2002 : G. W. Bush prétend que S. Hussein prépare l’apocalypse chimique, bactériologique et nucléaire.

Les mensonges des  »bons » pour tenter de justifier une agression

Les « bons » ont justifié leur nouvelle croisade en prétendant que S. Hussein menaçait la sécurité du monde avec son arsenal d’armes de destruction massive. Dans son allocution du 7 octobre 2002, G. W. Bush avait lancé :

Si nous savons que Saddam Hussein possède aujourd’hui des armes dangereuses - et nous le savons - est-il censé que le monde attende, pour le combattre, qu’il soit devenu encore plus puissant et qu’il ait développé des armes encore plus dangereuses ?[1]

Peu après, le Président américain avait brossé un tableau terrifiant de la situation, prétendant que 60 000 à 120 000 litres d’anthrax auraient été fabriqués en Irak depuis 1995 et ajoutant :

Nous savons que le régime a produit des milliers de tonnes d’agents chimiques, comprenant du gaz moutarde, du gaz neuroplégique sarin, du gaz neuroplégique VX »[2]

Nous avons également découvert grâce au renseignement que l’Irak possède une flotte grandissante de véhicules aériens armés et non-armés qui pourraient être utilisés pour disperser des armes chimiques ou biologiques sur des vastes étendues »[3]

Des éléments probants confirment que l’Irak est en train de reconstruire son programme d’armes nucléaires. Saddam Hussein a rencontré de nombreuses fois les scientifiques nucléaires iraquiens, un groupe qu’il appelle ses « moujahideens nucléaires » - ses combattants nucléaires sacrés »[4].


Aux Nations-Unies, Colin Powell avait exhibé des petits échantillons de produits prétendument synthétisés et détenus par l’Irak. Sans surprise, la presse avait participé à la campagne d’excitation américaine en publiant des articles alarmistes :

Des menaces potentielles, chimiques et bactériologies, qui donnent froid dans le dos.
Voir l’article

L’Irak est en mesure de se fabriquer l’arme atomique.

Et même si les preuves manquaient, on nous assurait qu’il fallait faire comme si..

Bref, nous étions appelés à croire qu’un nouvel Hitler préparait l’apocalypse chimique, bactériologique et nucléaire.

2003 : T. Blair prétend qu’ils ne luttent pas contre le régime irakien

Le 17 mars 2003, alors que les « frappes » commençaient, G. W. Bush s’adressa au monde en disant :

Aujourd’hui, aucune nation ne peut possiblement prétendre que l’Irak a désarmé [5] ;

Se fondant sur les résolutions 678 et 687 [des Nations-Unies] - les deux encore en vigueur - les Etats-Unis et nos alliés sont autorisés à user de la force pour débarrasser l’Irak des armes de destruction massive [6]

La plus grande partie du message était consacrée au « danger » que l’Irak aurait fait peser sur le monde avec son prétendu arsenal. C’est seulement vers la fin que le Président américain avait repris le sempiternel refrain sur la lutte contre un régime tyrannique sanguinaire, pour la liberté et la prospérité de tous.

Huit jours plus tard, d’ailleurs, Tony Blair avait lancé :

J’ai toujours dit aux gens de partout que notre objectif [en partant en guerre] n’a jamais été un changement de régime, notre objectif a été l’élimination des armes de destruction massive[7].

Tout était donc clair : le monde « libre » partait en guerre parce qu’un odieux despote menaçait la planète avec des armes terrifiantes. Il fallait donc s’attendre à une lutte meurtrière..

Pourtant, les premiers bombardements de l’Irak n’entraînèrent aucune riposte à l’arme de destruction massive.
S. Hussein, dit-on alors, attendait le déclenchement des opérations terrestres.
Ce déclenchement arriva ; des dizaines de milliers de soldats surarmés se lancèrent à l’assaut du pays. Mais il n’y eut ni pluie d’obus chimiques, ni véhicule aérien pour déverser du gaz moutarde, du Sarin et du VX ; seuls quelques minables SCUD furent maladroitement lancés, la plupart étant détruits en vol ou tombant dans le désert.


S. Hussein, dit-on alors, attendait que les forces de la coalition parviennent à moins de 50 km de Bagdad (voir article).
Elles y parvinrent ; elles franchirent même cette ligne. Et toujours rien !

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Où étaient donc passés les dizaines de milliers de litres d’anthrax et les centaines de milliers de tonnes de gaz neuroplégiques ?
Pourquoi S. Hussein, que l’on accusait d’être un nouvel Hitler, un autocrate mégalomane sans aucune pitié pour son propre peuple n’avait-il pas, in fine, plongé Bagdad et d’autres villes dans un nuage mortel ?
Pourquoi les terroristes d’Oussama Ben Laden qu’il aurait armés un peu partout dans le monde ne passaient-ils pas à l’action ?

