaration et à l’exécution d’une guerre interdite par le Droit international soient traduits devant un tribunal criminel, alors les décisions sur les ultimes questions de l’existence de l’État seraient soumises à un contrôle superétatique. On pourrait encore appeler ces États des États souverains, mais ils ne le seraient plus […].
Ce que l’Accusation fait quand elle veut voir condamner juridiquement des hommes isolés au nom de la communauté basée sur le Droit international pour avoir pris des décisions au sujet de la guerre et de la paix, deviendra dans la perspective de l’histoire européenne un rabaissement de l’État au niveau de personne privée, et même une destruction de l’État dans son essence. […] une telle accusation est […] incompatible avec la nature de la souveraineté et avec le sentiment de la plupart des Européens [TMI, XVII, 487-488 ; je souligne].

Peu après, Maître Jahreiss souligna que, jusqu’alors, le Droit international était « par son essence un Droit de coordination, d’association de puissances souveraines » (ibid., p. 489). Puis il lança (je souligne) :

Si nous comparons les règlements de ce Statut [celui du TMI de Nuremberg] avec ce Droit, nous sommes obligés de dire : les principes de ce Statut nient les bases de ce Droit ; ils anticipent sur le Droit d’un État mondial. Ils sont révolutionnaires [Id.].

L’après-midi, l’avocat d’H. Göring revint à la charge en déclarant (je souligne) :

[…] on peut dire aujourd’hui rétrospectivement que pendant la deuxième guerre mondiale a eu lieu un développement révolutionnaire. Il a poussé l’Humanité au delà des frontières de ce qui représentait encore récemment le siècle moderne : les premiers pas, mais les pas essentiels pour un État mondial, ont été faits [Ibid., p. 516].

Allant plus loin, Maître Stahmer prédit qu’avec le précédent posé à Nuremberg :

Ne se décidera […] à faire la guerre que celui qui croira être sûr de la victoire et qui, en conséquence, ne comptera pas sérieusement sur la sanction qui ne l’atteindra que dans le cas de sa défaite [Id.].

C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui : pour éviter des sanctions, la grande puissance qui agit comme le bras armé de Big Brother doit non seulement gagner les guerres, mais les gagner vite. D’où l’utilisation d’armes sophistiquées, extrêmement meurtrières et destructrices, comme ce fut le cas il y a peu en Serbie et en Irak, où des armes proprement diaboliques, à l’uranium appauvri, furent massivement utilisées (pour plus d’informations sur ce sujet, voir l’article »Le scandale des armes à l’uranium appauvri »).

On le voit : même si, dans certains esprits tordus, l’idée d’un État mondial était née bien avant 1945, c’est Nuremberg qui, dans les faits, a permis sa réalisation, avec toutes les funestes conséquences que l’on constate aujourd’hui.
Mais c’est ici qu’intervient le grave problème : lorsque vous réussissez à convaincre des gens que Nuremberg est à l’origine de l’évolution actuelle, un blocage s’opère car ils se disent :

Mais, Nuremberg, c’était pour le bien et contre le mal. Comment le mal pourrait-il sortir du bien ?

C’est alors qu’il faut parler des « bombardements de terreur », démontrer qu’ils étaient criminels et invoquer les principes de la morale pour faire comprendre que si les moyens furent mauvais, c’est que la fin était, malgré les apparences, mauvaise.
Tout comme l’homme qui exploite les sex-shops se justifie hypocritement en invoquant son soutien aux institutions pieuses, les Alliés ont hypocritement invoqué la civilisation pour, en vérité, assurer le triomphe de leur idéologie mortifère (dont les fruits s’étalent aujourd’hui devant nous). La vérité, elle est là.

Le mal, en 1945 c’était les vainqueurs. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils ont été contraints d’inventer le mythe des chambres à gaz et de l’ «Holocauste » ; ils voulaient non seulement faire oublier leurs propres crimes qui les démasquaient, mais aussi « prouver » qu’ils avaient bien été les sauveurs de l’humanité.

En regroupant et en publiant dans un ordre logique des clichés peu connus - voire inédits - des effets des raids anglo-américains sur l’Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale, J. Friedrich a comblé une lacune.

Toutefois, par peur, par opportunisme ou par conviction, il n’a pas été jusqu’au bout. A nous de terminer le travail ; à nous de démontrer qu’en 1945, le camp du bien était celui du principal vaincu : l’Allemagne nationale-socialiste..

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[1] « Après le débarquement en Afrique, l’ennemi de l’Ouest déclara, autant que je m’en souvienne, qu’en aucune circonstance il ne négocierait avec l’Allemagne, mais la forcerait à une reddition sans condition » (TMI, IX, 459).
[2] Varsovie tomba définitivement le 29 septembre et eut droit aux honneurs de la guerre ; Modlin capitula le lendemain et les troupes qui défendaient Héla se rendirent le 2 octobre.
[3] Voy. Le bombardement des villes ouvertes. Qu’en pensez-vous ? (éd. du Cerf, 1938), p. 36.
[4] Voy. quatrième convention de La Haye, art. 53 : « Tous […] les dépôts d’armes, et, en général, toute espèce de munition de guerre, peuvent être saisis, même s’ils appartiennent à des personnes privées […] ».
[5] Voy. l’art. 53 : « L’armée qui occupe un territoire ne pourra saisir que le numéraire, les fonds et les valeurs exigibles appartenant en propre à l’État, les dépôts d’armes, moyens de transport, magasins et approvisionnements et, en général, toute propriété mobilière de l’État de nature à servir aux opérations de la guerre. Tous les moyens affectés sur terre, sur mer et dans les airs à la transmission des nouvelles, au transport des personnes ou des choses, en dehors des cas régis par le droit maritime, les dépôts d’armes et, en général, toute espèce de munitions de guerre, peuvent être saisis […] mais devront être restitués et les indemnités seront réglées à la paix ».
[6] TMI, XVIII, 151-152. Voy. également la plaidoirie de Maître Steinbauer, avocat d’Arthur Seyss-Inquart, TMI, XIX, pp. 80-81.
[7] Voy. L’image de la guerre, n° 147, août 1917.
[8] Voy. L’Image de la guerre, n° 183, mai 1918.
[9] Voy. Le bombardement.., op. cit., p. 23.
[10] Ibid., p. 21. Notons que, d’après des statistiques publiées en décembre 1938, les bombardements « rouges » auraient causé 18 805 victimes et les bombardement franquistes 16 014 (Voy. La Documentation catholique, n° 888, 5 janvier 1939, col. 27).
[11] Voy. Le Bombardement.., op. cit., p. 26.
[12] Voy. La Documentation catholique, déjà citée.
[13] Voy. Les bombardements.., op. cit., p. 27.
[14] Voy. Héribert Jone, Précis de théologie morale catholique (éd. Salvator, Mulhouse, 1959), p. 18, art. 14.
[15] Voy. Jean-Benoît Vittrant, Théologie morale (éd. Beauchesne et ses fils, 1942), p. 24, art. 32, § 1.
[16] Voy. J.-B. Vittrant, op. cit., p. 23, art. 29, § e).
[17] Voy. H. Jone, op. cit., p. 29, art. 42.
[18] Voy. L. del Vasto, Pages d’enseignement (éd. Du Rocher, 1993), p. 33.

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