Un exemple d’utilisation malhonnête des « aveux » de R. Höss

R. Höss décrit une visite d’Himmler..

Afin, très probablement, d’impressionner les élèves, les auteurs du manuel d’Histoire pour classes de troisième paru en 2003 chez Belin citent un texte « d’après le témoignage de Rudolph Höss […] au procès de Nuremberg (1945-1946) ». On lit :

Les Tziganes représentaient eux aussi un contingent considérable [d’exterminés]. Longtemps avant la guerre, on avait commencé à les interner dans des camps de concentration […]. En juillet 1942, lors d’une nouvelle visite de Himmler, je lui fis faire un tour d’inspection détaillé dans le camp des Tziganes. Il put voir, les baraques remplies à éclater, les conditions sanitaires insuffisantes, l’infirmerie regorgeant de malades. Il put voir les enfants atteints de « noma », affreuse épidémie infantile […], ces petits corps décharnés, ces joues si creuses qu’elle devenaient translucides, le lent pourrissement de ces corps vivants […]. Ayant pris ainsi une vue d’ensemble complète de la situation, Himmler donna l’ordre de liquider tous les Tziganes [Belin, 97, doc. 4].

Tels auraient été les propos tenus par R. Höss à Nuremberg, propos terriblement accusateurs.

L’ennui est que jamais, devant les juges, R. Höss n’a prononcé ces mots ; ni lors de son interrogatoire par la Défense, ni lors de son contre-interrogatoire par l’Accusation (voy. TMI, XI, pp. 408 à 433).

Je précise que, pour son contre-interrogatoire, l’Accusation lut de larges extraits d’une déclaration sous serment que R. Höss avait signée quelques jours plus tôt (le 5 avril 1946). A chaque fois, le témoin se contentait de répondre laconiquement que le passage lu était conforme à ce qu’il avait signé. Cette déclaration sous serment a été répertoriée sous la cote PS-3868. On trouvera une reproduction de l’original (en photocopie négative) ainsi qu’une reproduction du document tel qu’il a été publié dans les comptes rendus du procès de Nuremberg. Le lecteur s’apercevra lui-même qu’à aucun moment, R. Höss (ou celui qui écrivait pour lui) ne mentionnait les Tziganes.

En vérité, R. Höss a bien décrit la visite d’Himmler en juillet 1942, mais plus tard, dans ses Mémoires rédigées alors qu’il était emprisonné en Pologne et qu’il attendait d’être exécuté.

.. qui n’a jamais eu lieu

Toutefois, on sait que ces Mémoires sont émaillés d’erreurs très graves et notamment que cette fameuse visite du Reichsführer SS en juillet 1942 n’a jamais eu lieu, pour la bonne et simple raison qu’à l’époque, il n’y avait pas de Tziganes au camp.
Dans l’ouvrage patronné par le Musée d’État d’Auschwitz et intitulé : Auschwitz vu par les SS (éd. Interpress, Varsovie, 1991), les auteurs, qui reproduisent les Mémoires de R. Höss, écrivent :

Les 17 et 18 juillet 1942 eut lieu la deuxième visite de Himmler au KL Auschwitz. Höss a commis dans ses Mémoires une erreur fondamentale : en juillet 1942, il n’avait pas pu montrer à Himmler les camp des Tziganes à Birkenau, car à l’époque il n’y avait pas encore de Tziganes dans le camp [p. 48, note 66].

De son côté, J.-C. Pressac, écrit :

Les erreurs chronologiques de Höss dans ses Mémoires sont fréquentes et atteignent parfois six mois (construction de la nouvelle cheminée du crématoire I), voire presque deux ans ([…]). Quant aux chiffres des morts qu’il avance, ils sont régulièrement multipliés par deux ou trois[1].

L’erreur chronologique de « presque deux ans » dont parle J.-C. Pressac est la suivante (passage entre parenthèses que j’ai omis dans la citation ci-dessus) :

visite imaginaire par Himmler du camp des Tziganes en juillet 1942, ayant été certainement effectuée par Pohl, le chef du SS-WVHA, en juin 1944.

Bref, les « aveux » de R. Höss selon lesquels Himmler lui-même aurait décidé l’extermination des Tziganes n’ont aucune valeur..

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[1] Voy. J.-C. Pressac, Les Crématoires d’Auschwitz. La Machinerie du meurtre de masse (éd. CNRS, 1993), pp. 102-103.

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