Face à ces questions gênantes, la propagande officielle changea. Dès le 26 mars, le Daily Mail tint à rendre hommage aux neuf soldats anglais morts en Irak au cours des premiers combats.
Alors qu’on s’attendait à une manchette du genre : « Ils sont morts pour la destruction de l’arsenal qui menace le monde », le quotidien titra de façon très révélatrice :

Ils sont morts pour apporter la liberté aux Irakiens (The died to bring freedom to the Iraquis)

Les buts de la guerre avaient donc subitement changé !

A partir du 9 avril, d’ailleurs, le public fut saturé d’images montrant des Irakiens dansant autour de l’immense statue renversée de S. Hussein. Ces scènes firent le tour du monde. Les larmes aux yeux, les journalistes commentaient :

Victoire ! Un peuple est délivré de la dictature. Finis les massacres, les tortures, les chambres de viol.. En route pour la démocratie et ses joies !

Sans surprise, ce discours a fonctionné
Voir lettre de lecteur

Des armes de destruction massive, il n’était presque plus question. Tout ce que la télévision put montrer fut un stock de combinaisons de protection chimique, des ogives vides et un groupe de GI’s inspectant quelques « fûts suspects » Le message (implicite) était : « Ceci n’est que le haut de l’iceberg. Attendez que nous ayons vraiment commencé les recherches et vous verrez ce que vous verrez ».

Mais les semaines passèrent et rien ne vint.

Si bien que le 27 mai 2003, s’exprimant devant le Council of Foreign Relations (CFR), Donald Rumsfeld déclara :

C’est dur de trouver des choses dans un pays déterminé à ce que vous ne les trouviez pas. Nous allons prendre notre temps et nous occuper de ce travail [8].

Cette affirmation résonnait toutefois comme un aveu. En effet, dans leurs différentes déclarations faites avant la « guerre », les représentants anglais et américains avaient prétendu détenir les preuves de l’existence d’armes de destruction massive en Irak. Ces preuves, ils les avaient obtenues, disaient-ils, grâce à des transfuges irakiens et à des clichés satellites[9].
Par conséquent, disposant d’informations précises et fiables pour savoir quoi chercher et où chercher, ils auraient dû très rapidement trouver. Or, plus d’un mois après la chute de S. Hussein, et alors que toutes les portes leur étaient désormais ouvertes dans ce pays conquis, ils n’avaient rien découvert.
C’est donc que rien n’existait. En tenant ses propos le 27 mai, D. Rumsfeld venait tout simplement de révéler que les dirigeants anglo-américains avaient menti pour justifier la guerre.

Moins d’une semaine plus tard, d’ailleurs, la première crise éclata. En Angleterre, une ancienne membre de l’administration Blair, Clare Short, affirma qu’elle avait été « dupée » pour soutenir la guerre[10]. De leur côté, plus de cinquante élus parlementaires signèrent pour que T. Blair publiât les « preuves »[11].
Le 9 juin, l’hebdomadaire Newsweek titrait en couverture :

Où sont les armes ? (« Where are the weapons ? »).

Six mois passèrent et au début du mois de janvier 2004, un organisme américain de renom, la Fondation Carnegie pour la paix internationale (Carnegie Endowment for International Peace) publia une étude de plus de cent pages intitulée : Iraq in WMD.
Ses trois auteurs démontraient qu’en l’absence de toute preuve réelle, les dirigeants anglo-américains avaient sciemment déformé les informations dont ils disposaient afin de faire croire que S. Hussein menaçait le monde et, ainsi, de pousser à la guerre.


Quelques jours plus tard, d’ailleurs, T. Blair admit que les enquêteurs en Irak étaient bredouilles (voir le livre d’Hans Blix sur la question ; voir un article de presse ci-dessus) ; mais il s’empressa d’ajouter qu’il fallait.. encore attendre[12]. Sans doute fondait-il ses espoirs sur les trente-six obus de mortiers découverts la veille 10 janvier et qui, disait-on, contenaient des produits chimiques. Mais outre qu’ils dataient vraisemblablement de la guerre Iran-Irak, il fallut rapidement déchanter : des analyses plus poussées menées dans les jours qui suivirent ne montrèrent aucune présence de gaz mortel[13].

En février 2004, enfin, les « bons » soupirèrent :

On s’est trompé ; il n’y avait pas d’armes.

Non, il ne s’étaient pas trompés : ils avaient menti, c’est très différent.

A l’heure où j’écris, il apparaît donc nettement que les Anglo-américains ont mené une guerre illégale (sans l’aval de l’ONU) pour un motif qui se révèle mensonger. Dès lors, on comprend leur mauvaise conscience.
Voilà pourquoi je suppose que les vainqueurs jugeront (ou feront juger) S. Hussein et ses proches. Tout comme en 1945, ils n’ont pas le choix : pour justifier leurs crimes et leurs entorses à la morale, ils doivent démontrer que leurs ennemis incarnaient le Mal absolu.

Mais que vaudront leurs allégations ? J’invite le lecteur à se rappeler par exemple le mois d’avril dernier [2004] : peu après la chute de S. Hussein, les médias nous ont complaisamment présenté Oudaï Hussein, un des fils, comme un pervers sexuel qui avait aménagé dans les souterrains du siège du Comité olympique irakien des prisons secrètes.
Là il aurait séquestré, pour en abuser, les femmes qu’il convoitait et qui lui résistaient.

On parlait d’une cinquantaine, voire d’une centaine de victimes, dont certaines croupissaient encore dans leur cachot au moment de la chute du régime et qui auraient été retrouvées par les soldats américains (voir l’article de presse).

Dans cette affaire, cependant, tout était de l’ordre de la rumeur. Personne n’avait vu ces geôles et personne n’était capable de les montrer ; on parlait juste d’une clé d’accès que certains disaient cachée dans le socle d’une statue de S. Hussein.
Quant aux femmes, les GIs les « auraient trouvées », des témoins oculaires affirmaient les avoir vues, mais - comme par hasard - elles s’étaient toutes évanouies dans la nature.
Un journal constatait :

Personne dans ce quartier chiite n’est capable de dire ce que ces femmes sont devenues depuis leur libération et de mener un journaliste jusqu’à elles [14].

Neuf mois plus tard, rien n’a changé : malgré tous les reportages et toutes les enquêtes sur l’Irak, personne ne nous a jamais montré ni les geôles secrètes, ni une femme qui y aurait été séquestrée.
Il y a peu, le quotidien britannique The Independant a bien publié un article sur « les femmes qui souffrirent de la tyrannie de Saddam » (The women who suffered Saddam’s tyranny), mais nulle part il n’était question des geôles secrètes du fils maudit de S. Hussein[15].
Il apparaît donc que « les macabres secrets d’Oudaï » au Comité olympique irakien relevaient du mythe, comme il en circule beaucoup lorsqu’un régime tombe dans la violence. Par conséquent, il conviendra de s’en souvenir et de réclamer des preuves tangibles lorsque, lors des audiences, des rapports sensationnels viendront nous parler d’autres affaires de ce genre.

De même faudra-t-il être méfiant lorsque, sur la foi de victimes bien réelles, des crimes seront imputés aux anciens dirigeants irakiens. Je pense notamment au drame d’Halabja, où, le 16 mars 1988, de nombreux civils kurdes (5 000 dit-on, mais je me méfie) sont morts asphyxiés par des gaz chimiques.

A l’époque, des images prises par des journalistes invités à survoler les lieux par les autorités iraniennes ont fait le tour du monde. D’après la thèse répandue, S. Hussein aurait fait gazer ce village à l’aide de bombardiers pour punir et terroriser les Kurdes d’Irak qui, luttant pour leur indépendance, soutenaient l’Iran. Un « Oradour » irakien en quelque sorte.
Depuis, Halabja symbolise la cruauté de l’ancien dirigeant irakien et son mépris pour la vie humaine. Dans son numéro du 23 décembre 2003, ainsi, intitulé : « Saddam face à ses crimes », l’hebdomadaire Paris-Match a publié sur deux pages entières une photo montrant des victimes kurdes (avec en premier plan un bébé d’environ deux ans) avec, en gros caractères :

Pas de pitié pour son propre peuple : à Halabja, il ordonne le massacre des innocents

C’est toutefois oublier qu’un rapport interne du Pentagone est loin d’être si affirmatif. Le 4 mai 1990, l’International Herald Tribune y a consacré un long article (pp. 1 et 4). On lit :

L’attaque au gaz est arrivée pendant un combat de trois jours environ qui avait commencé le 15 mars 1988, avec l’offensive iranienne connue sous le nom de Val Fajr-10. L’offensive était une tentative iranienne de reprendre l’avantage dans une guerre enlisée et de pénétrer profondément en Irak.
Les officiels du Département de la Défense qui ont rendu accessible un texte expliquant comment le massacre est survenu ont déclaré qu’ils ne voulaient pas diminuer la responsabilité irakienne dans le fait d’avoir en premier développé des agents chimiques et de les avoir largement utilisés vers la fin de la guerre. Mais leur rapport interne du conflit du Golfe note que l’utilisation iranienne plus modeste et hasardeuse d’armes chimiques était à ce moment aussi dévastatrice pour les civils présents dans la zone de combats.
Les découvertes des enquêteurs […] indiquent que les forces iraniennes ont utilisé plus de 50 bombes et obus d’artillerie chimiques pendant ce qui allait devenir la dernière offensive de l’Iran, avant que l’Irak ne prenne l’avantage à la faveur d’une série d’assauts irrésistibles qui commencèrent le mois suivant.
D’après la reconstitution du Pentagone, pendant le deuxième jour de la bataille, un nombre indéterminé de bombes ou obus iraniens ont été lancés sur Halabja, une ville kurde […].
L’étude a déclaré que l’Iran pourrait avoir été la première à tirer sur Halabja des obus d’artillerie remplis de gaz, après que les commandants iraniens eurent cru par erreur que les forces irakiennes occupaient la ville, dont la population était passée de 70 000 personnes avant guerre à 45 000.

On ne peut déterminer quel camp a causé le plus de morts dans la ville

a dit un haut spécialiste du Pentagone. Mais l’assertion iranienne du 20 mars selon laquelle de nombreuses victimes d’Halabja ont péri empoisonnées au gaz cyanhydrique a été considérée comme un indice que l’Iran dissimulait son propre usage des gaz, ont déclaré les officiels du Pentagone.

Nous savons que l’Irak n’utilise pas de gaz cyanhydrique.

ont-ils dit. Par conséquent, lorsque les gouvernants iraniens ont déclaré que de nombreuses morts avaient été causées par le cyanure, « c’est un indice qui les condamne ».

Dès lors, face à tous les rapports qui, inévitablement, viendront charger Saddam Hussein et ses proches, il faudra toujours réclamer l’ouverture de toutes les archives et l’organisation de contre-enquêtes véritablement indépendantes.

[La condamnation à mort et l’exécution de S. Hussein ne changent rien à cette conclusion]

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[1] « If we know Saddam Hussein has dangerous weapons today-and we do-does it make any sense for the world to wait to confront him as he grows even stronger and develops even more dangerous weapons? » (Voy. Joseph Cirincione, Jessica T. Mathews, George Perkovich et Alexis Orton, Iraq in WMD (Carnegie Endowment for International Peace, janvier 2004), p. 69).
[2] « It was then [1995] that the regime was forced to admit that it had produced more than 30,000 liters of anthrax and other deadly biological agents. The inspectors, however, concluded that Iraq had likely produced two to four times that amount. This is a massive stockpile of biological weapons that has never been accounted for, and capable of killing millions. We know that the regime has produced thousands of tons of chemical agents, including mustard gas, sarin nerve gas, VX nerve gas » (Ibid., pp. 69-70).
[3] « We’ve also discovered through intelligence that Iraq has a growing fleet of manned and unmanned aerial vehicles that could be used to disperse chemical or biological weapons across broad areas » (Ibid., p. 70).
[4] « The evidence indicates that Iraq is reconstituting its nuclear weapons program. Saddam Hussein has held numerous meetings with Iraqi nuclear scientists, a group he calls his “nuclear mujahideen”—his nuclear holy warriors » (Ibid., p. 70).
[5] « Today, no nation can possibly claim that Iraq has disarmed » (Ibid., p. 96).
[6] « Under Resolutions 678 and 687—both still in effect—the United States and our allies are authorized to use force in ridding Iraq of weapons of mass destruction » (Ibid., p. 95).
[7] Voy. The Times, 3 juin 2003, p. 4.
[8] « It’s hard to find things in a country that’s determined not to have you fond them. We’ll take our tim and we’ll go about that business. » ; voy. Newsweek, 9 juin 2003, p. 22.
[9] Le 7 octobre 2002, G.W. Bush avait lancé : « Les photos satellites révèlent que l’Irak reconstruit des équipements sur les sites qui ont servi à son programme nucléaire dans le passé » (« Satellite photographs reveal that Iraq is rebuilding facilities at sites that have been part of its nuclear program in the past » ; voy. Iraq in WMD, déjà cité, p. 71. Quelques semaines plus tard, il déclara : « D’après trois transfuges irakiens, nous savons que depuis la fin des années 90, l’Irak possède plusieurs laboratoires mobiles pour les armes biologiques » (« From three Iraqi defectors we know that Iraq, in the late 1990s, had several mobile biological weapons labs. », Ibid., p. 76).
[10] Voy. The Daily Telegraph, 3 juin 2003, p. 1.
[11] Voy. The Times, 3 juin 2003, p. 1.
[12] « We have just to wait and see ». Voy. The Guardian , 12 janvier 2004, p. 1. Titre : « Blair admet que les armes de destruction massive ne seront peut-être jamais découvertes » (Blair admits weapons of mass destruction may never be found).
[13] Voy. La Dernière Heure, 19 janvier 2004, p. 9 : « Pas d’agents chimiques dans les obus de mortiers ».
[14] Voy. Le Quotidien de la Réunion, 24 avril 2003.
[15] Voy. The Independant, 23 janvier 2004, p. 16.

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